ANALYSES

Etablir des relations diplomatiques avec Pyongyang : pourquoi le moment est bien choisi

Tribune
6 octobre 2009
Le maillon manquant d’un réseau solide

La Corée du Nord entretient des relations diplomatiques avec près de 150 Etats. En ce qui concerne l’Union européenne, la France est, avec l’Estonie, le seul Etat membre à ne pas disposer de lien diplomatique officiel avec Pyongyang. Cela peut sembler étonnant, quand on sait que Paris entretient un réseau diplomatique particulièrement important, mais également en contradiction avec la politique étrangère de la France, acteur de premier plan des relations internationales, et dont les intérêts sont présents sur tous les continents. Parmi les pays avec lesquels Paris entretient des relations diplomatiques, on note par ailleurs la présence de régimes qui ne sont pas, loin s’en faut, considérés comme des modèles démocratiques, comme le Myanmar, Cuba ou le Belarus. Les pays soupçonnés de prolifération sont également présents, avec l’Iran et la Syrie. Au total, la liste des ambassades est impressionnante, avec certains Etats dans lesquels les intérêts français sont sans doute assez limités. Le grand absent est la Corée du Nord. De son côté, Pyongyang dispose d’un Bureau de représentation à Paris, qui remplit des fonctions similaires aux ambassades. Pour ces raisons, il est légitime que les conditions de l’établissement de relations diplomatiques avec Pyongyang soient aujourd’hui considérées en France.

Des opportunités manquées

Depuis la fin de la Guerre froide, Paris a manqué deux grands rendez-vous qui auraient pu la placer comme un interlocuteur privilégié dans le dossier nord-coréen. Le premier de ces rendez-vous fut la signature des accords de la Kedo, en 1994, que la France, en tant que puissance nucléaire reconnue par le Traité de non-prolifération, était invitée à apprécier. Avec la mort de Kim Il-Song, les contentieux historiques semblaient s’apaiser, et en marge des efforts de Washington et des puissances régionales, Paris aurait pu proposer d’ouvrir une ambassade à Pyongyang, ce que personne n’aurait alors considéré comme déplacé. Ce ne fut pas le cas. L’autre grand moment fut le tournant du millénaire, avec la consolidation de liens diplomatiques entre la Corée du Nord et de multiples pays occidentaux, notamment européens. Entre 2000 et 2002, tandis que la sunshine policy augurait des jours plus heureux dans la péninsule, les grandes puissances comprirent que l’ouverture d’une ambassade à Pyongyang leur serait bénéfique. Pas la France. La crise nucléaire nord-coréenne qui débuta en 2002 rendit évidemment des initiatives diplomatiques plus déplacées.

Peser sur les pourparlers de manière décisive

Tant que l’administration Bush était aux commandes aux Etats-Unis, il était par ailleurs difficile pour la France de se lancer dans des initiatives diplomatiques en direction de Pyongyang sans être immédiatement accusée par les milieux néoconservateurs américains de pactiser avec les Etats voyous. Mais l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, et la volonté de Washington de trouver une issue diplomatique à la crise nord-coréenne, qui pourrait même déboucher sur une reconnaissance de Pyongyang, selon l’entourage du président américain, ouvre de nouvelles perspectives, et précipite même les initiatives. Au cas où le dialogue serait rétabli de manière solide entre Washington et Pyongyang, avec l’ouverture d’une représentation diplomatique américaine en Corée du Nord, la France serait la seule puissance à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec le régime (certes très discutable) de Kim Jong-il. Or, la France pourrait jouer un rôle important dans le dossier nucléaire nord-coréen, qu’elle a jusqu’à présent étonnement négligé. C’est pourquoi il est indispensable de ne pas prendre du retard dans les évaluations qui doivent nécessairement précéder un tel geste. C’est aussi pourquoi le moment est bien choisi.

(1) Barthélémy Courmont
Chercheur à l’IRIS, Professeur invité à l’UQAM, et titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Montréal, Canada. Il vient de publier Les guerres asymétriques (deuxième édition), chez Dalloz, et sort en novembre Chine, la grande séduction. Essai sur le soft power chinois, chez Choiseul.