ANALYSES

Élections fédérales mexicaines : la victoire de Lopez Obrador, un tournant pour le pays ?

Interview
3 juillet 2018
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


Andrés Manuel Lopez Obrador a été élu à la présidence du Mexique avec plus de 53% des voix. Cette victoire historique de son parti Morena (Mouvement de régénération nationale) – premier parti de gauche mexicain au pouvoir – permet d’assurer la majorité au Parlement, de remporter la mairie de Mexico, ainsi que la présidence de quatre États. Au terme d’une campagne d’une rare violence, et dans un contexte de tensions avec son voisin nord-américain, les défis sont multiples pour le nouveau chef d’État mexicain. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

L’élection de Lopez Obrador et de son parti Morena est-elle un signe d’espoir pour le pays ? Comment cette élection a-t-elle été perçue par la communauté internationale ?

Espoir est le mot clef. La population est fatiguée par la montée en puissance du crime et des enlèvements. Fatiguée également par un quotidien difficile pour les plus modestes, alors que la corruption n’a jamais atteint des seuils aussi élevés. Fatiguée aussi par la violence verbale du président des États-Unis et les mesures répressives prises à l’encontre des migrants et des résidents mexicains. Enfin, fatiguée de vivre dans la peur du lendemain, la peur de la police et des autorités, en particulier dans certains États de la Fédération, comme Puebla et Veracruz.
Le vote émis est celui d’une revendication démocratique, d’une nouvelle et plus authentique transition que celle effectuée sous la tutelle du Parti action nationale (PAN, droite) en 2000.

Le vainqueur de la présidentielle a promis « des changements profonds » et « sans dictature ». Quelles vont être les priorités du nouveau chef d’État mexicain ? Quelle posture faut-il attendre du Mexique sur la scène internationale, notamment dans sa relation avec les États-Unis ?

Andres Manuel Lopez Obrador, autrement appelé AMLO, a promis une quatrième rupture démocratique aux Mexicains. Une transition qui prétend refonder le pays pour le bien de tous, les entrepreneurs comme les pauvres, les laïques comme les croyants. Il a tendu la main au président actuel, Enrique Pena Nieto (Parti révolutionnaire institutionnel, PRI), dont il a salué la bonne attitude démocratique, contrairement à celle de son prédécesseur, Felipe Calderon (PAN). Il a également tendu la main à ses adversaires vaincus. Durant sa campagne et dans la déclaration faite au soir de sa victoire dimanche dernier, il a davantage annoncé des orientations que des mesures et réformes précises. La première est celle de construire la patrie de tous, riches comme pauvres. Les entrepreneurs a-t-il dit y auront une place garantie dans l’économie mexicaine, et les plus modestes seront sa priorité.

De plus, AMLO souhaite mettre la lutte contre la corruption au cœur de son projet. Cette dimension a un caractère fondamental d’éthique politique. Lutter contre la corruption permettra de dégager des moyens financiers afin d’engager un programme de valorisation de la structure productive et de lutte contre la pauvreté. Il n’y aura donc pas, a-t-il ajouté, de nécessité d’augmenter les impôts ou de nationaliser des biens privés. Seule exception, qui renvoie aux valeurs du souverainisme défendu par le PRI des origines, la reconquête de la souveraineté pétrolière, remise en question par le PRI, le PAN et le PRD (Parti de la révolution démocratique).

En matière de politique étrangère, peu de mesures ont été annoncées. Ici encore reprenant le corpus du PRI historique, AMLO a signalé que la politique extérieure du Mexique serait axée sur la défense de la souveraineté, la non-ingérence, et des relations de coopération sur la base du respect mutuel avec l’ensemble des États du monde. Il a remercié, sans citer les chefs d’État lui ayant adressé leurs félicitations dimanche soir. Une seule petite phrase a fait référence aux États=Unis, avec lesquels il souhaite avoir de bonnes relations de coopération sur la base d’un respect mutuel. On notera que pendant sa campagne, Lopez Obrador n’a effectué que peu de déplacements en dehors du Mexique : il a rencontré le président équatorien, Lenin Moreno, et l’ancienne présidente chilienne, Michelle Bachelet, ainsi que le chef du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, marié à une Mexicaine.

Ces élections ont été marquées par de nombreuses violences, dont l’assassinat de 145 hommes politiques, campagne considérée comme « la plus sanglante » de l’histoire mexicaine. Comment analysez-vous cette situation ? Quelles sont les mesures souhaitées par Lopez Obrador pour lutter contre l’impunité de la violence ?

La violence a franchi un seuil inquiétant à partir de 2006. Cette année-là, le président Felipe Calderon (PAN) avait décidé de mobiliser les forces armées contre le crime organisé. Les grands réseaux ont été fragmentés en petits groupes antagonistes de plus en plus incontrôlables. Une guerre territoriale a ensanglanté le Mexique (200 000 morts depuis 2006). La décision prétendait contourner l’inefficacité des polices gangrénées par la corruption et le différentiel en armements, les délinquants achetant à la frontière avec les États-Unis des armes de plus en plus performantes.

Le contexte électoral a exacerbé ces rivalités entre bandes locales. Pour assurer leur mainmise territoriale, elles ont cherché à éliminer physiquement les candidats prétendant rompre avec ce mode de fonctionnement, ou souhaitant introduire d’autres bandes dans un territoire considéré comme le leur. Des milliers de bulletins ont été par ailleurs volés afin d’empêcher l’élection. Ce climat a pu être utilisé par les adversaires d’AMLO pour dissuader les électeurs d’aller voter. La participation a eu ainsi une valeur démocratique de vote contre la peur. Le parti Morena avait contesté en décembre passé la loi de sécurité nationale couvrant l’action des forces armées, considérant que ces dernières étaient ainsi libres de mener des actions contraires aux droits de l’homme, alors qu’elles sont elles aussi atteintes par la pénétration de la corruption.

Sur la question préoccupante qu’est la violence intérieure, AMLO a annoncé la constitution d’un commandement unifié en matière de sécurité. Il a également signalé qu’il allait consulter les ONG de défense des droits de l’homme ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui a lancé un message d’alerte sur le Mexique il y a quelques jours.
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