ANALYSES

Chine / Etats-Unis : le duel du siècle ?

Tribune
6 novembre 2012
Entretien avec Daniel Vernet, ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde, co-auteur de « La Chine contre l’Amérique. Le duel du siècle » (Grasset)
Un affrontement Chine/Etats-Unis est-il selon vous improbable, probable ou inévitable ?

Vue l’expérience historique, un affrontement entre la Chine et les Etats-Unis paraît probable, ce qui ne veut pas dire certain et inévitable. La Chine est une puissance montante qui vise à retrouver sa place dans le monde, une des premières. Au XVIIIème siècle, avant la période « d’humiliation » imposée par les puissances occidentales, la Chine contribuait pour près du tiers de la richesse mondiale, contre 2% au début du XXème et 12% aujourd’hui.
Une des questions posées par la « montée » de la Chine est la forme que prendra cet affrontement. Celui-ci ne sera pas nécessairement armé et, s’il est militaire, il ne sera pas global. La première priorité de la Chine est d’établir son hégémonie dans la région Asie-Pacifique. Pour parvenir à ce but, elle doit faire face aux Etats-Unis qui sont les protecteurs de nombreux pays de la région. Certains Chinois pensent qu’il suffit de contrebalancer la présence américaine, d’autres qu’il faut chasser les Américains de la région. Les plus réalistes considèrent au contraire que la présence américaine contribue à assurer la sécurité de la Chine en dissuadant d’autres puissances de la région, le Japon par exemple, de se doter de l’arme nucléaire.
Le conflit est évitable si les responsables américains comme chinois sont suffisamment habiles pour apaiser les tensions et trouver une forme de coopération qui serait une synthèse intelligente entre endiguement et engagement.

La Chine aspire-t-elle à l’hégémonie ou considère-t-elle une telle aspiration comme un piège?

De la faillite de l’URSS, les Chinois ont tiré la leçon qu’il est vain de s’épuiser à rechercher une parité militaire globale avec les Etats-Unis. En revanche, ils considèrent qu’une hégémonie régionale – au moins dans un premier temps – est non seulement à leur portée mais est conforme à leur destin historique. C’est pourquoi, avec un budget militaire en forte expansion, bien qu’il reste encore largement inférieur à celui des Etats-Unis, ils développent des systèmes d’armes (missiles, porte-avions, sous-marins…) qui doivent leur permettre de dissuader les Américains d’interférer avec ce qu’ils estiment être leurs intérêts vitaux, notamment leurs revendications sur Taïwan et sur des îlots de la mer de Chine, disputés entre eux et le Japon ou le Vietnam ou encore les Philippines, etc.

Entre Pékin et Washington, la destruction économique mutuelle assurée aurait-elle remplacé la destruction mutuelle assurée (nucléaire) existant autrefois entre Moscou et Washington ?
La destruction économique mutuelle assurée (MAED) ne remplace pas la destruction (nucléaire) mutuelle assurée (MAD) mais elle fonctionne un peu selon le même principe. Les intérêts économiques et financiers des deux pays sont si étroitement imbriqués, la dépendance de l’un par rapport à l’autre (le financement de leur dette pour les Etats-Unis, l’accès au marché et le débouché pour ses énormes réserves en dollars pour la Chine) est tellement forte, qu’aucun des deux ne peut se permettre de la remettre en cause, car les dommages qu’il infligerait ainsi à sa propre économie dépassent les bénéfices qu’il pourrait en tirer.
Toutefois la MEAD n’exclut pas la MAD. Autrement dit, Chinois et Américains comptent aussi sur la dissuasion nucléaire pour éviter que des tensions, voire d’éventuels conflits, ne débouchent sur une confrontation globale. C’est pourquoi on est en droit d’espérer que si des affrontements devaient avoir lieu, ils resteront limités.



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