ANALYSES

L’eau : élément indispensable à la reconstruction de l’Irak

Tribune
20 novembre 2009
Le drame auquel font face les Irakiens est résumé par l’un des leurs, Yassir Razaq : « Je n’ai pas de travail, notre bétail est mort et nos enfants ne vont plus à l’école parce que je n’ai pas d’argent pour leur acheter des vêtements » ; « Avant quand on pouvait pêcher, on pouvait avoir de l’argent pour les vêtements des enfants » ; « Aujourd’hui nous avons tout perdu et notre condition est misérable » (2).

A priori, l’Irak est riche (3) en eau, puisque qu’avec le Tigre et l’Euphrate le total des eaux de surface est de 106 Milliards de mètres cubes, dont 30 milliards pour l’Euphrate et 50 milliards pour le Tigre. Or, ceci est faible puisque 40 % du territoire est constitué de désert, et que les pluies concentrées entre décembre et février sont tout aussi faibles (4). Par conséquent, si l’Irak doit se contenter de la pluviosité annuelle, les trois-quarts du pays seront transformés en désert (5).

En conséquence, la dépendance agricole sur un nombre restreint de terres cultivables est importante. Les Irakiens utilisent 93 % des terres cultivables. Or, celles-ci ne constituent que 26 % de l’aire du pays. De plus, la salinité de l’eau complique l’exploitation puisque sur 8 millions d’hectares, seulement 3 à 5 millions sont véritablement cultivés tout au long de l’année.

En outre, les régimes se sont focalisés essentiellement sur la production et l’exportation du pétrole (6) qui est devenu logiquement la seule source de richesse du pays. L’or noir représente à lui seul 95 % des recettes des exportations. La population irakienne est donc très dépendante des fluctuations du cour du pétrole. En effet, le secteur agricole reste la deuxième industrie du pays après le pétrole, mais après des années d’abandon, de sanctions internationales et d’investissements insuffisants, il ne représente plus que 8 % du PIB.

Une croissance démographique trop rapide

En outre, la population est estimée à 25,4 millions d’habitants, dont 25 % vivent en milieu rural. La croissance démographique soutenue est de 3,4 % (7) et selon les calculs de Malthus, le renouvellement de la population se fait tous les 18 ans, et non tous les 25 ans (8). Elle sera par conséquent doublée en 2019 (9). Cette croissance de la population signifie d’une part que les besoins domestiques en eau augmentent, et ce de manière rapide et d’autre part, le mode de consommation qui se modifie, requiert de plus en plus d’eau (10).

Ainsi, le rapport du conseil économique et social des Nations unies, en janvier 1992, mentionnait déjà que « le fossé entre les ressources aquifères limitées et la rapide augmentation de la population s’élargit de façon inquiétante » (11). Cela est d’autant plus vrai que 41 % de la population irakienne a moins de 14 ans (12).

En effet, le taux d’urbanisation était de 77 % en 1999 (13) et 43 % de la population vit dans des villes millionnaires. L’urbanisation incessante et rapide, de 3,6 % entre 1994 et 2000, grignote inexorablement les terres agricoles (14) et entraîne des problèmes en alimentation en eau des villes.

En effet, « ces zones peuplées correspondent grosso modo à la carte des ressources en eau que celle-ci soit d’origine fluviale ou pluviale » (15). Les effets de la guerre, des sanctions économiques et les trois années de sévère sécheresse ont sérieusement érodé la base des moyens de subsistance des Irakiens, selon la FAO et le PAM (16). En 2003, environ 60 % de la population irakienne était au chômage et dépendait en grande partie des rations alimentaires publiques (17).

Cette même année, les Nations unies et la banque mondiale ont évalué les besoins pour la reconstruction à 55 milliards d’euros entre 2004 et 2007, dont 9 milliards de façon urgente.

Un pays en reconstruction

Pour faire face, l’Irak a contracté depuis les années quatre-vingt une dette colossale de 120 milliards d’euros auprès de nombreux pays occidentaux (18). De fait, les dons sont devenus un moyen privilégié de financement. Lors de la conférence de Madrid (19), en octobre 2003, les pays donateurs se sont engagés à fournir 33 milliards sur les 55 milliards d’euros nécessaires durant la période 2004-2007 (20).



Or, comme l’a écrit M. Pelletière, de Human Rights Watch : « Il nous est rappelé constamment que l’Irak a peut-être l’une des plus grandes réserves de pétrole du monde. Mais, au plan régional, peut-être même géopolitique, il pourrait être important que l’Irak ait le système fluvial le plus extensif au Moyen-Orient » (21). « Le manque d’éducation et de services essentiels, notamment l’électricité, l’irrigation et les systèmes de drainage modernes, le transport, tout cela limite fortement la compétitivité de l’Irak » (22). Les canalisations sont très souvent anciennes et de mauvaise qualité. L’eau n’est donc ni distribuée ni potable.

L’eau, en tant qu’élément indispensable à la vie, à l’agriculture, et à l’industrie, la rénovation, l’amélioration ou la reconstruction d’un réseau de distribution ou de gestion de l’eau sont urgentes. Le programme américain, réalisé par l’Agence pour le Développement International, USAID, est notamment concentré sur le traitement de l’eau (23). Par exemple, le système de distribution de l’eau remis à neuf à Bassora, doit permettre de procurer de l’eau potable à 1,7 millions de personnes.
L’agence Usaid publie régulièrement un bulletin, « Iraq reconstruction weekly update », sur les progrès de la reconstruction de l’Irak. Dans un communiqué, il a été annoncé que 10,5 milliards de dollars ont été dépensés pour quelque trois mille cinq cents projets (24). Néanmoins le Government Accountability Office (25) a estimé que les chiffres donnés par le département d’Etat étaient « grossièrement surévalués ». En outre, les travaux réalisés sont parfois défaillants : l’usine à eau à Al-Soumelat ne pouvait produire aucune eau potable, puisque les canalisations, divisées en trois segments, n’étaient pas reliées à la conduite principale.

Une production agricole insuffisante

Au cours de l’été 2003, avec l’arrivée des grandes chaleurs, la situation humanitaire s’est rapidement détériorée et faute de traitement adéquat des eaux, des épidémies de dysenterie et d’autres maladies se sont étendues (26).



« Tous les facteurs se rejoignent en même temps, urbanisation, changement climatique, variation du climat à court terme, demande accrue de nourriture », explique David Molden, directeur adjoint d’un institut de gestion de l’eau. L’Irak connaît sa deuxième année de sécheresse sévère et sa pénurie d’eau la plus importante depuis une décennie, estiment les responsables américains à Bagdad (27).

La récente sécheresse a fait chuter le débit du Tigre et de l’Euphrate, qui alimentent les marais. Sur les deux dernières années (2007-2009), les précipitations n’ont atteint que 30% à 40% de leur niveau normal, en Irak mais aussi en Syrie et dans le sud-est de la Turquie. En mars 2009, la FAO et le gouvernement irakien ont annoncé un nouveau programme de 47 millions de dollars pour les marais.
Mais le directeur du programme, le Dr. Fadel el-Zubi, doute que ces zones humides puissent retrouver complètement leur état initial sans un retour de la pluie.
« L’objectif principal est de réhabiliter le plus possible la zone au cours des cinq prochaines années et de permettre aux habitants des marais de reprendre l’agriculture, l’élevage, etc. », souligne M. El-Zubi (28).

La récolte de blé attendue en 2009 pourrait diminuer à 1,35 millions de tonnes, soit la moitié d’une récolte normale. « Dans les années 1980, il y a eu la guerre avec l’Iran, dans les années 1990, il y a eu le Koweït et maintenant ce sont les Américains. Il y a eu cinq à six millions de morts et 70% de la population des campagnes est partie » (29).
L’ONU a ainsi placé l’Irak sur la liste des pays ayant besoin d’une aide alimentaire en 2009.

La dépendance envers les importations et l’exode rural ont incité le Premier ministre Nouri al Maliki à lancer une initiative pour relancer le secteur agricole, qui reste tout de même le premier employeur du pays. Mais les résultats seront longs à venir. Le remplacement de l’irrigation par inondation, qui favorise la salinité et la moindre fertilité des sols est mis en place. Mais les méthodes d’irrigation performantes sont coûteuses et requièrent un équipement et une formation que la plupart des agriculteurs n’ont pas (30).



Des plans ambitieux… mais un manque de moyens financiers

Pour tenter de réduire la salinité et d’améliorer les rendements agricoles, les Etats-Unis ont aussi investi 130 millions de dollars pour réparer et étendre le canal Saddam (31). Ils ont rénové une station de drainage dans le sud du pays, la plus grande du Moyen-Orient, qui devrait réduire la quantité de sel dans l’eau utilisée par les agriculteurs.

Le Premier ministre a lancé un plan d’investissement de 158 millions d’euros destiné à relancer le secteur agricole. Le gouvernement subventionne les ventes de semences ainsi que les éleveurs et les producteurs de dattes.
Des investissements bien plus importants seront toutefois nécessaires pour l’acquisition de systèmes d’arrosage, de réfrigération et de cultures capables de résister à la sécheresse. L’Irak a déjà réduit son budget de 2009 de 63 à 49 milliards d’euros en raison de la baisse des prix du pétrole, et les parlementaires envisagent encore une réduction de 3,4 milliards d’euros supplémentaires (32).

« La réduction des budgets face à la baisse du prix du pétrole, la corruption, l’inefficacité bureaucratique, tout cela crée un immense défi », prévient Dan Foote, responsable de la reconstruction de Maysan (33).

Malgré une meilleure récolte céréalière et la levée des sanctions économiques, près de la moitié des 26,3 millions d’Irakiens seraient pauvres et auraient besoin d’aide, selon un rapport publié par la FAO et le PAM (34).

L’approvisionnement en eau et l’assainissement sont des problèmes majeurs de l’Irak de l’après-guerre. Actuellement, un maximum quotidien de 70 litres par personne est disponible pour les cinq millions d’habitants de Bagdad. La situation est encore plus préoccupante dans les villes du sud (35).
« L’Irak, en raison de son environnement, est confronté aujourd’hui à ces problèmes, mais beaucoup d’autres régions du monde connaîtront les mêmes à l’avenir », souligne David Molden. « C’est pour cela qu’il faut arriver à comprendre pourquoi on en arrive là. » (36)


(1) L’armée américaine réduit encore ses effectifs en Irak, Le Monde, 30 septembre 2009, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/09/30/l-armee-americaine-reduit-encore-ses-effectifs-en-irak_1246980_3218.html
(2) Irak : la sécheresse menace le « Jardin d’Eden », http://www.editoweb.eu/Irak-la-secheresse-menace-le-Jardin-d-Eden_a15827.html
(3) A Chauprade, Constantes et changements dans l’histoire, 2e Ed. Paris, Ellipses, 2003, p 594
(4) www.fao.org/ag/agl/agwl/aquastat/countries/iraq/main1.htm
(5) G Mutin, Géopolitique du monde Arabe, Paris, Ellipses, 2001, p 67
(6) Cette politique étant renforcée par le programme des Nations unies « Pétrole contre nourriture ».
(7) C. Chesnost, La bataille de l’eau au Proche-Orient, Paris, L’Harmattan, 1993, p 47
(8) A. Chauprade, op ciit, p 590
(9) Coup d’œil sur l’Irak et coups d’œil sur la Syrie, www.medintelligence.free.fr
(10) H. Hishow, op ciit, p 17
(11) C. Chesnost, op ciit, p 49
(12) www.unesco.org/water/wwap/nexs/iraq.shtml
(13) Coups d’œil sur l’Irak, www.medintellignece.free.fr
(14) Habib Hishow, L’Irak (paysannerie, politiques agraires et industrielles au XXe siècle), Château-Gontier, Publisud, 1996, p 17
(15) M. Bouguerra, Les batailles de l’eau (pour un bien commun de l’humanité), Mouguerre, enjeux planète, 2003, p 51
(16) L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et Programme Alimentaire Mondial
(17) Malgré une meilleure récolte des millions de personnes restent en situation d’insécurité alimentaire en Irak, FAO, septembre 2003.
(18) Washington a l’ambition de reconstruire l’Irak en un an, www.lemonde.fr, Irak : construction, La documentation française, CDI
(19) Conférence organisée à Madrid pour la reconstruction de l’Irak
(20) Etat des lieux, Questions-réponses, Le Monde économie, Mardi 29 juin 2004, p II
(21) Crise de l’eau en Irak : alerte de human Rights Watchs, 13 février 2003, sources nouvelles, www2.irc.nl
(22) L’Irak espère relancer son agriculture moribonde, http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/international/europe/20090228.REU0292/lirak_espere_relancer_son_agriculture_moribonde.html
(23) Iraq, water/wastewater, www.bechtel.com
(24) En Irak : la reconstruction aussi est un échec, le monde diplomatique, avril 2007, p 20
(25) organe du Congrès qui audite les programmes gouvernementaux
(26) En Irak : la reconstruction aussi est un échec, le monde diplomatique, avril 2007, p 20
(27) La sécheresse pèse sur la reconstruction de l’Irak, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-07-24/la-secheresse-pese-sur-la-reconstruction-en-irak/924/0/364209
(28) Irak : la sécheresse menace le « Jardin d’Eden », http://www.editoweb.eu/Irak-la-secheresse-menace-le-Jardin-d-Eden_a15827.html
(29) La sécheresse pèse sur la reconstruction de l’Irak, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-07-24/la-secheresse-pese-sur-la-reconstruction-en-irak/924/0/364209
(30) Quand l’eau se jette dans le Golfe, il atteint 2.000 ppm, le double du Colorado à son embouchure dans le golfe de Californie, souligne David Molden. ‘La plupart des récoltes, à l’exception des plus tolérantes en sel, voient leur productivité baisser lorsqu’elles sont irriguées avec cette eau’.
(31) un canal d’irrigation inauguré dans les années 1980 pour relancer l’agriculture
(32) L’Irak espère relancer son agriculture moribonde, http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/international/europe/20090228.REU0292/lirak_espere_relancer_son_agriculture_moribonde.html
(33) L’Irak espère relancer son agriculture moribonde, http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/international/europe/20090228.REU0292/lirak_espere_relancer_son_agriculture_moribonde.html
(34) Malgré une meilleure récolte des millions de personnes restent en situation d’insécurité alimentaire en Irak, FAO, septembre 2003.
(35) Malgré une meilleure récolte des millions de personnes restent en situation d’insécurité alimentaire en Irak, FAO, septembre 2003.
(36) La sécheresse pèse sur la reconstruction de l’Irak, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-07-24/la-secheresse-pese-sur-la-reconstruction-en-irak/924/0/364209