ANALYSES

MIG : La fin programmée d’une légende de l’aéronautique

Tribune
2 mai 2011
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Pour MIG, l’avionneur russe éliminé, la déclaration indienne résonne a contrario comme un clap de fin. Chez les experts les avis sont unanimes : la compétition MMRCA représentait pour MIG la dernière chance de relancer son activité.
Car le MIG-35, l’appareil recalé par New Delhi, était l’ultime évolution d’une famille d’avion de combat déjà ancienne, le MIG-29 Fulcrum . Si l’avionneur moscovite parvenait à vendre l’engin, il gagnait suffisamment de temps pour postuler au développement de la future génération de chasseur-bombardier russe, qui s’engagera réellement vers 2030-2035. A défaut MIG savait qu’il ne pourrait compter que sur les besoins de son marché domestique, en l’occurrence le rétrofit des Fulcrum de l’armée de l’air russe. De quoi l’occuper jusqu’à l’horizon 2020, pas davantage. Et cette activité de modernisation n’est pas de nature à assurer le plan de charge dont la société a besoin pour rester viable.
Bref, la compétition indienne sonne sans doute le glas d’un des avionneurs les plus mythiques de l’aéronautique mondiale.

MIG, c’est initialement l’association de deux hommes, l’Arménien Artem Mikoyan et le Russe Mikhaïl Gourevitch, deux ingénieurs soviétiques de génie. Tous deux donnent naissance en 1942 à un nouveau bureau d’études, l’OKB MIG, pour Mikoyan-Gourévitch.
Ils se font connaître dans le monde entier grâce au MIG-15 : leur engin, un monoréacteur aux ailes en flèche, mène la vie dure en Corée aux meilleurs pilotes et avions de l’US Air Force. Cette démonstration de supériorité technologique russe constitue une très désagréable surprise pour le Pentagone. Mais les Américains vont bien devoir s’habituer. Car MIG, quarante années durant, va multiplier les innovations pour réaliser des appareils de très grande classe, conjuguant robustesse, rapidité, vitesse ascensionnelle étourdissante, puissance de feu, maniabilité…
Ainsi le MIG-21 Fishbed , dont le premier exemplaire a été produit en 1959, est toujours en service dans différentes armées de l’air. Construit à plus de 11 000 unités, il est l’avion à réaction qui a été le plus produit au monde.
Dans les années 60 MIG frappe un nouveau grand coup. Les Etats-Unis développent un bombardier stratégique révolutionnaire, le B-70 Valkyrie , un avion capable de frapper l’Union soviétique sans difficultés grâce à une vitesse et une altitude de vol très élevées. Les Soviétiques ripostent avec le MIG-25 Foxbat . Cet intercepteur a fait rêver tous les aviateurs : premier appareil en service capable de voler au dessus de mach 3, il demeure aujourd’hui le seul jet évoluant encore à cette vitesse depuis la retraite de l’avion-espion américain SR-71.

Engagé depuis le début des années 80 dans une compétition avec Sukhoï afin de développer un nouvel appareil utilisant toutes les dernières technologies, MIG démontre encore sa capacité d’innovation en mettant au point de nouveaux prototypes dont le MIG 1.44, censé donner la réplique au F-22 américain. Mais la fin de l’URSS et la restriction drastique des budgets de la défense donne un coup d’arrêt brutal aux projets de l’avionneur qui entame un lent déclin.
Certes le groupe parvient à survivre grâce au dynamisme dont il témoigne à l’export sous la direction notamment d’Alexeï Fedorov. Mais au début des années 2000, le Kremlin confie finalement le développement de l’avion de combat de « cinquième génération » à Sukhoï. L’entreprise est ensuite intégrée au sein du grand ensemble aéronautique russe OAK, créé en 2006, visant à doter le pays d’une société capable de rivaliser à l’international aussi bien sur le segment des avions militaires que commerciaux. Nouveau coup dur pour les ingénieurs de MIG : ils sont regroupés avec Sukhoï au sein d’une division « avions de combat » et placés sous la direction de Mikhaïl Pogosyan, le patron de Sukhoï, qui de la sorte prend clairement le leadership du secteur. Une « fusion » qui se passe mal. Car les egos des ingénieurs russes, extrêmement brillants, sont très développés : au sein de MIG on accepte mal de se voir dépassé, cornaqué, par le rival traditionnel. On espère secrètement que le MIG-35 gagnera en Inde et permettra de parler d’égal à égal avec Sukhoï, voire de reprendre la première place au sein d’OAK.
Cet espoir aujourd’hui déçu, MIG va peu à peu s’effacer. Mais sa fin n’affectera sans doute pas le potentiel de l’aéronautique militaire russe. Bien au contraire : avec le retrait d’un acteur majeur, le secteur, engagé dans une difficile phase de concentration, va sans doute gagner du temps.
Désormais patron d’OAK, Mikhaïl Pogosyan va pouvoir accélérer le processus de rationalisation de son groupe. Son plus grand rival neutralisé, Sukhoï va probablement absorber les actifs de MIG à moyenne échéance, ce qui renforcera encore l’excellence de son bureau d’études. Dès lors il ne restera plus que trois concepteurs d’avions de combat en Russie : Sukhoï, Yakovlev (avions d’entraînement) et Tupolev (bombardiers stratégiques). Un trio également voué à se fondre en une seule entité.
« Yak », qui relève aujourd’hui de la division « avions commerciaux » d’OAK, n’a rien à faire dans cette branche, dédiée au développement du futur Airbus russe. Certes il faudra encore vaincre la résistance d’Oleg Demchenko, patron de la division susdite et ennemi juré de Pogosyan. Mais Demchenko est âgé et Pogosyan est sans conteste l’homme qui la faveur du Kremlin.
Quant à Tupolev, dont l’activité sur le segment des avions civils est au point mort, il n’a d’autre avenir qu’au sein d’un avionneur militaire unique. Car la société n’a plus de grand programme susceptible d’assurer un plan de charge : Le gouvernement russe lui a confié le développement du futur bombardier stratégique PAK-DA, mais ce projet est à très long terme et son financement des plus incertains.

Bref, MIG disparu, rien ne s’opposera plus réellement à la constitution d’un avionneur militaire russe unique regroupant au sein d’une même entité les meilleurs ingénieurs, entreprise qui aura aussi les coudées plus franches pour fermer les centres de production improductifs ou frappés d’obsolescence afin de mieux concentrer ses moyens sur ses meilleurs outils industriels.

Bien entendu de nombreux obstacles, techniques et humains, devront encore être vaincus. Les derniers legs de l’héritage soviétique : financement à fonds perdus des avionneurs, séparation des bureaux d’étude et des centres de production, totale méconnaissance des notions de contrôle-qualité ou de maîtrise des coûts, ont la vie dure. Mais l’ancienne génération des grands ingénieurs soviétiques s’efface peu à peu, laissant la place à de vrais managers, tels Pogosyan, conscients de la nécessité de réformer toute l’industrie en profondeur pour redevenir concurrentiel à l’international. Aussi concurrentiel que MIG l’a été.
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