ANALYSES

Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) : l’opacité des négociations en question

Interview
23 juin 2015
Le point de vue de Sylvie Matelly
Les négociations sur le traité de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis ont débuté en 2013 et devaient initialement se dérouler sur deux ans. Pourtant, la conclusion d’un tel accord semble compromise pour 2015, voire impossible. Sur quoi porte concrètement cet accord ?
Il faut rappeler que les négociations en vue de créer une zone de libre-échange transatlantique ne datent pas de 2007. Les relations commerciales entre les deux régions sont très fortes et ce projet de zone de libre-échange existe depuis de nombreuses années, largement soutenu par les acteurs économiques, puisque le premier partenaire commercial de l’Europe sont les États-Unis et inversement. Les négociations ont été très intenses dans les années 90 mais ont ralenti au début des années 2000 notamment pour des raisons géopolitiques et stratégiques. C’est à l’occasion de la crise financière et économique de 2008 et l’arrivée de Barack Obama aux affaires la même année que l’idée de négocier un traité a été relancée. Dans le contexte de la crise économique et du poids économique croissant des pays émergents, les États-Unis ont réellement pris conscience qu’il était nécessaire de renforcer l’axe des pays ayant les économies les plus avancées afin de consolider leurs liens face à des pays émergents – Chine en tête, mais pas seulement – de plus en plus agressifs dans le commerce international. La critique souvent adressée par les économies développées aux pays émergents est de faire du dumping social et environnemental là où les pays « riches » pâtissent de régulations et de normes qui, dans ces domaines, réduisent leur compétitivité comparée à celles de ces pays. Réduire les barrières entre ces deux grands marchés que constituent l’Europe et les États-Unis est alors un moyen d’améliorer cette situation sans avoir à rogner sur les normes.
Un autre élément qui a aussi joué dans la relance des négociations est la difficulté de parvenir à un accord sur le cycle de négociations de Doha au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A défaut d’un accord global au sein de l’organisation, la négociation d’un accord transatlantique est apparue comme une solution alternative.
Sur le fond des négociations, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP ou TAFTA en anglais) est un traité de libre-échange qui repose sur la création d’une grande zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis qui, à terme, pourrait inclure les deux autres pays de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), à savoir le Canada et le Mexique. Il y a actuellement, sur ce dernier point, des accords en négociation entre l’Europe et ces deux pays. Cette zone de libre-échange aura pour but de réduire voire de supprimer les droits de douane, offrir de nouvelles possibilités d’accès aux marchés des services, faciliter l’accès aux marchés publics pour les entreprises dans les deux régions, etc. En bref, il devrait contenir tous les attributs d’une zone de libre-échange classique.

Déjà décriée lors des négociations avortées de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) et de l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), l’opacité qui entoure les négociations est-elle justifiée selon vous ? Comment s’explique-t-elle ?
Il est bien sûr toujours contestable de manquer de transparence, surtout dans le cadre de négociations d’une telle ampleur et qui pourraient avoir d’importantes conséquences pour les citoyens et les consommateurs des deux régions. Cependant, les négociations sont extrêmement compliquées et touchent à des sujets et des secteurs extrêmement sensibles. On le voit avec les réactions qui en découlent…
Par conséquent, une trop grande transparence, à un moment où l’on affiche des positions qui sont nécessairement amplifiées par le fait même de la négociation – c’est-à-dire que l’on négocie le tarif au plus haut ou au plus bas pour se donner une marge de manœuvre dans les négociations -, c’est aussi prendre le risque de soulever des controverses, des critiques, voire des oppositions massives sur tel ou tel aspect du dossier, et donc de le bloquer alors que l’on ne faisait qu’aborder la négociation. Les organisations non gouvernementales (ONG) en s’exprimant prennent parti dans cette négociation et comme tout négociateur, elles affichent elles-aussi des positions amplifiées, voire extrêmes. Ces positions ont d’autant plus d’accroches dans les opinions publiques que nous sommes en crise – crise économique et crise de l’Union européenne -, souvent attribuée par les opinions publiques au libéralisme. Dans ce contexte et pour espérer avoir des chances d’aboutir, les négociateurs ont préféré choisir la discrétion. On peut contester ce choix mais on peut aussi le comprendre. C’est toute la contradiction de ce type de négociations. Il y a une demande légitime de transparence de la part des observateurs mais être trop transparent sur des négociations qui sont parfois mal comprises, c’est prendre le risque de déclencher un certain nombre de critiques voire d’oppositions.

Cette opacité des négociations provoque en effet une profonde inquiétude et un refus catégorique de l’accord par de nombreux mouvements citoyens. Ces derniers peuvent-ils selon vous réussir à faire échouer le projet du TTIP ?
Très clairement, c’est un risque. Qui plus est, la difficulté en Europe est probablement qu’outre les opinions publiques, les négociations sont menées par vingt-sept États qui n’ont pas tout à fait les mêmes intérêts à défendre dans les discussions. Il est vrai que la Commission européenne est dans une situation extrêmement délicate où elle fait face à des opinions publiques et à des États européens qui ne partagent pas les mêmes points de vue. C’est à mon sens la grande faiblesse des négociations en Europe. Le risque majeur est que si l’on parvient à un accord, ce dernier pourrait être défavorable à l’Union européenne dans la mesure où celle-ci aura eu les pieds et poings liés dans la négociation, à la différence des États-Unis où les choses sont un peu plus simples.
A côté de cela, il me semble que les institutions européennes n’ont pas su mettre en œuvre la transparence nécessaire vis-à-vis des ONG et des opinions publiques, ce qui est dommage. Si on était parvenus à une compréhension de l’accord par les ONG, elles auraient certainement pu permettre de rallier et de convaincre les États à suivre ces négociations. L’Union européenne aurait été dans une position un peu plus favorable. Ceci étant, la démocratie et les institutions européennes sont toujours un sujet assez problématique… L’opposition de la société civile sur ce traité de libre-échange est également à relier au contexte actuel de crise économique. Les ONG sont extrêmement remontées par rapport à la mondialisation, à l’économie ou au libéralisme, et face à des comportements d’acteurs qui sont à juste titre décriés dans cette crise et ayant pris des risques démesurés mais qui n’en payent pas forcément le prix. A l’heure actuelle, les ONG et les opinions publiques sont dogmatiques car le contexte est particulièrement tendu. Pour cette raison, le manque de transparence dans les négociations sur le TTIP apparait comme une volonté de tromper les citoyens alors que cela n’était pas, à mon sens, l’objectif initial.
Le dossier est sensible et les négociations peuvent échouer, pas seulement à cause des opinions publiques, mais parce que le contexte n’est pas très favorable. L’Europe et les États-Unis ont engagé ces discussions dans un contexte difficile dans le but de dépasser les difficultés économiques et relancer la croissance, sans anticiper que ce contexte difficile était aussi évolutif. Pour cette raison, Barack Obama a été extrêmement ferme dans son souhait de voir les négociations aboutir rapidement. Le calendrier était volontairement très ambitieux puisque les choses pouvaient bouger à court terme. Finalement, le risque était de se heurter très vite à des difficultés, ce qui s’est confirmé.
Sur la même thématique
Une diplomatie française déboussolée ?