ANALYSES

Sommet de l’OTAN : de réelles avancées face aux menaces américaines ?

Interview
13 juillet 2018
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny


Dans un contexte marqué par les menaces américaines vis-à-vis de l’Europe, le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’est achevé hier soir à Bruxelles. Si la rencontre s’est terminée sur une note positive avec le renforcement des dépenses militaires de la part des Européens, il n’en demeure pas moins que ces derniers souhaitent se doter d’une plus forte autonomie stratégique en matière de défense afin d’affirmer une posture indépendante sur la scène internationale. L’analyse de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Dans quel contexte se tenait ce sommet de l’OTAN ? Quels en étaient les enjeux ?

Le sommet de l’OTAN a été précédé d’une très forte pression de la part du président des États-Unis, Donald Trump, afin que les membres de l’Alliance atlantique augmentent leurs dépenses en matière de défense, demande appuyée par des lettres envoyées à certains pays européens, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni avant la tenue de la rencontre. Dans la perspective des Midterms, Donald Trump souhaite ainsi démontrer que les Européens lui obéissent.

À l’issue de ce sommet de l’Alliance atlantique, Donald Trump s’est dit « très satisfait » des résultats obtenus, ayant reçu des engagements de la part des partenaires européens à porter à 2% du PIB leurs dépenses en matière de défense. Toutefois, ces promesses ne changeront rien pour les prochaines années. Ces engagements ont déjà été pris lors du sommet de l’OTAN de 2014, et s’ils augmentent bien leur budget de défense, les États le font de manière souveraine et en fonction de leurs capacités budgétaires. Dans le cas de Berlin grandement ciblé par les critiques de Donald Trump, passer de 1,3 à 2% du PIB équivaut à une augmentation de 25 milliards d’euros du budget de la défense allemande ; on comprend aisément que cela ne va pas se faire du jour au lendemain. Donald Trump devait certainement communiquer sur ce succès vis-à-vis de son électorat sur le thème « on ne paiera plus pour les autres » ; pour les Européens, il était d’autant plus aisé de lui donner satisfaction qu’ils ne suivront pas le diktat de Donald Trump dans les semaines qui viennent. C’est donc un double jeu de dupes.

Quant aux menaces de désengagement américain, elles ont également certainement pour objectif d’obtenir des contreparties de la part des pays européens d’un maintien de la garantie de sécurité américaine. Cela peut concerner l’équilibre des échanges commerciaux, mais également les équipements de défense. Il est probable que Donald Trump se satisferait d’un engagement des pays européens à acheter davantage du matériel américain et non du matériel européen, comme ils en ont l’intention actuellement.

À l’heure où les États-Unis déconstruisent toutes tentatives de politique multilatérale, et face à une Russie isolée, la protection américaine est-elle toujours souhaitée par les États européens ?

Un certain nombre d’États européens souhaitent absolument la garantie de sécurité américaine. Ce sont majoritairement des pays qui craignent la résurgence de la menace russe, soit les pays baltes, la Pologne, la Norvège, la Suède (non-membre de l’OTAN) et le Royaume-Uni. Ils estiment que les capacités militaires des pays européens sont insuffisantes pour contrer une hypothétique action russe qui pourrait prendre la forme d’une guerre hybride, notamment dans les pays baltes.

Concernant les autres pays européens, un double-sentiment est communément partagé. Ils sont tentés de considérer qu’ils ont besoin de la garantie de sécurité des États-Unis, mais qu’au vu de la situation, il est nécessaire qu’ils s’organisent eux-mêmes et se dotent d’une autonomie stratégique afin de ne plus être dépendants de Washington et des menaces de Donald Trump. C’est notamment la position de l’Allemagne et de la France.

Quant au Royaume-Uni, il est dans la pire des positions, car Theresa May essaie de conserver, dans le cadre de la négociation sur le Brexit, la proximité la plus grande possible avec l’Union européenne en matière de défense, tout en souhaitant raviver la relation spéciale avec les États-Unis. Donald Trump vient de montrer son opposition à ce schéma et demande aux Britanniques de choisir clairement leur camp, ce qui est peu ou prou la même position que celle de la Commission européenne.

Selon la ministre des Armées, Florence Parly, « l’Europe de la défense nécessite une culture stratégique commune ». Une approche collective et globale d’une défense européenne s’impose progressivement.  Comment celle-ci est-elle en train de se construire ? Avec quels succès et quelles difficultés ?

Depuis quelques années, il y a une tentative de relance de l’Europe de la défense, avec une accélération des initiatives depuis le Brexit, appuyée sur l’idée de la nécessité de ressouder les États européens. Montrer aux citoyens que l’Union européenne peut leur offrir de la sécurité serait un des moyens de provoquer l’adhésion de l’opinion publique face à l’idée européenne. Tout cela se traduit et doit se traduire par des initiatives qui visent à ce que les Européens s’organisent mieux, de manière à développer leur capacité militaire et à mener des opérations conjointes.

Le développement des capacités militaires est organisé dans le cadre de la Coopération structurée permanente (CSP) qui permet aux Européens d’envisager le développement de leurs capacités militaires dans un cadre collectif. Il y a également le Fonds européen de défense, initié par la Commission européenne, qui va pour la première fois depuis 1957 financer la défense dans un cadre communautaire et inciter les Européens à développer leurs armements en commun. Enfin, pour ce qui est des opérations, c’est l’Initiative européenne d’intervention (IEI), lancée par le président Emmanuel Macron, qui doit permettre de développer une culture stratégique au niveau européen afin de conduire des opérations communes. Cette initiative a la particularité de se situer en dehors de l’UE – le Royaume-Uni a été associé à l’IEI -, tout en étant complémentaire aux projets de l’UE.

Ces nombreux projets visent à doter l’UE d’une plus grande autonomie stratégique afin de limiter la dépendance envers les États-Unis. Mais ces initiatives renforcent l’OTAN, puisqu’elles consolident les capacités militaires des États membres de l’Alliance atlantique. Cela inquiète toutefois Washington, car cela permet aux Européens de développer progressivement leur propre indépendance militaire.
Sur la même thématique
Caraïbe : quels enjeux pour les opérations HADR ?