ANALYSES

Espagne : Pedro Sanchez Premier ministre socialiste inattendu, divine surprise pour le PSOE ?

Tribune
4 juin 2018


L’Espagne, sans passer par la case élections, vient en quelques heures de pousser vers la retraite politique le libéral conservateur Mariano Rajoy, président du gouvernement depuis 2011. Et de confier les rênes du pouvoir à un socialiste, Pedro Sanchez, opposant minoritaire. Sorpresas te da la vida est le titre d’une chanson à succès du Panaméen Ruben Blades. Ce pourrait être le sonal de mode en Espagne pour illustrer quelques journées de dupe qui resteront dans les annales.

Le 22 mai dernier, le président du gouvernement, Mariano Rajoy et ses amis politiques du Parti populaire (PP) fêtaient l’heureuse conclusion de négociations difficiles avec le Parti nationaliste basque (PNV) afin de boucler la majorité permettant l’adoption du budget 2019. Huit jours plus tard, Mariano Rajoy assistait en présence du Roi Philippe VI à l’adoubement constitutionnel de son successeur, le socialiste Pedro Sanchez qui a juré de servir le pays sur la Constitution, sans Bible ni crucifix, comme cela était l’usage depuis la Transition politique espagnole.

Les divines surprises ont toujours une origine immédiate et brutale. Celle-là ne fait pas exception à la règle. Elle est judiciaire. Un tribunal espagnol a, le 25 mai dernier, mis un point final et spectaculaire à un interminable procès[1] visant le Parti populaire et son financement : 29 prévenus ont été condamnés à 351 années de prison. Parmi eux, deux trésoriers du PP, ayant occupé cette responsabilité de 1982 à 1987 et de 2008 à 2010 ; plusieurs élus locaux et responsables régionaux « populaires » d’Andalousie, Castille, Galice, Madrid, Valence. Une ex-ministre de la Santé, Ana Mato, a été condamnée comme complice et doit verser une amende de 27857 euros. Le Parti populaire, considéré bénéficiaire des délits constatés, est condamné à verser une amende de 245 492 euros. Non mis directement en cause, faute de preuves, le président du gouvernement qui avait été entendu par la justice le 26 juillet 2017, a malgré tout été écorné par la justice, comme premier responsable de la formation ciblée par le juge, le Parti populaire.

Un tel contexte, d’exceptionnelle gravité éthique et politique, condamnait le gouvernement Rajoy qui ne disposait pas à lui seul d’une majorité absolue au Congrès des députés[2]. En dépit de leur hétérogénéité, toutes les formations parlementaires ont bruyamment salué la décision des juges et demandé au président Rajoy d’en tirer les conclusions en démissionnant. Ce qu’il n’a pas voulu faire. Cette décision a conduit les socialistes à présenter une motion de censure, simple, ne visant donc pas à provoquer la tenue immédiate d’élections. Prenant de vitesse Podemos qui a néanmoins annoncé, qu’en cas d’échec socialiste, dans la foulée viendrait la leur. Exigeant la dissolution du Congrès et la tenue d’une consultation, cette motion pourrait bénéficier de l’appui tactique des centristes de Ciudadanos. Les indépendantistes catalans priorisant le règlement de compte avec le PP et Mariano Rajoy, après quelques heures de doute, ont annoncé qu’ils voteraient la censure. Les 5 députés basques nationalistes se sont alors retrouvés sans l’avoir voulu en faiseurs de Roi. Refusant in fine de sauver Mariano Rajoy, et après avoir obtenu du PSOE l’assurance que les avantages budgétaires négociés avec le PP seraient maintenus, ils se sont ralliés au cartel des « Non » et ont permis une alternance.

Alternance insolite. Alternance sans dénominateur commun. Hormis un rejet unanime du Parti populaire. Ciudadanos (droite) qui poussait Rajoy à démissionner n’a finalement pas voté la motion de censure. Podemos, les nationalistes basques et les indépendantistes basques et catalans l’ont soutenu avec des arrière-pensées parallèles et divergentes. Le retour devant les électeurs est d’ores et déjà posé. Avec 84 députés sur 350, le PSOE n’a aucune marge de manœuvre. Sans alliés, il peut tout au plus composer des majorités de circonstances sur des projets de loi consensuels. L’annonce d’un gouvernement monocolore acte cette réalité. Sans doute, Pedro Sanchez va-t-il proposer de telles mesures, comme celle de recourir aux élections sur une initiative symbolique de son choix, qui serait rejetée par le parlement.

Exercice difficile et risqué pour un PSOE bousculé par une partie de son électorat qui l’a abandonné pour rejoindre les files de Ciudadanos et de Podemos. Pour un PSOE qui peine à gérer collectivement la conjoncture politique et régionale. Les « barons » régionaux n’en finissent pas d’entraver le processus plus progressiste et réformateur que Pedro Sanchez et la majorité des militants de base souhaitent insuffler.

Le nouveau président du gouvernement espagnol, en effet, est le principal atout d’un horizon plus prometteur pour le socialisme espagnol. Sans doute comme certains commentateurs l’ont souligné, il a une baraka étonnante. Mais sa survie politique doit beaucoup à deux éléments, qui combinés, permettent de relativiser la divine surprise de son arrivée à la présidence du gouvernement. Premier facteur explicatif, Pedro Sanchez agit en cohérence avec ses principes. Démissionné de sa responsabilité de secrétaire général du PSOE le 1er octobre 2017, par les « barons » régionaux, il a quelques jours plus tard abandonné son mandat de député. Il refusait de laisser gouverner Mariano Rajoy et le PP. Discipliné et pour ne pas avoir à s’abstenir au Parlement comme l’avait décidé la direction du PSOE, il a préféré se mettre en congé de parlement, et a immédiatement engagé la bataille sur le « Non à Rajoy » au sein du PSOE. Campagne gagnée à la force du poignet, de section en section. Le 21 mai 2017, il a emporté la primaire socialiste haut la main face à un poids lourd institutionnel, la présidente de la région andalouse, soutenue par plusieurs de ses collègues et les anciens secrétaires généraux, à commencer par Felipe Gonzalez. Deuxième facteur porteur de lendemains prometteurs pour les socialistes espagnols, Pedro Sanchez a été élu secrétaire général sur une ligne progressiste et démocratique. Elle est sans concession pour le Parti populaire, ouverte au dialogue et cela dans le respect des institutions avec les indépendantistes catalans. Sa motion de censure a opportunément et sans doute bénéficié de circonstances judiciaires. Mais seul, il était en condition de la faire prospérer en raison de sa cohérence et de son aptitude au dialogue raisonné.

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[1] L’instruction a été ouverte le 6 février 2009 par le juge Baltazar Garzon

[2] Congrès élu en 2016 :

PP :137/PSOE :85/Podemos : 71/Ciudadanos :32/ERC (ind. Cata) : 9/CiU (ind Cat) : 8/PNV : 5/Bildu (ind basque) : 2/CC (régionaliste canarien) :
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