ANALYSES

A quelques mois de la COP21, quel état des lieux sur les engagements des Etats ?

Interview
9 avril 2015
Le point de vue de Bastien Alex
Le 31 mars était la première date butoir de la remise des « contributions nationales » des 195 pays États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Pour le moment, seuls trente-quatre pays ont officialisé leurs engagements, dont les vingt-huit États de l’Union européenne. Comment interpréter cet état des lieux ?

Il faut avant tout rappeler qu’il n’y a avait aucune obligation pour les États de présenter leurs engagements, ce terme ayant d’ailleurs été remplacé par celui de « contributions », à connotation moins contraignante. La date du 31 mars était en réalité une date butoir permettant d’inciter les États qui étaient « prêts à le faire » – formule retenue lors de la COP20 à Lima – c’est-à-dire à envoyer leurs contributions au secrétariat de la CCNUCC. Donc pas de grande surprise sur ce point. On observe en revanche une sorte de confirmation des engagements qui avaient déjà été pris, notamment par la Chine et les États-Unis dans le cadre de l’accord qu’ils avaient signé en novembre 2014. De la même manière, l’Union européenne réitère les mêmes objectifs, déjà dévoilés dans le cadre de son paquet énergie-climat 2030. Le seul point véritablement nouveau et encourageant au travers de cette première étape, est que les trente-quatre pays ayant déclaré leurs engagements représentent 30% des émissions mondiales. C’est positif, mais il est encore trop tôt pour dire si cela sera décisif. Rappelons que l’entrée en vigueur du premier Protocole de Kyoto était conditionnée à la ratification d’un nombre de pays industrialisés regroupant a minima 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La deuxième version de Kyoto, ne rassemblait plus que des pays responsables de seulement 15% des émissions totales.
On a tendance à se focaliser sur la Chine et sur les États-Unis en matière de négociations climatiques, ce qui fait sens puisque ce sont les deux premiers émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre. En revanche, la question de l’Inde est quelque peu passée sous silence. Le Premier ministre Narendra Modi, a déclaré avant de partir pour sa visite de trois jours en France le 9 avril que l’Inde n’était pas prête à sacrifier sa croissance sur l’autel du changement climatique. Le jeu de l’Inde dans les négociations sera ainsi particulièrement intéressant.

 

Si quelques gros pollueurs mondiaux ont joué le jeu, d’autres comme le Japon, le Brésil ou le Canada paraissent beaucoup plus sceptiques. Pourtant, l’objectif de la COP 21 est bien d’arriver à un accord mondial juridiquement contraignant pour tous et à la hauteur des défis climatiques à relever. Cet objectif vous semble-t-il illusoire ? Quelle est la stratégie de la France qui préside ce rendez-vous pour arriver à ses fins ?

L’objectif de la COP21 est effectivement d’arriver à un accord mondial juridiquement contraignant. Toutes les personnes bien informées sur cette question s’accordent à dire qu’il y aura vraisemblablement un accord dans la mesure où il y a une vraie volonté de parvenir à un résultat et d’éviter que ne se reproduise le traumatisme de Copenhague en 2009. De mon point de vue, cet accord sera une pierre supplémentaire apportée à l’édifice, mais insuffisant pour relever le défi climatique aujourd’hui posé à la communauté internationale (limiter le réchauffement à 2°C).
Pour sa part, la France connait une présidence assez compliquée. Il faut préciser que le Pérou reste le président officiel de la COP jusqu’au 30 novembre 2015, date du début de la COP21. Toutefois, le rôle de la France et la stratégie qu’elle a choisi d’adopter, en amont de ce Sommet, est multiple. La France n’a en effet pas pour volonté de se focaliser uniquement sur cet accord juridiquement contraignant, dans le cas où ce dernier ne serait pas suffisamment ambitieux – ce qui sera vraisemblablement le cas. La stratégie française repose donc sur quatre composantes. La première concerne l’accord en lui-même agrémenté de l’idée d’une réactualisation cyclique, de revue régulière des engagements. La seconde est l’idée des contributions nationales à proposer avant le Sommet, l’objectif étant de rassembler toutes les contributions des États au plus tard le 1er octobre, pour qu’elles puissent être synthétisées dans le rapport qui sera distribué à tous les participants le 1er novembre.
Ces contributions permettront à l’ensemble des États d’envoyer des signaux positifs quant à leur bonne volonté dans les négociations ou au contraire de les discréditer. La France pourra ainsi anticiper le contenu de l’accord et limiter sa responsabilité en cas d’échec des négociations, en arguant que de mauvaises contributions auront nécessairement mis à mal l’accord.
Ensuite, la France souhaite aborder la question des financements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Laurence Tubiana, représentante spéciale de la France pour la COP21, porte d’ores-et-déjà un message sur la réorientation des investissements dans l’économie, objectif qui s’avère compliqué dans la mesure où la CCNUCC n’a pas de pouvoir de coercition sur les États à ce sujet.
Enfin, le quatrième pilier de la stratégie française est l’Agenda des solutions auquel participent les acteurs de la société civile que ce soient les ONG, les collectivités territoriales ou encore les entreprises. Cet Agenda porte sur toutes les solutions allant dans la direction d’une réduction des émissions, de l’augmentation de l’efficacité énergétique et de solutions innovantes pour lutter contre le changement climatique.

 

Lundi 6 avril, un rapport sur le gaz de schiste commandé en 2012 et finalisé en 2014 a refait surface dans les médias. Ce rapport vante les multiples bénéfices économiques procurés par l’exploitation des huiles et gaz de schiste, tout en évinçant ou minimisant les impacts écologiques qui y sont liés. Est-ce un faux débat selon vous ?

Le rapport qui a été repris par la presse évoque une technique de fracturation via le propane, qui n’est pas une technologie mature et qui a été présentée par certains journaux comme la panacée à tous les problèmes posés par la fracturation hydraulique. Ce n’est pas le cas : cette technique n’est pas viable et n’est pas utilisée pour exploiter les gisements de gaz de schiste aujourd’hui.
On sait que le boom énergétique américain est lié à l’exploitation des gaz de schiste. Cette dernière a provoqué des dégradations environnementales assez importantes, sans véritable encadrement, ce qui est finalement toujours le cas lorsqu’on se trouve face à un phénomène de ruée vers une ressource. Le boom a également pu avoir lieu aux États-Unis, dans la mesure où ils réunissaient beaucoup de conditions favorables à l’exploitation comme la disponibilité en eau, la faible densité de population, un tissu d’entreprises, une faible sensibilité environnementale jusqu’alors au niveau de la population américaine et un code minier très favorable. Encore une fois, ces conditions n’existent pas dans d’autres pays et certainement pas en France où le code minier est totalement différent et où la sensibilité de la population demeure plus forte, comme l’alliance politique passée entre le PS et EELV sur ce sujet.
La première question à laquelle nous n’avons toujours pas répondu est celle de l’estimation du volume des ressources françaises et de la rentabilité économique de leur exploitation En 2011, au moment de l’apparition du débat sur le gaz de schiste, la Pologne était censée avoir des réserves sensiblement identiques à celles de la France, c’est-à-dire 5100 milliards de mètres cubes côté français et 5300 milliards pour les Polonais. Ces derniers, après avoir autorisé l’exploration de leurs sous-sols, ont finalement vu cette estimation diminuer de près d’un tiers, ce qui n’est pas anodin.
On voit bien que même sur cette question de l’exploration, le débat en France apparait complètement bloqué car très clivant.
La deuxième question est celle de la méthode utilisée pour l’exploitation du gaz de schiste et de son impact environnemental. Là aussi, la France peut certainement exploiter ses ressources d’une manière plus propre que les États-Unis, même si in fine toute exploitation d’hydrocarbures conserve un impact environnemental. Il s’agirait donc de réduire au maximum cet impact et de mieux encadrer l’exploitation. Tant que la première question n’est pas réglée, il n’y aura pas d’avancée sur ce dossier et il est désormais clair que François Hollande ne reviendra pas sur sa position. Par conséquent, la réapparition d’un rapport commandé en 2012 ne change pas grand-chose, sinon de mettre en lumière cette sorte de lobbying un peu grossier de la part de certains grands quotidiens nationaux à propos de la technique de fracturation au propane, qui n’apparait absolument pas comme une alternative propre rendant l’exploitation sûre et à moindre coût.
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