ANALYSES

Les minorités au cœur de la crise syrienne

Tribune
19 mai 2014
Par LCL. Kamal KAMAL, Officier de l’armée de terre libanaise, stagiaire de la 21e promotion « Ceux de 14 » à l’Ecole de guerre
Les minorités dans l’Etat syrien
La Syrie est un pays d’Asie de l’Ouest, au carrefour du bassin méditerranéen et du centre du monde arabe. En raison de cette position au croisement de différentes civilisations, le peuple syrien accueille sur son territoire de nombreuses minorités. Pourtant, en première approche, la situation parait simple : les Arabes représentent 90% de la population et les Kurdes 10%. Mais, à mesure que l’on descend dans l’analyse de la composition de ce peuple, la myriade d’ethnies et de religion apparait. La Syrie, qui abrite quelque 20 millions de personnes, est composée de 68 à 70% de musulmans sunnites arabes ; de 9 à 11% d’Alaouites arabes, de 8% de chrétiens arabes et arméniens, orthodoxes, maronites ou catholiques ; de 8% des sunnites kurdes ; de 2 à 3% des Druzes arabes ; de 1% chiites arabes et autres ; de moins de 1% de sunnites circassiens ; de moins de 1% d’autres minorités Kalesideh, Ismaïlien et de plusieurs milliers de Juifs. Ce caractère hétéroclite va être accentué par le conflit syrien jusqu’à donner aujourd’hui parfois l’impression d’avoir éclaté en une myriade de groupuscules aux identités et revendications complexes.

La stratégie du régime syrien dans la guerre civile, un paradoxe de gouvernance : promouvoir une unité de façade tout en favorisant les divisions en secret
Les protestations syriennes ont commencé pacifiquement le 15 mars 2011. Le pouvoir syrien mésestima ces premiers événements en dépit des révolutions arabes voisines qui avaient déjà, pourtant, renversé de puissants régimes du monde arabe. Mais après une période de six mois, les événements se précipitèrent. Une scission majeure au sein de l’armée syrienne vit le jour : l’armée syrienne libre fut créée et se mit à défendre les villes de l’opposition. Les manifestations pacifiques s’étaient muées en guerre civile avec toutes les horreurs que cela impliquait.
Le régime de Bachar al-Assad, voulant alors camoufler son caractère népotique au profit de la communauté minoritaire alaouite, chercha à promouvoir l’idée nationale à travers le slogan « ma communauté est la Syrie ». Mais en opposition avec cette volonté affichée, il modifia artificiellement la cartographie des régions administratives de l’Etat afin que chacune d’entre elles soit sous l’autorité d’une communauté qui lui était fidèle. Jouant sur l’aspect religieux ou les caractères ethniques, voir sur les facteurs sociaux, il s’assurait ainsi de la soumission de ces régions à son pouvoir. Utilisant la maxime « diviser pour régner », cette instrumentalisation du communautarisme durant la guerre civile ne fit qu’accroître les oppositions, scinder les communautés et accroissait les malheurs du peuple.

L’opposition armée, l’horreur, moteur du morcellement communautaire
De l’autre côté, les différents mouvements d’opposition armée ont rivalisé de cruauté : représailles contre les partisans du régime, contre de « mauvais croyants », assassinats de sang-froid, lynchages, tortures, enlèvements de moines et moniales pacifiques pour obtenir des rançons ou faire du chantage… Pire, l’ONU mentionne de véritables épurations ethniques et la destruction par le feu de maisons et d’églises chrétiennes. Mais ces exactions ont également concerné des populations chiites, et alaouites. Parmi ces derniers, les limites de l’horreur furent franchies : des enfants brulés, démembrés… Certains combattants de l’opposition allant jusqu’à manger le cœur de leurs victimes… Dans cette stratégie de la terreur, même les sunnites favorables au régime ne furent pas épargnés. Comble de l’atrocité, ces hommes filmèrent leurs exactions pour les mettre sur internet. La spirale de la division et de la haine contribuait à l’éclatement des repères communautaires.

Une déstabilisation de l’extérieur qui alimente les divisions
Drapés d’arguments démocratiques et humanitaires, certains pays régionaux et occidentaux ont également alimenté cette guerre civile en finançant les groupes d’opposition et en les soutenant par la fourniture d’armes et d’équipements. De véritables portes d’entrée vers la Syrie furent négligemment laissées ouvertes pour que tous les « djihadistes » du monde puissent nourrir cette guerre civile. Ce « laissez-faire laissez-passer » est assez paradoxal, car l’ONU comme les Etats-Unis classent ces organisations dans la catégorie terroriste comme étant des ramifications directes ou indirectes d’« Al-Qaïda », (Etat Islamique d’Irak et du Levant « EIIL », le front al-Nosra, les phalanges Abdallah Azzam …). A court terme, ces extrémistes ont alimenté les horreurs de la guerre. Mais à long terme, tout porte à croire qu’une partie reste en Syrie. En effet, nombreux sont ceux qui ont obtenu la nationalité syrienne auprès des institutions dans les mains de l’opposition. Mais surtout, la plupart des pays d’où ils viennent ont mis en place des lois pour condamner fermement ces « salafistes » à leur retour au pays. Ce phénomène modifiera encore la démographie. Mais, surtout la présence de ces combattants fanatiques entretiendra les oppositions entre les différentes communautés et empêchera tout retour à la paix sur le long terme.

Des communautés au morcellement démographique
A la suite de ces événements la démographie syrienne n’a plus rien en commun avec ce qu’elle était avant le début des événements. Elle a subi des modifications fondamentales dans la répartition géographique. Comme démontré précédemment, la population syrienne est aujourd’hui morcelée. Elle est passée d’une structure communautaire lisible à un morcellement anarchique difficile à analyser sur lequel viennent se greffer des mouvances « salafistes » venues de l’étranger.

Durant les combats, les populations ont fui les zones de conflit. Aujourd’hui la Syrie compte 6 millions de réfugiés sur son territoire tandis que 3 millions se sont déplacés à l’extérieur du pays. Suite à ces mouvements d’une ampleur sans précédent (presque 50% de la population s’est déplacée), de grandes villes se sont vidées, uniquement occupées par des combattants. Les agglomérations et villages se sont reconstitués en fonction, non plus de la communauté d’origine, mais plutôt sur la base de la loyauté ou de l’opposition au régime en place.

La situation se complexifie encore depuis que des groupes rebelles se battent entre eux. Cette situation devient souvent assimilable au Moyen-âge occidental : de petits chefs dominent temporairement de parties du territoire, des groupes s’allient pour mieux se trahir ensuite au gré des circonstances ce qui crée des motifs pour de nouvelles haines et divisions…

Un morcellement communautaire qui fait courir des risques aux pays voisins.
Face au morcellement des communautés, aux flots de réfugiés, au surarmement, les pays régionaux courent tous un risque plus ou moins grand de déstabilisation :
– Pour la Turquie, la question kurde pourrait revenir au premier plan avec un Kurdistan indépendant en Irak et des Kurdes armées en Syrie.
– Concernant le Liban, l’afflux de plus de 900 000 réfugiés syriens sur son territoire s’ajoutant à plus de 400 000 palestiniens déjà présents, modifie profondément le « rapport de force » démographique. Les chrétiens du Liban, hier majoritaires se sentent menacés et craignent des violences qui les obligeraient à fuir à l’étranger. Et surtout, l’arrivée de nombreux sunnites s’opposant aux chiites pourrait pousser le Liban dans une deuxième guerre civile.
– Pour l’Irak, qui fait face quotidiennement à la violence entre milices sunnites et chiites, la chute du régime d’Assad pourrait générer l’arrivée de milices armées qui alimenterait la violence et plongerait le pays dans le chaos définitif.
– Le royaume de Jordanie fait également face à un afflux massif de réfugiés syriens à hauteur de 750 000 personnes. Comme au Liban, en Jordanie le nombre de réfugiés syriens a dépassé le tiers de la population.
– Enfin « Israël » craint que la Syrie devienne un regroupement mondial de « djihadistes » capables de former des terroristes pouvant agir sur son territoire notamment avec des armes chimiques qui pourraient tomber aux mains des « salafistes » ou de membres du « Hezbollah ».

Des perspectives sans lendemain
L’arrêt des hostilités par le dialogue entamé à Genève 2 est évidement souhaitable entre le pouvoir et l’opposition. Même si cela semble peu probable, ces derniers pourraient décider de partager le pouvoir. Toutefois ceux qui signeraient, auraient-ils réellement la capacité et l’autorité pour faire cesser les hostilités ? Il est raisonnable d’en douter !

Une autre solution serait en apparence la division de la Syrie en trois Etats : Alaouites, Sunnites et Kurdes. Mais, comme mentionné précédemment, les divisions dépassent de beaucoup le simple caractère ethnique. L’émergence d’un autre Kurdistan libre entrainerait de facto une guerre d’indépendance du Kurdistan. Une guerre pour un Etat sunnite à cheval entre l’Irak et la Syrie serait alors également envisageable… Dans ce contexte, les différentes communautés chiites, appuyées par l’Iran, chercheraient également à protéger leurs intérêts. Le conflit irait alors de « Charybde en Scylla ».

La dernière situation la plus probable, pourrait être le statuquo, c’est-à-dire, la poursuite de la guerre civile au détriment des peuples, des minorités et de la stabilité de la région.

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