ANALYSES

Élections australiennes : ce qu’il s’est passé et ce qui suit

Tribune
24 mai 2019
par Alexandre Dayant, chercheur au Lowy Institute (Australie)


Le week-end dernier, 16 millions d’Australiens se sont rendus aux urnes pour élire leur Chambre des Représentants ainsi que leur Premier ministre, pour les trois prochaines années.

Au-delà des différences politiques, la question de fond posée aux Australiens était : « L’Australie restera-t-elle conservatrice et gardera-t-elle un gouvernement promettant la stabilité économique, la protection de l’emploi et la baisse de l’immigration, ou choisira-t-elle d’agir sur le climat et de promouvoir l’égalité des revenus ? ».

Ils ont choisi la première option.

Sur les 151 sièges disponibles au Parlement, le parti conservateur en a remporté 75, alors que le parti travailliste (Australian Labor Party – ALP) n’en a gagné que 65. Les sièges restants sont occupés par des indépendants.

Le Premier ministre sortant, Scott Morrison, un libéral entré au Parlement en 2007, ministre de l’Immigration en 2013, a contre toute attente réussi à conforter sa place à la tête du gouvernement. Un résultat « héroïque », selon Morrison, qui lui offre une autorité rarement égalée dans l’histoire du pays.

Tout au long de la campagne, le Premier ministre candidat a gardé ses propositions politiques au strict minimum. Il se contentait d’attaquer le programme travailliste, affirmant que l’ALP augmenterait gravement les dépenses publiques, au risque de faire chavirer l’économie « lucky » australienne, en constante croissance depuis 28 ans.

En effet, Bill Shorten, le leader travailliste, offrait un retour à des politiques interventionnistes plus ambitieuses, concernant notamment le réchauffement climatique et l’économie. Il symbolisait aussi un scepticisme plus marqué envers l’Amérique de Donald Trump. Malheureusement pour la gauche, il semble que cette proposition n’ait pas été celle que recherchaient les Australiens.

Ce résultat a été surprenant pour une majorité de la population. Depuis plusieurs mois, les sondages donnaient le parti travailliste gagnant à 51%.

Pour M. Morrison, c’est « l’Australie silencieuse » qui lui a fait gagner ces élections. Beaucoup diront d’ailleurs que c’est cette même classe sociale qui a poussé Mr Trump à la Présidence, ou les Anglais au Brexit.

Sa réélection lui offre une chance inédite pour redéfinir la politique extérieure du pays. En un sens, son rôle international commence cette semaine. En effet, lors des neuf derniers mois, il a été distrait par des tâches domestiques, s’efforçant principalement à fortifier les propositions de son parti en vue des élections. Scott Morrison a maintenant son propre mandat et, avec lui, une immense autorité personnelle sur sa coalition libérale-nationale.

Il est très probable que sa politique extérieure aura un style similaire à celui de sa politique domestique : confiant, direct et pragmatique.

Sa victoire lui fournit une plate-forme idéale pour nouer des relations personnelles avec les dirigeants conservateurs de ce monde, notamment le président américain. Donald Trump aime les vainqueurs, et les Américains voient en Scott Morrison une version australienne de leur président.

La première décision à laquelle le Premier ministre australien devra faire face lors des prochains jours sera de savoir quoi faire avec son ambassadeur à Washington D.C. Joe Hockey, un conservateur proche de Donald Trump, qui a déjà annoncé qu’il n’allongera pas son affectation après la fin de son mandat, en janvier 2020.

Une option pour continuer à cimenter la bonne relation entre le gouvernement australien et l’administration Trump serait d’envoyer Tony Abbott, la figure déchue du parti conservateur.

Cependant, il faudra aussi prendre en compte le fait que les États-Unis vont avoir une élection l’année prochaine. Les compétences requises pour gérer les relations entre l’Australie et l’administration Trump sont très différentes de celles nécessaires pour gérer les relations avec une administration démocrate. Une alternative serait pour Scott Morrison de demander à l’Ambassadeur Hockey d’allonger sa mission jusqu’à ladite élection.

Gérer la relation avec la Chine sera encore plus compliqué pour le Premier ministre.

Il a hérité de la politique chinoise manichéenne de son prédécesseur, Malcom Turnbull, qu’il n’a d’ailleurs jamais vraiment accepté. Pour lui, il n’y a pas à choisir entre la Chine, le principal partenaire commercial de l’Australie, et les États-Unis, son partenaire stratégique.

De son côté, Pékin aurait sûrement préféré un changement de gouvernement, au profit du parti travailliste. Avoir Bill Shorten aux manettes aurait pu permettre de redéfinir la politique chinoise du gouvernement, et rouvrir des dossiers importants pour Pékin, comme l’entrée de l’Australie dans le projet pharaonique des Nouvelles Routes de la Soie, ou bien encore lever l’interdiction de la 5G de Huawei.

Un autre sujet sur lequel Scott Morrison devra vite prendre une décision sera la politique climatique et énergétique.

Scott Morrison et sa coalition ont gagné non seulement grâce à leur base de conservateurs économiques plus âgés et de banlieue, mais également à une montée en puissance du Queensland, l’État rural, producteur de charbon.

L’Australie est effectivement le plus grand exportateur de charbon du monde et son économie est largement basée sur cette source d’énergie polluante. Cependant, le pays continent est aussi l’une des premières victimes du réchauffement climatique, le pays venant de vivre son été le plus chaud jamais enregistré. Les tropiques du pays s’étendent au Sud, entraînant des tempêtes et desmaladies transmises par les moustiques telles que la dengue, tandis que les pénuries d’eau ont entraîné la mort de nombreux poissons dans les rivières asséchées. La Grande Barrière de Corail disparaît.

Cette réalité qui ne peut maintenant plus être niée poussait d’ailleurs les instituts de sondages à anticiper une victoire des propositions travaillistes face aux libérales lors des 18 derniers mois.

Cependant, alors que les effets du réchauffement climatique deviennent impossibles à nier, les guerres climatiques au sein des partis sont en train de reculer. L’impératif politique pour une action forte deviendra irrésistible pour Scott Morrison. Avec sa nouvelle autorité et son passé personnel d’éleveur de charbon, il décidera peut-être de changer de cap en matière de politique climatique. Encore quelque chose que les instituts de sondage n’arrivaient pas à déceler. Affaire à suivre…
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