ANALYSES

Birmanie : violents combats en région Kokang, une nouvelle ‘piqure de rappel’ au pays de La Dame

Tribune
8 mars 2017
D’ici quelques semaines, la République de l’Union du Myanmar – la Birmanie pour tout un chacun – célébrera le tout premier anniversaire du gouvernement de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), de l’emblématique et mondialement appréciée Aung San Suu Kyi. Le 31 mars 2016, cinq long mois après un franc succès électoral enregistré à l’occasion du premier véritable scrutin démocratique organisé en Birmanie depuis des décennies (8 novembre 2015), l’administration menée par l’ancien prix Nobel de la paix entrait solennellement en fonction. Elle succédait au premier gouvernement post-junte militaire du Président Thein Sein (2011-2016) ; un chef de l’Etat, qui, après avoir exercé des fonctions de première importance du temps des militaires (ex-Premier ministre de la junte), endossa un costume plus civil. Une mue relative, dont le dessein était d’accompagner les premières années d’une transition démocratique. Cette dernière était appelée de ses vœux par une population éreintée par un demi-siècle de mainmise de l’institution militaire sur le destin national, et ardemment souhaitée par une communauté internationale – occidentale serait plus juste – aux appétences démocratiques contrariées jusqu’alors en ces terres Sud-Est asiatiques, baignées d’un bouddhisme à l’occasion militant.

Aung San Suu Kyi n’a pu personnellement succéder à Thein Sein, la faute à une disposition pour le moins étonnante de la Constitution de 2008 (‘’inspirée’’ par la plume rigide des militaires). Il en fallait naturellement davantage à cette opposante tenace (astreinte à une quinzaine d’années en résidence surveillée) et passionaria de la cause démocratique pour contrarier ses projets. À défaut de présidence dans le droit, un poste créé sur mesure de conseillère d’Etat additionné à un portefeuille de ministre des Affaires étrangères lui confient a priori l’autorité politique nécessaire[1], tant auprès de ses administrés que d’une communauté internationale ravie de composer, de gouvernement à gouvernement désormais, avec cette dernière.

Pour autant, cette transition en douceur entre ces deux administrations à l’ADN politique pour le moins distinct (militaro-civil pour le gouvernement Thein Sein ; civilo-démocratique pour l’administration au pouvoir aujourd’hui) n’a pas épuré la feuille de route du gouvernement LND d’une kyrielle d’hypothèques et de maux plus délicats à gérer les uns que les autres. Si elle n’est plus directement au pouvoir, la très influente institution militaire est fort loin de la périphérie de l’autorité[2] et ne rend pas exactement compte de sa feuille de route personnelle à Aung San Suu Kyi. Le processus de paix, élevé au rang de priorité nationale par La Dame lors de son intronisation, peine un an plus tard à convaincre l’ensemble des parties prenantes (à commencer par les groupes ethniques armés) de sa viabilité, tant les efforts de dialogue menés ces six dernières années se heurtent à une nette recrudescence des affrontements. Ces derniers mettent aux prises en divers points du territoire (Etats Shan et Kachin notamment) l’armée régulière (la tatmadaw) face à une demi-douzaine de groupes ethniques armés (regroupés au sein d’une Northern Alliance-Burma pour quatre d’entre eux), comme en témoignent les événements des tous derniers jours dans la région Kokang (Etat Shan) et leur lot de victimes (une trentaine de morts).

On pourrait également associer à ces contingences et revers rédhibitoires la situation de crise prévalant depuis – à minima – octobre 2016 dans le fragile Etat occidental de l’Arakan. Dans cet État, une importante opération contre-insurrectionnelle menée par la tatmadaw aurait officiellement pris fin début mars 2017. Un périmètre sensible qui aurait été le théâtre – dans la foulée de l’attaque meurtrière début octobre 2016 de plusieurs poste-frontaliers du Bangladesh par des militants rohingyas radicalisés – de violences et d’excès divers de la part des forces de sécurité. Au point que diverses agences et autorités onusiennes, ainsi que plusieurs gouvernements asiatiques (Malaisie, Pakistan et Bangladesh) demandent retenue et explications au gouvernement birman. Le gouvernement civil LND est par ailleurs mal à l’aise sur le sujet, tant la conduite et le contrôle des affaires de défense et de sécurité lui échappent. Elles relèvent en effet de l’autorité exclusive des généraux, donc du senior-general et chef des armées birmanes Min Aung Hlaing, sur lequel le gouvernement et Aung San Suu Kyi n’ont guère de prise…

Il n’empêche, un an après sa prise de fonction très attendue, les 55 millions de Birmans et la communauté internationale (grandes capitales occidentales ; institutions de défense et de protection des droits de l’homme ; société civile et ONG) ont toujours, et quasi-exclusivement, le regard tourné vers The Lady pour tout et son contraire, du faisable à l’impossible. A tort bien entendu.

Loin de l’omnipotence, l’administration LND et sa charismatique figure de proue composent avec l’institution militaire, en plus de leur inexpérience dans la gestion des affaires nationales (ne parlons pas de l’hypercentralisation du processus de décision autour d’Aung San Suu Kyi) et d’un pool d’expertise parfois sujet à caution. L’appareil militaire est toujours terriblement influent, il campe sur ses prérogatives exorbitantes et déroule sa propre feuille de route. Une roadmap pas nécessairement toujours calée sur celle des autorités civiles, pour dire le moins (cf. implication dans le processus de paix).

Face aux attentes populaires considérables nées de l’accès de la LND aux plus hautes responsabilités civiles, le gouvernement birman déploie bonne volonté, soutien extérieur, appel à la concorde et à la réconciliation nationale, et quémande aussi un brin de patience et de mansuétude. Si le bilan de ses douze premiers mois d’exercice peut donner matière à appréciation critique, le ‘’bénéfice du doute’’ lui profite encore. Rien qui ne menace en l’état la poursuite de son difficile apprentissage des affaires de l’Etat.

En revanche, La Dame et son équipe rapprochée devront très certainement se passer ces prochains mois d’une quelconque bienveillance de l’influente tatmadaw, voire, situation plus problématique encore, se trouver en porte-à-faux avec elle sur certains dossiers sensibles (poursuite des hostilités en zone ethnique ; participation de certains groupes ethniques armés au processus de paix ; validation de grands projets industriels ; sort de la communauté rohingya ; etc.). Des perspectives déplaisantes que l’on ne souhaite guère à La Dame mais auxquelles l’opiniâtre lauréate du prix Nobel de la paix et l’opinion feraient bien de se préparer.

[1] Les responsabilités de chef de l’Etat échoient par ailleurs à un de ses proches – U Htin Kyaw -, lequel se cantonne depuis lors à des activités protocolaires secondaires et ne fait guère d’ombre à La Dame.

[2] Il revient par exemple au commandant en chef des armées birmanes de nommer trois ministres régaliens sans en référer au président ou au Parlement : les ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières. Par ailleurs, un quart des sièges dans les diverses assemblées sont réservés, hors de tous scrutins, aux militaires.
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