ANALYSES

Le Hezbollah pourra-t-il survivre à la fin du régime syrien ?

Tribune
22 décembre 2011
Par Wassim Nasr, Veilleur analyste Proche/Moyen-Orient, diplômé d’IRIS Sup’
Paradoxe d’une montée en puissance

Lors de la guerre de l’été 2006 entre Tsahal et le Hezbollah, les erreurs tactiques et stratégiques des forces israéliennes étaient monumentales. Cela allait du plan initial qui s’appuyait principalement sur des frappes aériennes jusqu’aux problèmes de ravitaillement des troupes pourtant basées à quelques kilomètres seulement de la frontière. Néanmoins, l’opération a réussi à atteindre deux objectifs capitaux : le déploiement de l’armée libanaise dans le sud-Liban après des décennies d’absence et l’arrêt des opérations transfrontalières du Hezbollah. Pourtant, deux facteurs ont été décisifs dans la constatation d’une « victoire » du parti de Dieu : les combattants du Hezbollah ont pu empêcher une avancée fulgurante de Tsahal et les missiles n’ont cessé de tomber en territoire israélien jusqu’au 44ème et dernier jour de l’offensive.

Cette nouvelle « victoire » militaire permit au Hezbollah de gagner une dimension nationale, donc de transcender sa nature chiite. Cela s’ajoutant à l’aura qu’avait gagné le parti de Dieu, suite au retrait israélien du sud-Liban en 2000. Selon ses partisans, le parti était « Le seul, après des années de défaites et d’humiliations arabes, à avoir récupéré une terre occupée par la force des armes prouvant à la même occasion que Tsahal n’était pas invincible ».

L’équilibre dans la relation entre Damas et la banlieue-sud de Beyrouth fut rompu une première fois en faveur du Hezbollah avec cette « victoire » qui a coïncidé avec l’investiture de Bachar al-Assad, moins expérimenté que son père Hafez. La « libération » poussa le Hezbollah, déjà très présent au niveau social dans les zones majoritairement chiites, à plus d’implication dans la vie politique libanaise. De ce fait, le nombre de sièges parlementaires détenus par le parti a outrepassé les quotas imposés par les Syriens dans les années 1990 vis-à-vis de son rival au sein de la communauté chiite, le parti Amal.

Un nouveau rapport de force en faveur du Hezbollah se reconstitue en 2005 avec le départ des troupes syriennes. Cela permit au Courant Patriotique Libre (CPL) du général Aoun (Chrétien-maronite) – allié au Hezbollah en 2006 – d’investir les sièges parlementaires de Jezzine au sud-Liban. Et donc de remplacer les députés chrétiens d’Amal (élus grâce aux voix chiites du parti de Nabih Berri) par des députés du CPL (élus grâce aux voix chiites du Hezbollah). Depuis les dernières élections législatives de 2009, le Hezbollah s’est imposé par un « coup d’Etat démocratique » qui lui a permis de destituer Saad Hariri (fils de Rafiq Hariri assassiné en 2005) et de former un gouvernement avec sa nouvelle majorité parlementaire (suite au ralliement des députés de Walid Joumblatt, à la tête du Parti Socialiste Progressiste, représentant majoritaire de la communauté druze au Liban). Néanmoins, il est à noter que les alliés « traditionnels » de la Syrie ont été écartés de ce gouvernement. Ainsi, malgré les slogans et la rhétorique ambiante, la fin de la tutelle syrienne fut une libération politique pour le Hezbollah.

Bras de fer incessant

Certes, les rapports entre le Hezbollah et la Syrie sont marqués par l’équilibre de force entre Damas et Téhéran, par la relation entre Khomeiny et Hafez el-Assad, différente à beaucoup d’égard de celle qui lie Khamenei et Bachar el-Assad, par la personne à la tête du parti de Dieu, mais aussi et surtout par un pragmatisme très équilibré en adéquation avec la situation régionale.

Le bras de fer entre le régime syrien et le Hezbollah fait partie intégrante de leur histoire commune. Plusieurs confrontations ont eu lieu, allant des débuts du parti dans la plaine du Bekaa libanaise, à l’implication du parti dans la guerre civile – le Hezbollah a soutenu les Palestiniens lors de la Guerre des Camps entre l’OLP et Amal, annonçant le clash frontal avec ce dernier qui aura lieu en 1988/1989 – et jusqu’à la confrontation post-Oslo de 1993. Nous sommes donc loin d’une relation « fusionnelle » entre Damas et la Banlieue-sud de Beyrouth, investie dès 1987 par 8.000 soldats syriens revenus – après le départ forcé de 1982, suite à l’opération israélienne « Paix en Galilée » – pour mettre un terme à l’ascension du Hezbollah.

1987 témoignera aussi de l’attaque de la caserne de Fathallah – à Beyrouth-ouest, par les forces spéciales syriennes – qui demeure présente dans les esprits. Le Hezbollah a déploré non moins de 27 morts dans ses rangs, marquant le début d’une confrontation par procuration entre Damas et Téhéran, avec les combats qui ont opposé Amal et Hezbollah jusqu’en 1989.

En septembre 1993, l’armée libanaise n’a pas hésité à ouvrir le feu sur une manifestation du Hezbollah qui contestait les accords d’Oslo, faisant 14 morts et une quarantaine de blessés, sachant que le ministre de la Défense en exercice, Mouhssen Dalloul, était lui-même chiite et la tutelle syrienne sur le pays du Cèdre à ses débuts.

Il eût été faux de croire que les dirigeants du Hezbollah seraient prêts à sacrifier toute la construction qu’ils ont entamé depuis 1982 sur l’autel d’un soutien inconditionnel à Bachar el-Assad. Avec les changements d’équilibres régionaux qui se profilent, une partie des dirigeants actuels pourrait être écartée. Mais un « harakiri » du Hezbollah en tant que tel est loin d’être envisageable, d’autant plus que le parti a fait preuve d’une capacité d’adaptation et d’une habilité politique absente chez beaucoup d’autres acteurs locaux et régionaux.

Le Hizb (parti) ne se résume pas au Seïd (chef)

La mort du cheikh Ragheb Harb en 1984, à l’heure où le Hezbollah était encore embryonnaire, ou du cheikh Abbas el-Moussaoui en 1992 (neuf mois après son élection à la tête du parti), ou même d’Imad Moughnieh, chef militaire du Hezbollah assassiné à Damas en 2008, n’ont eu qu’un effet minime sur le parti. Le Hezbollah est un parti idéologique construit pour suivre un dogme et non pas une figure providentielle, ni même un individu, aussi important soit-il. Si on examine l’histoire du parti, on remarque que l’éloignement d’un leader ou sa mort n’ont jamais eu de conséquences désastreuses sur le parti en tant qu’entité politique et militaire.

En 1991, le Hezbollah n’a pas hésité à sacrifier son chef le cheikh Soubhi el-Toufaïli pour s’adapter à la nouvelle donne de la « pax syriana » au Liban. L’homme qui a vaincu Amal et qui symbolisait la période de conflit avec Damas, a été tout simplement éloigné de ses fonctions à la tête du parti. Sachant que Toufaïli représentait aussi un Hezbollah avec un qualificatif « terroriste » lié aux attentats de 1983 (à l’encontre des US Marines et des Para français à Beyrouth-ouest) et aux kidnappings de ressortissants étrangers. Une période que le nouveau leadership souhaite occulter. Toufaïli, qui maintenait des fonctions symboliques au Conseil Consultatif, sera même officiellement exclu du parti en janvier 1998 suite à sa tentative d’enclencher une « révolution des affamés », réprimée sans ménagement par les autorités libanaises.

Paradoxe libanais

La puissance actuelle du Hezbollah lui interdit toute implication directe dans le conflit en Syrie. Cette même puissance interdit au régime syrien d’entreprendre une action déstabilisatrice au Liban au risque de fâcher le Hezbollah et le gouvernement Mikati ; d’où la demande damasquine au Hezbollah d’accepter le financement du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). Cette acceptation du Hezbollah est donc le seul soutien effectif du parti de Dieu à Assad. Le régime de Damas a besoin de maintenir ce gouvernement – qui le cas échéant perdrait toute légitimité aux yeux des Sunnites, que le Premier ministre est censé représenter – car il demeure « conciliant », dans les instances internationales, à travers sa coopération « sécuritaire » à la frontière entre les deux pays et concernant les opposants syriens réfugiés en territoire libanais.

Dans le cas de figure actuel, tout incident sécuritaire dans le Sud du pays et au Liban en général nuit au Hezbollah, qui tient à projeter une image de stabilité et de maîtrise du terrain. Les dernières attaques contre la FINUL ne sont donc nullement bénéfiques au Hezbollah, à aucun niveau. Idem pour les lancements de roquettes vers Israël : ces actions démontrent que le Hezbollah ne contrôle pas le terrain. Mohamad Raad, député à la tête du groupe parlementaire du Hezbollah, a récemment déclaré que « Les missiles lancés de temps à autre nuisent aux partisans et à la cause (du Hezbollah) ; idem pour la stabilité à laquelle on tient… ces actions servent les desseins de nos ennemis ».

Comment le Hezbollah pourra-t-il se dissocier du régime syrien ?

Plusieurs courants existent au sein du Hezbollah : certains soutiennent matériellement le régime syrien, quand d’autres limitent le soutien à un soutien médiatique, et que d’autres encore gardent leurs distances en attendant l’évolution de la situation, ou préparent l’après Assad. Partant de ce principe, le dernier discours d’Hassan Nasrallah, bien que virulent dans son soutien au régime syrien, devrait être considéré d’une manière très pondérée et comme exprimant le point de vue d’un simple courant au sein du Hezbollah. Cela dit, selon plusieurs sources proches des instances du parti, la préparation de l’après Assad serait bel et bien entamée sous la direction de Nasrallah lui-même, et le rapatriement des stocks d’armements en territoire syrien en est la preuve. Sachant que depuis 2005, le Hezbollah n’a plus besoin du « passage » syrien, ayant à présent sous son contrôle une partie du port et tout l’aéroport de Beyrouth, ce qui a grandement participé au changement d’équilibre dans la relation avec Damas.

Les dernières déclarations de Walid Joumblatt permettent d’envisager une porte de sortie pour le Hezbollah de cette impasse syrienne. Joumblatt a fait une discrimination entre l’armée « avec qui on a combattu côte à côte » et les « Chabihas » (hommes de mains, voyous, etc.). Il appelle le Hezbollah à « ne pas se coller à un régime qui a prouvé que se volonté de réprimer est plus forte que sa volonté de réformer ».

Finalement, à cause de l’entêtement d’Assad à n’envisager que des solutions sécuritaires à ses problèmes, la Syrie plonge dans le même type de conflit confessionnel que le Liban avant elle. Cette tourmente ouvrira la porte aux ingérences et à l’insécurité. Néanmoins, il demeure clair que la fin du régime syrien ne signifie nullement la fin du Hezbollah, qui trouvera le moyen de s’adapter à la nouvelle donne qui s’imposera. Le soutien rhétorique d’Hassan Nasrallah à Assad vient compenser d’une certaine manière l’absence de soutien matériel et effectif. Le Hezbollah n’envisage nullement d’envoyer ses combattants prêter main-forte aux Chabihas, dans un conflit qui risque fort de perdurer et de ternir définitivement son image de parti de la « résistance ». Une image déjà entachée par la réalité des conflits confessionnels du pays du Cèdre, mais aussi par différents scandales financiers dans le cadre de la « reconstruction » suite à la guerre de 2006, et surtout par l’arrestation d’agents de la CIA dans les hautes sphères du parti.
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