ANALYSES

« Rwanda. Je demande justice pour la France et ses soldats ». Un vibrant plaidoyer du général (2S) Tauzin

Tribune
2 avril 2011
Méconnu du grand public, Didier Tauzin a mené dans l’ombre une brillante carrière de soldat. Spécialiste de l’action clandestine, des actions coup de poing discrètes, il a combattu des années durant les mouvements de guérilla soutenus par l’Union soviétique sur le continent noir. Officier du 1er RPIMA, le fer de lance des opérations spéciales françaises, il a mené là-bas une lutte ingrate pour défendre les intérêts de la France, de l’Occident, contre le communisme. C’était la guerre froide. Tous les coups étaient permis, même les plus tordus, pour conserver le contrôle de l’Afrique. Le général Tauzin s’en est sorti avec les honneurs. Au point de se voir confier en 1992 le commandement du 1er RPIMA.
A la tête de celui-ci il va se voir confier deux missions à haut risque : Stabiliser le Rwanda puis, commencés les massacres de 1994, tenter de sauver ce qui peut l’être. Du point de vue des vies comme de celui de l’honneur.
La première mission survient en 1993. Le Front Patriotique Rwandais de Paul Kagamé, depuis trois ans en guerre contre le gouvernement rwandais de Juvénal Habyarimana, est en passe de l’emporter. Paris demande à Didier Tauzin de contenir l’offensive Tutsi avec quelques dizaines de ses paras dans le cadre de l’opération Noroit. Encadrant les FAR (Forces Armées Rwandaises) en déroute, les hommes du 1er RPIMA parviennent à stopper la débâcle, rallier les troupes et infliger des pertes sévères au FPR. Alors qu’une contre-offensive, montée par Tauzin, se prépare à renvoyer la guérilla tutsie dans sa base arrière ougandaise, l’Elysée décide de ne pas pousser l’avantage et d’en rester là. Tauzin et le gros de ses hommes rentrent en France, frustrés d’une victoire qui leur tendait les bras.
Un an plus tard ils sont de retour au Rwanda.
Entretemps Juvénal Habyarimana a été assassiné, le génocide des Tutsis a commencé, le FPR victorieux, marche sur Kigali. De part et d’autre les massacres se multiplient. Conformément à la résolution 929 du conseil de sécurité des Nations-Unies, la France lance l’opération Turquoise. Il s’agit de sauver le plus possible de civils, toutes ethnies confondues. Didier Tauzin et le 1er RPIMA font partie du dispositif. Cette fois ils ont l’ordre d’éviter tout affrontement avec le FPR et de n’apporter aucun soutien aux FAR. Impuissants face à la barbarie ils font ce qu’ils peuvent, mettent à l’abri le plus grand nombre de réfugiés dans les camps du Zaïre. Puis rentrent en France, salement marqués.
Voici les faits. Les faits tels que, de plus en plus, ils apparaissent. Des soldats français, exécutant les ordres du chef des armées, François Mitterrand, ont tenté de sauver le régime Habyarimana en 1993, un an avant le début du génocide des Tutsis. Sous mandat des Nations Unies ces mêmes soldats sont ensuite revenus un an plus tard pour mener une opération humanitaire. Rien de répréhensible donc.

Pourtant ces hommes doivent depuis dix-sept ans se battre pour défendre leur honneur. Sbires du néo-colonialisme français ils auraient prolongé la longue chaîne d’exactions à laquelle se résume l’histoire de la présence française en Afrique. Complices du génocide voire génocidaires tout courts, les soldats français des opérations Noroit et Turquoise ont été traités de tous les noms, comparés aux SS…

Désormais, pour la plupart, en retraite, donc déliés de leurs obligations de réserve, les officiers français impliqués dans cette tragédie passent à la contre-attaque. Avec, en première ligne, Didier Tauzin. En pointe toujours.
Son livre est un plaidoyer touchant. Qui rétablit les faits évoqués plus haut. Qui démontre aussi que pour être soldat on en est pas moins homme. Abreuvé d’insultes, couvert d’opprobre, Didier Tauzin a encaissé bien des coups durs. Induite en erreur, sa fille l’a accusé des pires crimes. N’assumant pas ses actes, l’armée française l’a écarté des brillants commandements auxquels ses états de service lui permettaient de prétendre pour le reléguer dans un poste de seconde zone. De quoi nourrir une légitime amertume.
Alors il parle. De cette Afrique d’abord, où il est né. Où il a passé douze ans de sa vie. De ses habitants, aussi, auxquels il est profondément attaché. De ceux qu’il a dû abandonner, de ceux qu’il a vu mourir, impuissant. Véritable « Africain », comme bien des hommes des troupes de marine, il dénonce le rôle qu’on veut attribuer là-bas à la France, à ses soldats.
Ni « négationniste », ni « révisionniste », le général Tauzin ne nie pas les assassinats commis par les Hutus, la folie génocidaire des Interahamwe, la rage meurtrière qu’il lit dans les yeux de gamins armés de machettes. Mais il s’élève contre le manichéisme de ceux qui rangent les hommes en deux catégories, victimes d’un côté, bourreaux de l’autre. Les mêmes qui, souvent, ont raillé à juste titre Bush et son « axe du mal ». Il rapporte cette anecdote, plus parlante que tout : Un reporter américain ne s’intéresse pas à un charnier dont les victimes sont Hutus parce que les « bonnes » victimes sont Tutsies. De l’objectivité journalistique…
Serviteur de l’Etat, Didier Tauzin s’élève aussi contre l’attitude des pensionnaires successifs de l’Elysée. Qui, depuis le départ de François Mitterand, a eu le courage de défendre les soldats français des calomnies qu’ils subissent ?
Jacques Chirac s’est tu.
Nicolas Sarkozy, lui, est allé à Kigali comme on va à Canossa pour se réconcilier avec Paul Kagamé, principal accusateur de la France, aujourd’hui lui-même suspecté par l’ONU d’un génocide qui a fait plusieurs millions de morts au Rwanda et en République démocratique du Congo (3).
Alors Didier Tauzin espère enfin que justice va être rendue. Que ceux qui ont cloué au pilori les militaires français, journalistes, ONG, militants divers et variés…vont, à leur tour devoir rendre des comptes, justifier leur soutien au FPR, à un régime dictatorial et criminel. Après les enquêtes des juges Bruguière et Trévidic, le rapport de l’ONU dénonçant les abominations de Kagamé, il souhaite qu’enfin le vent tourne et que les donneurs de leçon assument leurs erreurs et leur aveuglement.

Pourtant, cette perspective est peu probable. Car le rapport Mapping ou le récent ouvrage de Pierre Péan n’ont pas provoqué le même déchaînement médiatique que celui qui a suivi l’opération Turquoise. Au point que, hormis quelques articles de ci de là, on pourrait presque parler de conspiration du silence. Il est depuis quelques mois de bon ton de s’indigner, dans la ligne d’un essai qui a su recueillir de nombreux suffrages. Mais il en va de l’indignation comme du devoir de mémoire : Elle est toujours des plus sélectives. Surtout quand ce sont ses chantres habituels qui ont des raisons de se faire discrets.



(1) PEAN, Pierre. Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda, 1990-1994, éditions Mille et une nuits.
Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, éditions Fayard.
(2) LUGAN, Bernard. François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda, éd. du Rocher.
(3) Rapport Mapping du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, octobre 2010.