ANALYSES

Départ du Qatar de l’OPEP : quelles incidences sur le marché du pétrole ?

Interview
4 décembre 2018
Le point de vue de Francis Perrin


Le Qatar vient d’annoncer qu’il quitterait en janvier l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Alors que la prochaine réunion de l’organisation va se tenir à Vienne les 6 et 7 décembre, quelles conséquences cette décision va-t-elle avoir sur l’OPEP et les cours du pétrole ? Quelle est la stratégie du Qatar ?
L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions énergétiques.


Alors que le Qatar est membre de l’OPEP depuis 1961, pourquoi a-t-il décidé de sortir maintenant de cette organisation ? Quel en est le contexte géopolitique ?Le Qatar est effectivement l’un des plus anciens membres de l’OPEP puisque cette organisation a été créée en 1960. Cela dit, ce pays n’est que le 11e producteur au sein de l’organisation, qui compte 15 membres, avec 600 000 barils par jour de brut sur une production totale de l’OPEP de 33 millions de barils par jour. Le poids du Qatar est donc assez faible au sein de l’organisation.

Un autre facteur clé est que l’OPEP ne s’occupe que de pétrole brut alors que le Qatar est un géant gazier. Il est notamment le plus gros producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL). Pour le Qatar, l’enjeu clé est le gaz naturel et, de ce point de vue, l’OPEP ne lui apporte pas une valeur ajoutée particulière. Les dirigeants qataris raisonnent en chefs d’entreprise : on se concentre sur ses points forts et on « laisse tomber » le reste.

En plus de ces deux éléments fondamentaux, il faut ajouter trois éléments d’une nature différente : l’opposition entre le Qatar, d’une part, et l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, d’autre part, deux autres pays membres de l’OPEP qui sanctionnent le Qatar depuis juin 2017 ; les fortes critiques du président Donald Trump contre l’OPEP ; et la lutte contre le changement climatique qui favorise le gaz naturel par rapport au pétrole (et au charbon évidemment).

Quelles conséquences cette décision aura d’une part pour les exportations de pétrole du Qatar, d’autre part pour les autres membres de l’OPEP, et enfin sur le prix du baril ?

Aucun changement pour les exportations pétrolières du Qatar. Le pays va retrouver la liberté de fixer son niveau de production sans avoir à le négocier avec l’OPEP, mais il n’a pas les capacités lui permettant de produire et d’exporter beaucoup plus.

À court terme, il n’y aura pas d’impact majeur sur les autres membres de l’OPEP et sur les prix du pétrole. Le Qatar est un petit producteur (moins de 1% du total mondial) ; il entend appliquer en 2019 les décisions que prendra l’OPEP en décembre à Vienne ; et il n’a pas les moyens, même s’il le voulait, d’augmenter significativement sa production.

Le Qatar va assister à la réunion de l’OPEP qui se déroulera à Vienne les 6 et 7 décembre prochains. En quoi cette réunion est-elle cruciale pour l’organisation ? Quelle stratégie l’OPEP, qui concentre 40% de la production de pétrole mondiale, risque-t-elle de prôner ?

Cette réunion est importante, car les prix du pétrole Brent de la mer du Nord ont baissé de près de 30% depuis début octobre. De plus, il y a un risque d’excédent de l’offre pétrolière mondiale sur la demande et de chute supplémentaire des prix, ce qui ne serait bien sûr pas dans l’intérêt des producteurs. L’option privilégiée est une baisse de la production de l’OPEP et de certains pays non-OPEP de 1 million de barils par jour (environ 50 millions de tonnes par an) au moins à partir du début 2019.

C’est la stratégie classique de l’OPEP que cette organisation avait appliquée avec succès entre janvier 2017 et juin 2018. Le scénario est clair, mais il faut parvenir à une décision unanime et l’appliquer de façon rigoureuse en dépit des pressions américaines. Un équilibre délicat, surtout pour l’Arabie saoudite empêtrée dans la sinistre affaire Khashoggi et donc affaiblie face au parrain américain.

 
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