Que faire face à la recrudescence d’Al-Qaïda au Yémen : l’exemple des centres de rééducation religieuse d’Arabie Saoudite
Tribune
6 janvier 2010
Face au retour d’Al-Qaïda au Yémen, une des solutions proposées serait de s’inspirer de ce qu’il existe actuellement en Arabie Saoudite, avec ses programmes de réhabilitation, où les responsables revendiquent le fait qu’aucun « diplômé » ne se serait de nouveau tourné vers des activités terroristes.
Déclarés en fuite depuis novembre 2008 par les autorités saoudiennes, Said Ali Al-Shihri et de Mohamed Al-Aoufi, anciens opérationnels d’Afghanistan ont brutalement refait surface le 18 janvier 2009 en DivX sur les réseaux multimédiatiques de la mouvance radicale. Dans une vidéo réalisée par la société de production yéménite « Al Malahim », ces derniers se présentant respectivement comme « ex-prisonnier n°37 2 » et « n°333 à Guantanamo » dévoilent leur dernière reconversion : l’intégration dans la direction d’une toute nouvelle organisation basée au Yémen, « Al-Qaïda Al-Djihad dans la Péninsule arabe », toute entière vouée au combat contre les « mécréants » américains, leurs alliés occidentaux et les dirigeants « renégats » de la région. L’appellation choisie n’est pas anodine : elle ressuscite l’ancienne cellule saoudienne, aujourd’hui démantelée, qui avait frappé le Royaume en 2003 et 2004, avec des attentats très spectaculaires contre des cibles notamment américaines et des exécutions sommaires d’expatriés. Avec le renfort inespéré de ces deux opérationnels saoudiens, auréolés du prestige de vétérans de Guantanamo — une épreuve qui a « renforcé plus encore notre détermination à poursuivre le djihad », comme aime à le souligner l’ex-détenu n° 372 (1) — il peut désormais rallier à lui les réseaux dormants chassés par les Saoudiens et réaliser sa grande ambition, encouragée récemment par le n°2 d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri : l’établissement d’un califat islamique dans tout le golfe Persique, par l’intermédiaire du Yémen, base régionale des opérations.
La publication de ces vidéos fait suite à une publication du Pentagone rapportant que 61 anciens détenus auraient repris leurs activités terroristes. Au sein de ces 61 détenus, le Pentagone a confirmé que 18 d’entre eux avaient participé à des attaques et 43 sont suspectés d’être impliqués dans des attaques. Ce qui représenterait donc 11% des prisonniers libérés (sur 520). L’une des solutions proposées pour faire face au retour d’Al-Qaïda au Yémen est de prendre exemple sur les centres de « rééducation religieuse » mis en place en Arabie Saoudite. Blanchis par l’administration américaine, les 11 fugitifs figurant sur la liste rendue publique par le Ministre saoudien de l’Intérieur début février 2009 (11 des 83 ex prisonniers saoudiens de Guantanamo activement recherchés par les autorités du Royaume pour appartenance au réseau Al-Qaïda), avaient été remis à leur pays entre 2005 et 2007 sous condition : qu’ils suivent le programme mis en œuvre par l’Arabie Saoudite et partiellement financé par les Etats-Unis, de réhabilitation pour anciens djihadistes. Ce dernier est censé garantir leur réintégration dans la société.
Prenons le cas du centre de rééducation des terroristes d’al-Thoumama, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Riyad lancé en 2004. Ce programme est ambitieux, à la mesure du défi posé par la menace d’Al-Qaïda dans le berceau du wahhabisme, qui a fourni 15 des 19 terroristes du 11 septembre 2001. Dénommés les « égarés » ou encore les « soldats perdus de l’Islam », le centre met en place une « rééducation religieuse » par des dignitaires religieux à raison de trois heures de cours par semaine pendant dix semaines, sanctionnées par un examen final qui conditionne leur remise en liberté. Ils écoutent les prisonniers, les questionnent sur ce qui les ont conduit à faire le djihad. Puis ils s’engagent dans d’intenses débats religieux pour leur montrer que l’islam qui leur était enseigné n’est « pas le bon ». Pour être plus convaincants, nombre d’imams sont eux-mêmes d’anciens repentis. Sept centres comme al-Thoumama ont vu le jour et, au total, 250 prisons vont être construites à travers l’Arabie. A la sortie du centre, l’ancien djihadiste reçoit de l’argent, un travail et s’il le souhaite, une femme. Depuis 2004, 2000 prisonniers l’ont suivi, dont 700 ont été relâchés après avoir renoncé à l’idéologie djihadiste. 85 % n’ont pas rechuté (2).
Cette approche rééducatrice a le mérite de séparer le noyau dur des partisans d’Al-Qaïda des autres, ces milliers de sympathisants djihadistes sur lesquels les autorités peuvent aujourd’hui s’appuyer pour assécher le marais terroriste d’Arabie, malgré le fait que l’effectivité de ces centres demeurent toujours difficilement saisissable.
En plus des opérations purement militaires visant à l’élimination des combattants, ce que l’on peut souhaiter de mieux est que de tels centres soient mis en place le plus tôt possible au Yémen afin de contenir cette situation devenue très problématique d’après les officiels du contre-terrorisme américain, en raison du fait que près de la moitié des prisonniers restants sont yéménites. La « rééducation religieuse » des anciens de Guantanamo apparaît être l’un des enjeux clef du contre-terrorisme car elle s’attaque aux bases et à la justification du Djihad.
(1) Robert F.Worth, Freed by the U.S., Saudi Becomes a Qaeda Chief, The New York Times, 22 janvier 2009.
(2) Georges Malbrunot, La rééducation des terroristes de Guantanamo, Le Figaro, mercredi 9 janvier 2009.