La vie de l'IRIS

Droit de réponse de Pascal Boniface à Caroline Fourest

20 décembre 2006

" Sur votre blog (http://carolinefourest.canalblog.com) le 12 octobre 2006, vous n'avez pas apprécié le jugement que je porte sur l'attribution du prix du livre politique à " La tentation obscurantiste ". Que ce jugement vous déplaise, je le conçois. Mais contrairement à ce que vous écrivez, je l'ai lu attentivement (il est vrai pas vos autres livres, mais je ne parle pas de ceux-là). Pardonnez-moi je persiste à le trouver simpliste, bien qu'étant habile politiquement. Les commentaires que vous faites de mes propos conduisent à émettre de sérieux doutes sur vos méthodes et sur la différence entre vos convictions proclamées et vos orientations réelles.


Vos critiques à mon égard sont en fait des insinuations qui ne sont basées sur aucun argument fondé. Cela ne me paraît pas compatible avec un véritable débat intellectuel pour lequel je suis toujours disponible, comme le prouve justement le livre que nous avons co-écrit avec Elisabeth Schemla. Vous me présentez comme " très critique envers Israël, beaucoup moins envers les Palestiniens côté international, ultra-sensible à l'islamophobie et moins vigilant face à l'islamisme et l'antisémitisme côté français ". Le problème est que cela est faux, et que vous seriez bien en peine de le démontrer en vous fondant sur mes écrits. Ce n'est d'ailleurs pas ce que pense de mes écrits et interventions la grande majorité du public. Cette thèse que vous relayez est en effet celle constamment développée contre moi par une petite minorité des défenseurs inconditionnels d'Israël, dont vous rejoignez donc l'argumentation, marquant ainsi vos propres préférences.


Lorsque vous écrivez que ma note interne invitait le Parti socialiste à se préoccuper davantage de l'électorat arabe que juif, là encore vous énoncez une contre-vérité, reprenant une fois encore une argumentation calomnieuse développée contre moi avec constance par les ultras pro-israéliens. Ma note recommandait au contraire non pas de faire jouer le poids des communautés, mais de s'appuyer sur des critères universels.


J'écrivais en effet : " A miser sur son poids électoral pour permettre l'impunité du gouvernement israélien, la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d'origine arabe et/ou musulmane s'organise également, voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera plus vite lourd, si ce n'est déjà le cas. Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels, et non le poids de chaque communauté ". Loin de prôner le communautarisme j'en dénonçais donc le danger.


De deux choses l'une : soit vous l'ignorez et vous vous permettez de me mettre gravement en cause sans avoir pris la peine de vérifier la véracité de vos accusations, ce qui en dirait long sur le sérieux de vos méthodes. Soit vous déformez sciemment mes propos et ma pensée, et alors ce serait votre honnêteté intellectuelle qui serait en cause.


Dans un procès intenté contre le journal Tecknikart qui reprenait cet argument, un jugement du tribunal de Paris a d'ailleurs explicitement, affirmé : " Ce document au ton mesuré constitue une analyse, laquelle peut être approuvée ou critiquée, de la situation au Proche-Orient comme de la façon dont elle est perçue en France et propose au Parti Socialiste d'adopter une position plus juste, aux yeux de son auteur, et plus conforme à l'intérêt bien compris des deux communautés particulièrement concernées sur le territoire national par le conflit. N'évoquant qu'en passant et pour mieux convaincre ses destinataires des considérations liées au poids électoral relatif des dites communautés, ce document est clairement dénaturé par le résumé sommaire et partial que Benoît SABATIER en a proposé ".


Passons sur la façon dont vous résumez les attaques portées contre moi lors de la polémique déclenchée par l'Ambassadeur d'Israël en France. Vous parlez d'un " pugilat médiatique " dont je dessinerais les contours avec une " émotion à la limite du rationnel ". Ceux qui m'ont lu auront du mal à reconnaître mes écrits dans votre description.


Par ailleurs, cette affaire ne s'est pas résumée à un simple " pugilat médiatique " comme vous l'affirmez, puisque j'ai subi des menaces de mort et j'ai été lourdement sanctionné professionnellement. Entre autres exemples, j'ai failli perdre mon poste de directeur de l'IRIS. Comme la manœuvre n'a pas réussi, l'IRIS a été sévèrement attaqué et a même failli devoir fermer. Tout ceci pour avoir osé critiquer la politique d'un gouvernement étranger. Je ne me rappelle pas qu'à l'époque, vous et vos amis, ayez défendu le principe de liberté d'expression pour venir à mon secours, comme vous le faites dans d'autres circonstances. Il est vrai que certains de vos amis ont eux-mêmes sonné la charge. Le moins que l'on puisse dire est que le principe voltairien " je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez vous exprimer ", très en vogue aujourd'hui, n'a guère été évoqué à l'époque.


Je note que vous semblez au contraire regretter que je puisse continuer à m'exprimer dans les médias, malgré mon " évidente partialité ". Certes, quelques-uns de vos amis ont bien essayé de me priver du droit de m'exprimer. Ils n'y sont parvenus que partiellement. Quant à la partialité que vous m'attribuez, vous seriez bien en peine de l'étayer dans un débat contradictoire. Vous établissez un parallèle entre les critiques que je vous porte et celles qui vous ont été adressées par Tariq Ramadan qui vous a qualifiée de " sioniste ". Pour moi, le qualificatif de " sioniste " n'est pas un terme offensant ou une critique. Sans doute cette comparaison entre M. Ramadan et moi-même est-elle faite pour que je sois l'objet de la même diabolisation. Je remarque que les mêmes qui défendent aujourd'hui Robert Redeker ont voulu priver Tariq Ramadan d'expression.


Affirmation gratuite encore et mensongère, lorsque vous écrivez que je donne une " vision essentialisée obscure, comme si les médias formaient une police de la pensée entre les mains de nombreux journalistes juifs ". L'affirmation se veut là sournoise. Cela devient franchement ridicule lorsque vous affirmez que parce qu'Elisabeth Schemla était juive et journaliste, elle a été écartée des médias. Oseriez-vous affirmer qu'il y a des interdictions professionnelles en France contre les journalistes juifs ? Mais de façon assez amusante, vous déclarez ensuite qu'heureusement " existe encore l'édition pour remettre certaines pendules à l'heure". Effectivement, il est plus facile de se faire publier en critiquant l'Islam, même à l'emporte-pièce, qu'en faisant une critique raisonnée (comparable à celles que l'on entend régulièrement en Israël).


Je comprends que l'attitude de quelqu'un comme moi, qui continue à dire ce qu'il pense et non ce qu'il pense avoir intérêt de dire, même s'il est conscient que cela peut lui susciter de nombreux désagréments, puisse vous laisser perplexe. Pour ne pas vous connaître personnellement, je ne jugerai pas de la sincérité ou non de vos convictions, mais la malhonnêteté avec laquelle vous déformez mes propos me laisse quelques doutes. Ce qui est certain, c'est que vos convictions n'ont pas nuit à vos intérêts et que tout en affirmant faire la différence entre musulmans modérés et fanatiques, vous jetez un opprobre global sur les musulmans et venez ainsi donner une caution, qui se veut de gauche, à la thèse du choc des civilisations.


En écrivant " La tentation obscurantiste " vous avez surtout cédé à la tentation opportuniste.

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