Entretiens / Climat, environnement, sécurité
25 mars 2025
Les attaques de l’administration Trump II contre le climat, l’environnement et la biodiversité

Alors que l’urgence climatique s’amplifie, la nouvelle administration américaine, sous l’égide climatosceptique de Donald Trump, opère un violent retrait des engagements climatiques et environnementaux du pays. Marqué par un affaiblissement du financement de la recherche, ce revirement suscite le soulèvement de la communauté scientifique qui fait savoir son mécontentement à travers des manifestations comme celle de « Stand Up for Science », du 7 mars dernier. Quelle est l’ampleur du désengagement des États-Unis sur ces questions ? Quel impact sur les sciences du climat ? Quelles en seront les conséquences sur la coopération internationale sur l’environnement et les changements climatiques ? Le point avec Eléonore Duffau, chercheuse à l’IRIS au sein du programme Climat, environnement et sécurité.
Comment Donald Trump et son administration menacent-ils les sciences du climat ?
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump mène une lutte frontale, méticuleuse et organisée contre la recherche et contre la science. Les universités et les chercheurs qui produisent des connaissances en sciences humaines et sociales et en sciences de la nature sont visés par des attaques multiformes (perte de financements, censure, menaces, licenciements, etc.) extrêmement préoccupantes pour les libertés académiques et la recherche libre. Les sciences du climat, la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques sont particulièrement ciblées par l’administration Trump qui menace d’une part les progrès réalisés aux États-Unis, et d’autre part la coopération internationale scientifique et politique sur ces enjeux. Alors que 2024 était l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures moyennes mondiales supérieures de 1,55°C par rapport au niveau préindustriel, ce frein à l’action climatique est alarmant. En effet, les États-Unis sont des acteurs clés dans la construction des sciences du climat, cruciales pour comprendre les effets des changements climatiques sur nos sociétés et donc pour élaborer des solutions adaptées. 23 % des études scientifiques sur les changements climatiques émanent d’au moins un scientifique basé aux États-Unis depuis 2020 (contre 5 % pour la France). La moitié du réseau mondial d’observations océaniques provient également d’équipements américains. La suppression de sections consacrées aux changements climatiques sur les sites de l’administration et l’interdiction d’utiliser certains mots associés à l’environnement, au climat ou encore à l’énergie propre dans des publications académiques sous peine de la perte de financement sont de véritables freins à la production et à la diffusion de savoirs aux États-Unis et dans le monde.
Quelles sont les mesures prises par l’administration Trump à l’échelle américaine pour freiner la lutte contre les changements climatiques et la protection de l’environnement ?
Ces attaques sur les budgets et les effectifs de l’administration Trump ont déjà affecté plusieurs agences américaines consacrées au climat et à l’environnement. L’Agence nationale pour l’Océan et l’atmosphère (NOAA) des États-Unis qui joue un rôle clé dans la recherche sur le climat, la météo et les ressources marines au niveau mondial a été l’une des premières cibles de ces attaques. Ainsi, 1300 employés ont déjà quitté l’agence, fragilisant les prévisions météorologiques, dont le suivi des ouragans, et mettent en péril l’élaboration de la nouvelle génération de modèles de climat, les systèmes d’alerte précoces aux catastrophes, l’élaboration de cartes pour les bateaux, ou encore la survie des pêcheries, etc. L’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA) a également licencié environ 1000 personnes, ce qui pourrait nuire à la sécurité des Américains en cas d’évènements climatiques extrêmes. Le nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) Lee Zeldin a annoncé la réduction du budget de l’agence de 65 % et donc une vague de licenciements massive. Des services chargés des missions de justice environnementale, qui s’occupaient depuis des décennies de lutter contre la pollution affectant les populations défavorisées aux États-Unis ont été fermés. L’administration démantèle, ou prévoit de démanteler, méthodiquement de nombreuses réglementations environnementales fondamentales pour la protection de l’environnement dans le pays, sur lesquelles se basent l’EPA pour accomplir ses missions. Ces réglementations limitent notamment la pollution des véhicules, des centrales thermiques à charbon ou des opérations pétrolières et gazières, la pollution chimique des cours d’eau et des terres et les émissions de gaz à effet de serre. Toutes ces lois protégeant l’environnement et la santé des Américains pourraient disparaître, supprimant toutes les barrières environnementales aux industries fossiles et aux industries polluantes. Le gouvernement a, en ce sens, annoncé la réduction des exigences de transparence climatique des entreprises.
Dans le domaine de l’énergie, Donald Trump réaffirme son attachement aux énergies fossiles en accélérant l’exploitation des ressources énergétiques américaines et met un frein à la transition lancée par Joe Biden. Il a ainsi décrété une « urgence nationale énergétique » et a annoncé la simplification des réglementations environnementales pour l’exploitation des énergies fossiles et des ressources minières. Les agences fédérales doivent également accélérer la délivrance de permis et favoriser l’exportation de gaz naturel liquéfié, dans une logique de développement des industries fossiles américaines, donnant ainsi des gages aux soutiens financiers de sa campagne présidentielle. L’administration a également gelé l’approbation de tout nouveau projet d’énergies renouvelables sur des terrains publics aux États-Unis et arrêté l’approbation de nouveaux projets d’éoliens. En outre, Trump a sonné le désengagement financier pour des projets d’énergies renouvelables à l’étranger, ainsi que la fin des subventions fédérales en faveur des véhicules électriques, qui avait été initiée par Joe Biden dans le cadre du Green New Deal.
La coopération internationale sur l’environnement et les changements climatiques est-elle affectée par ces attaques ?
Sans surprise, l’administration a, à nouveau, sorti les États-Unis de l’Accord de Paris, comme cela avait été fait lors du premier mandat de Donald Trump, avec une sortie officielle prévue pour janvier 2026. L’Accord de Paris est le principal outil international de lutte contre les changements climatiques et cette sortie compromet d’une part l’atteinte des objectifs climatiques du pays (qui est pour rappel le deuxième pollueur mondial et le premier pollueur historique), et d’autre part freine les efforts mondiaux visant à freiner le réchauffement de la planète. Afin de rester sous la barre des 2°C d’augmentation de la température moyenne mondiale, Joe Biden s’était engagé à réduire les émissions américaines de gaz à effet de serre de plus de 60 % d’ici 2035 par rapport à 2005, et surtout d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce retrait, et le retour en arrière entrepris par Donald Trump à un niveau national, freinerait considérablement ces engagements.
De plus, la scientifique en cheffe de la NASA Katherine Calvin, co-présidente du groupe 3 du GIEC consacré aux solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s’est vu interdire de participer à la dernière réunion du GIEC en Chine fin février pour voter le calendrier des prochaines publications, avant d’être licenciée début mars. La NASA a également mis fin au contrat de l’équipe qui l’aidait à animer ce groupe, mettant en péril son travail tout entier. Le calendrier du GIEC n’a pas pu être voté, ce qui ralentit le travail de collecte des données scientifiques sur le climat, et donc la poursuite des efforts mondiaux pour réduire les effets des changements climatiques.
Le désengagement américain s’illustre enfin à travers la diminution des financements climatiques : le versement de 4 milliards de dollars pour le Fonds vert des Nations unies, qui sert à l’adaptation des pays en développement a été annulé. L’agence américaine pour l’aide au développement, USAID, dont le démantèlement est également engagé, avait contribué à hauteur de 3 milliards de dollars au financement climatique en 2024. Les programmes de coopération et de partage d’informations sur le climat subissent aussi ce retrait. En effet, l’administration a annoncé la fin du partage de données sur la qualité de l’air dans le monde entier, recueillies par ses ambassades et consulats américains, menaçant la surveillance cruciale de la pollution dans le monde et l’amélioration de la santé publique, ainsi que l’interruption d’un système d’alerte précoce des sécheresses en Afrique. Autre exemple, les scientifiques américains de la NOAA ont interdiction d’échanger avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (l’IFREMER) sur les recherches en Atlantique Nord. Si les liens devaient être définitivement coupés avec les États-Unis, la France ne serait plus en mesure d’accéder aux données collectées par les 4 000 flotteurs autonomes déployés à travers les mers dans le cadre d’un programme de surveillance de la température et de la salinité de l’océan. Ces annonces ont secoué la communauté scientifique et les acteurs de la lutte contre les changements climatiques, car elle sonne un véritable retour en arrière sur tous les aspects de la protection de l’environnement et du climat, et menace directement la santé et la sécurité humaines aux États-Unis et dans le monde. La justice américaine peut annuler certains de ces décrets lorsqu’ils seront pris, mais le temps est compté, car chaque dixième de degré supplémentaire entraîne des conséquences dramatiques sur le climat, et que les émissions de gaz à effet de serre doivent être drastiquement diminuées si nous voulons rester sous la barre des 2°C.