ANALYSES

Algérie : quelles menaces intérieures et extérieures pour le régime ?

Interview
16 septembre 2014
Le point de vue de Kader Abderrahim
Où en est la politique économique et sociale de l’Algérie ? La situation est-elle explosive ?

Malheureusement on ne peut pas dire que le régime algérien a développé une réelle stratégie économique sur le long-terme. On ne comprend pas très bien ce que le gouvernement veut faire, ce dernier prenant régulièrement des mesures en contradiction avec ses propres déclarations. La prochaine loi de finance, prochainement présentée au Parlement, illustre parfaitement ces contradictions : elle propose d’augmenter l’impôt sur le bénéfice des sociétés algériennes et de diminuer celui des entreprises importatrices de bien étrangers. Les dirigeants algériens naviguent à courte-vue car dans n’importe quel pays moderne et organisé, on tend à favoriser un minimum le tissu industriel local pour être capable de produire un tant soit peu de biens, ne pas être trop dépendant de la production extérieure et ainsi limiter sa balance d’importation. Cette voie choisie par les dirigeants algériens a pour conséquence une hausse importante du chômage, notamment chez les moins de trente ans. Paradoxe suprême, l’Algérie est un pays extrêmement riche mais dont la population est aujourd’hui en voie de paupérisation : depuis trois ans les classes moyennes sont les plus touchées. Cette paupérisation, tout comme le fait qu’elle ne soit pas du tout contrôlée, inquiète grandement les autorités.

La crise est-elle également institutionnelle ? Quid de l’après-Bouteflika ? L’armée pourrait-elle s’en mêler ?

La crise est bien évidemment institutionnelle mais elle l’est depuis les origines de l’indépendance algérienne. Ce régime n’a jamais eu de légitimité populaire, on peut certes gouverner avec la légitimité historique mais cela ne dure qu’un temps. La seule légitimité qui vaille dans les systèmes politiques modernes, c’est une légitimité populaire. Les institutions algériennes sont en crise parce qu’elles ont été utilisées, manipulées, malmenées par des individus plus soucieux de leurs intérêts personnels que du bien public.
Cette crise des institutions est exacerbée par la maladie du président de la République Abdelaziz Bouteflika, qui paralyse le fonctionnement de l’appareil d’Etat à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Comme on ne connaît pas la nature réelle de cette maladie, et ainsi combien de temps il peut réellement travailler, on se dit que la question de la transition et de sa succession risque inévitablement de se poser prochainement. On tient ici un autre paradoxe algérien : on parle ici comme si on décrivait une monarchie alors qu’on est dans une république. Personne n’ose ainsi aborder ce sujet tabou, si ce n’est la presse. Le véritable problème est qu’on ne sait absolument pas comment cette transition est censée se dérouler et on ne voit émerger aucune personnalité politique préparée à prendre le pouvoir et légitime aux yeux du peuple, ce qui permettrait d’éviter le recours à la violence.
Paradoxalement, on assiste parallèlement à un retrait de l’armée, qui a été traumatisée par les 10 années de guerre fratricides entre le gouvernement et les islamistes, et qui est perçue par la population (à tort ou à raison) comme étant la responsable de cette décennie noire. Elle n’a donc pas du tout envie de s’impliquer dans ce jeu de succession dans lequel elle comprend (intuitivement) qu’elle n’a rien à gagner. En résumé, l’armée se tient pour l’instant à l’écart et ne participe pas au débat.

Comment l’Algérie s’organise-t-elle face aux différentes menaces à ses frontières ?

La réaction des autorités algériennes a pris plusieurs formes. Sur le plan sécuritaire, un renforcement des mesures de sécurité aux frontières a été décidé, que ce soit sur son flanc Est (Tunisie, Libye), le Sud-Est (Niger, Mali) ou bien l’Ouest (Mauritanie). L’Algérie est le seul pays du Maghreb qui a des frontières communes avec l’ensemble des pays du pourtour. Cependant, les menaces qui jusqu’à présent étaient cantonnées au Machrek et au Moyen-Orient commencent à peser sur la sécurité de l’Algérie. Des groupes comme AQMI, qui était essentiellement présents dans le grand Sud et dans le Sahara, ont aujourd’hui des attaches avec des groupes au Moyen-Orient. On voit se dessiner une sorte d’arc terroriste qui irait de l’Atlantique au Golfe (voire un peu au-delà) dans lequel l’Algérie est prise comme une mouche dans une toile d’araignée. Elle ne voit pas très bien comment elle pourrait s’en sortir car il s’agit d’un pays qui est très enclavé, avec une faible façade maritime. Le seul élément qui pourrait lui permettre de continuer à se protéger, c’est sa puissance militaire mais celle-ci ne durera qu’un temps.
Le second aspect est lui politique : comment éviter que des pays voisins (comme la Tunisie) ne sombrent totalement dans l’insécurité et le chaos. Pour le moment, l’insécurité en Tunisie est contenue grâce à l’aide de l’Algérie : depuis un an et demi, des groupes terroristes se sont installés dans un massif montagneux à la frontière avec l’Algérie et cette dernière aide les autorités tunisiennes pour tenter de maintenir et de contenir ces groupes terroristes dans ces montagnes pour éviter qu’ils n’essaiment dans tout le pays. L’Algérie a également fait des dons financiers importants à la Tunisie pour stabiliser le pays en s’assurant que les fonctionnaires (la police, l’armée) puissent être payés et ainsi éviter un effondrement de l’Etat. Tout ceci témoigne que les autorités algériennes ont pris une bonne mesure du risque régional.
Une bonne diplomatie semble être le troisième volet de la stratégie algérienne. De ce point de vue-là, il faut reconnaître que le président Bouteflika est extrêmement habile, qu’il comprend bien les rapports de force internationaux et les nouveaux enjeux qui sont en train de se dessiner sur le plan régional. Il a ainsi cherché à diversifier les partenariats de l’Algérie en dehors des alliances traditionnelles (France, Russie), auxquelles on a ajouté un partenariat renforcé avec les Etats-Unis, la Chine et la Turquie. Tout cela permet à l’Algérie d’être au centre de la diplomatie régionale afin de s’assurer les bonnes grâces de certaines puissances nouvelles (Turquie), anciennes (la France) et tutélaires (Etats-Unis). L’Algérie a une unique ambition, c’est d’être la puissance régionale de la Méditerranée et il semblerait qu’on est en train de jeter les premiers jalons de cette ambition. Il reste désormais à lui donner un contenu politique et diplomatique, ce qui viendra probablement dans un second temps. Mais encore une fois, tout cela est entièrement dépendant de l’état de santé du président de la République.
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