ANALYSES

Le renouveau de la diaspora tamoule un an après la fin de la guerre civile au Sri Lanka

Tribune
19 juillet 2010
Par Romain Bartolo, assistant de recherche à l’IRIS, étudiant au sein du master en contre-terrorisme de la Monash University
Même si le LTTE a été militairement anéanti – son leader historique et incontesté, Prabhakaran, a été tué le 18 mai 2009 par les forces gouvernementales -, la quête du Tamil Eelam ne s’est pas atténuée au sein de l’influente diaspora tamoule. Si le LTTE avait auparavant utilisé massivement les connexions d’un réseau international sophistiqué permettant de financer ses activités terroristes, ces mêmes connexions n’ont pas été dissoutes pour autant dans l’après-guerre. Au contraire, les différentes communautés tamoules de la diaspora soutenant la cause du LTTE utilisent désormais leurs ressources afin d’intensifier leur lobbying politique au sein du monde occidental.

Les Tamouls du Sri Lanka, une diaspora vaste et influente
La diaspora est dispersée à l’échelle des continents. Elle compte plus de 150.000 réfugiés dans l’Etat indien du Tamil Nadu , où la présence de plus 100 millions d’Indiens tamouls constituent une formidable communauté de soutien. Dans le monde occidental, l’on retrouve d’importantes communautés tamoules sri lankaises au Canada (400.000), au Royaume-Uni (300.000), en France (100.000), ainsi que dans de nombreux autres pays tels que l’Allemagne, l’Australie ou la Norvège. Au total, plus de 2,7 millions de Tamouls vivent hors du Sri-Lanka, dont plus d’un million en Occident. L’apport financier et un soutien moral durable ont contribué à faire des Tigres Tamouls un des groupes terroristes les plus meurtriers et une référence en matière d’innovation tactique. Ce n’est pas par hasard si le LTTE est jusqu’à aujourd’hui le seul groupe terroriste ayant assassiné deux chefs d’Etat en exercice – le Premier Ministre indien Rajiv Gandhi en 1991 à Madras, et le président sri lankais Ranasinghe Premadasa en 1993. Par ailleurs, le LTTE a recouru massivement au procédé de l’attentat suicide. Les Black Tigers , division réunissant les volontaires au « martyr » au sein du LTTE, ont causé 901 victimes dans 76 attentats entre 1987 et 2001.
Tout au long de ces décennies d’activisme violent, le LTTE s’est progressivement assuré le monopole de la cause tamoule, écrasant dans le sang les autres organisations et factions défendant les droits des Tamouls sri lankais (2). L’intransigeance de son leader Prabhakaran a conduit à cette exclusivité également au sein de la diaspora. Les militants pro-LTTE ont étouffé les voix discordantes au sein des différentes communautés et ont réduit au silence ceux qui s’y opposent. Si la diaspora tamoule n’est pas homogène, sa parole et son militantisme ont été accaparés par les partisans du LTTE faisant pression sur les gouvernements de leurs pays hôtes pour reconnaître le droit des Tamouls sri lankais à l’autodétermination. Un droit qui n’est d’ailleurs reconnu par aucune grande puissance régionale ou internationale.

L’escalade des protestations

Les protestations hors du Sri Lanka se sont multipliées à l’heure de l’offensive militaire de l’armée sri lankaise, notamment dans ses dernières semaines. Les forces gouvernementales avaient déclaré une guerre tous azimuts contre les militants du LTTE, sans véritablement prendre en compte la protection des civils. Plus d’une centaine de milliers de civils fut prisonnier et témoin malheureux de cette escalade de violences entre l’armée et les Tigres tamouls. Ces derniers s’en sont servis de boucliers humains. Condamné par les Nations Unies pour le non-respect des droits de l’homme à l’encontre des civils lors de l’assaut final, Colombo fut l’objet de vives critiques au sein des cercles activistes et a certainement servi leur cause. Le monde occidental a été témoin d’une hausse significative des protestations et des épisodes violents en avril et mai 2009. Des grèves de la faim ont eu lieu à Londres, au Danemark et dans les principales villes australiennes. Des activistes tamouls avaient organisé le blocage du trafic routier à Toronto, où vit la plus grande communauté tamoule hors d’Asie. Un individu a tenté de s’immoler face au Palais des Nations de Genève alors que des attaques violentes se sont multipliées à la fois contre des temples bouddhistes – Paris, Londres, Toronto -, et des enceintes diplomatiques – comme la Haute Commission indienne à Oslo et l’ambassade du Sri Lanka à La Haye.

La question des réfugiés

La fin des combats a amené de nombreux combattants ou partisans du LTTE parmi les masses à quitter l’île clandestinement. La Thaïlande et la Malaisie servent de plateformes majeures pour les navires clandestins en route pour l’Australie. Les ressources étendues de la diaspora ont permis de soutenir un afflux de réfugiés sri lankais sans précédent. Leur venue sur les côtes australiennes et canadiennes a remis en question le régime de délibération des visas. De nombreux navires ont tenté d’entrer dans les eaux territoriales australiennes, seulement deux ont réussi. Conduits dans un premier temps au centre de détention pour réfugiés de Christmas Island , au sud de Java, et après un long bras de fer avec les autorités australiennes et indonésiennes, la plupart des réfugiés sri lankais ont pu entrer sur le territoire de l’Australie. En revanche, quatre des soixante-dix-huit individus à bord de l’ Oceanic Viking ont vu leur demande de visa refusée car l’agence australienne de renseignement national (ASIO – Australian Security Intelligence Organisation ) les soupçonne d’être d’anciens combattants des Tigres tamouls. Au vu de l’afflux des réfugiés en Australie – 1800 en 2009-, les autorités fédérales ont temporairement suspendu toute demande d’asile politique pour les réfugiés sri lankais. Dans le même temps, dans l’Etat canadien de Colombie britannique, 25 des 76 réfugiés à bord de l’ Oceanic Lady sont également suspectés de faire partie du LTTE.

La nouvelle phase de l’activisme tamoul : un procédé différent pour un objectif similaire

La défaite militaire de mai 2009 a illustré l’incapacité du LTTE à arriver à ses fins après plus de vingt-cinq ans de violence et de terreur. La décapitation du leadership militaire tamoul a vainement laissé croire à une fin annoncée du séparatisme au Sri Lanka. L’année écoulée n’a en rien amélioré le sort de la population tamoule des provinces du nord et de l’est. Le président en exercice Mahinda Rajapaske a saisi la victoire contre le LTTE pour renforcer son autorité et se faire élire pour un second mandat présidentiel en janvier 2010. Force est de constater que la non résolution de la question tamoule contribue au nouvel élan de la diaspora. En juillet 2009, à peine un mois après la fin de la guerre civile fut créé à Londres le Forum tamoul mondial regroupant des associations et organisations pro-LTTE de quatorze pays. Parmi les plus actives, les fédérations d’associations suisses et canadiennes. En parallèle au Forum tamoul mondial fut constitué le Gouvernement transnational du Tamil Eelam (TGTE) mi-2009. Les partisans du TGTE sont à l’origine d’une série de référendums au sein de chaque communauté nationale quant au soutien ou non à la formation d’un Etat indépendant. Ainsi, les votes ont servi à élire les 135 représentants de l’Assemblée consultative issue de la diaspora, des Etats-Unis à la Malaisie en passant par l’île Maurice et l’Afrique du Sud entre autres. Par une écrasante majorité, les électeurs ont approuvé la résolution Vaddukoddai de 1976, insistant sur la nécessité de reconnaître le droit du peuple tamoul sri lankais à l’autodétermination. Les référendums organisés dans le Royaume-Uni fin janvier 2010 et en Australie en avril dernier illustrent des résultats sans équivoque. 99,33% des votants se sont dits favorables à la poursuite de la quête d’un Etat tamoul séparé. Si l’on constate que l’activisme tamoul est entré dans une phase plus politique que militaire, il n’en demeure pas moins que l’objectif reste identique. S’opposant à la violence dans leurs déclarations fondatrices, le Forum tamoul mondial et le Gouvernement transnational du Tamil Eelam (TGTE) affichent pour mission d’ « empêcher la colonisation de la patrie du peuple tamoul par la majorité cinghalaise » et d’œuvrer « pour l’établissement d’un Etat indépendant et souverain » . Tous les deux entendent influencer les grandes puissances grâce au militantisme de la diaspora dans le but de poursuivre leur objectif ultime. La diaspora s’y est déjà essayée à ce procédé par le passé en finançant les campagnes électorales d’un membre de la Chambre américaine des Représentants. En retour, ce dernier avait plaidé la cause tamoule auprès des différents cercles du pouvoir américain.

En somme, la fin du combat du LTTE ne signifie en rien l’échec de la volonté d’accès à l’indépendance du peuple tamoul sri lankais. Loin d’avoir anéanti les espoirs de fonder le Tamil Eelam , la diaspora tente d’insuffler un vent nouveau à la cause tamoule. Son activisme est entré dans une phase plus politique après trois décennies de guérilla meurtrières et vaines.
(1) Liberation Tigers of Tamil Eelam
(2) Dans les années 1970, on dénombrait environ quarante organisations défendant la cause tamoule au Sri Lanka. Les Tigres tamouls, fondés en 1976, sont le nouveau nom adopté par les militants des Nouveaux Tigres Tamouls (TNT – Tamil New Tigers).
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