ANALYSES

Nicolas Sarkozy, Mahmoud Ahmadinejad et l’ONU

Tribune
25 septembre 2009
On attendait qu’il réaffirme sa position désormais connue niant la réalité de l’Holocauste et appelant de ses voeux à la destruction d’Israël. Or, sans rien nier de ses déclarations passées, Ahmadinejad avance une nouvelle argumentation qui n’est pas seulement antisioniste mais qui traduit un sentiment qu’on peut qualifier davantage d’« antisémite », répandu dans une large partie de l’opinion arabe et musulmane mais aussi en Europe et dans d’autres parties du monde, en affirmant : « il n’est plus acceptable qu’une petite minorité domine la politique, l’économie et la culture dans une large partie du monde grâce à ses réseaux sophistiqués, instaure une nouvelle forme d’esclavage et nuise à la réputation d’autres nations (…), afin d’atteindre ses objectifs racistes ». Le résultat : Ahmadinejad a réussi à diviser l’Union européenne qui n’a pas pu réagir en commun face à son discours. Si certains pays dont la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont quitté la salle pour protester contre le discours d’Ahmadinejad, d’autres, à commencer par la Suède qui préside actuellement l’Union européenne, estimant que le président iranien n’a franchi aucune des lignes rouges tracées au préalable par l’Union, sont restés dans la salle pour l’écouter.

Mais, l’essentiel n’est pas ce « succès » relatif d’Ahmadinejad, mais bel et bien l’escalade verbale entre le président français Nicolas Sarkozy et le président iranien à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU et pendant celle-ci.

On a assisté ces derniers jours à des échanges entre les présidents français et iranien rarement vus dans les annales des relations entre les pays qui ne se trouvent pas, au moins officiellement, dans une situation d’hostilité. Le lien établi par Ahmadinejad entre la libération de Clotilde Reiss, bloquée à l’ambassade de France à Téhéran en attendant le verdict de son procès, et la libération des prisonniers iraniens en France (il s’agit en réalité de Vakili Rad, condamné en 1994 en France pour l’assassinat de l’ex-Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar qui pourrait être libéré dans un avenir proche) a servi d’argument à Nicolas Sarkozy pour rejeter le « chantage » iranien, même si l’un et l’autre ont insisté sur l’indépendance de la justice de leur pays, ce qui signifie qu’ils n’ont pas totalement fermé la porte à leur libération.

Cette escalade verbale entre les deux présidents n’est cependant que la suite logique de la nouvelle approche française vis-à-vis de l’Iran depuis que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République. La première manifestation de cette nouvelle politique iranienne de la France fut la fermeté française sur le dossier du nucléaire iranien. La France a joué un rôle important pour le transfert de ce dossier au Conseil de sécurité et la prise de sanctions contre l’Iran. On se souvient de la déclaration française « la bombe ou le bombardement » de l’Iran. D’autres déclarations de Nicolas Sarkozy, vis-à-vis des dirigeants iraniens, notamment la formule « le peule iranien mérite mieux que ses dirigeants actuels » font parties de cette escalade verbale entre la France et l’Iran.

Cette « nouvelle politique » française impulsée par Nicolas Sarkozy et en rupture totale avec ses prédécesseurs laisse perplexes les observateurs. Attend-t-il un changement du régime en Iran ? Rien ne laisse croire une telle éventualité à court et à moyen termes. Certes, le président français a raison de dire que le régime iranien est fragilisé après la réélection contestée d’Ahmadinejad et la violence contre les opposants. Même si le mouvement populaire de contestation est toujours présent, c’est la contestation interne au régime islamique qui est à l’origine de cette fragilité. Avec la prise de position de la majorité des grands ayatollahs en faveur de l’opposition d’une part et la division au sein même des conservateurs supposés soutenir Ahmadinejad d’autre part, la République islamique traverse effectivement une crise de légitimité que seul le soutien des Gardiens de la Révolution ne suffit pas à assurer. Il est donc évident que la République islamique ne peut fonctionner durablement contre l’avis des autorités religieuses et en l’absence de l’adhésion de la majorité des Iraniens, sauf à se transformer en une dictature militaire.

Mais, on se trompe lourdement si l’on considère que l’opposition réformatrice et ses dirigeants religieux ou laïcs sont plus enclins à accepter les approches et les intérêts de l’Occident au détriment de ceux de l’Iran. Mir Hussein Moussavi se considérant comme le véritable héritier d’ayatollah Khomeiny, le fondateur de la république islamique, ainsi que l’ex-président Mohammad Khatami, souhaitent évidemment plus de démocratie et de libertés pour les Iraniens, mais ils ne sont nullement disposés à céder sur le dossier nucléaire ou sur les intérêts de l’Iran comme puissance régionale. Dans une vidéo mise sur l’Internet quelques jours après son arrestation le soir même du scrutin présidentiel du 12 juin, M. Ramazanzadeh, l’un des responsables imminents du parti réformateur Mosharekat et le porte-parole de l’ancien président, Mohammad Khatami, estimait que l’équipe d’Ahmadinejad sera disposée à donner des gages aux puissances étrangères, notamment sur le dossier nucléaire, pour compenser son manque de légitimité en Iran.

Qui peut croire qu’avec quelques mesures de sanction supplémentaires, on puisse infléchir la position iranienne sur le dossier nucléaire au point qu’il abandonne l’enrichissement de l’uranium ? Dès lors, plusieurs questions se posent. Regrettant l’époque Bush, le président français n’est-il pas gêné par la nouvelle approche américaine des questions internationales portée par Barack Obama, au point de vouloir la contrecarrer ? N’est-il pas tombé dans le piège tendu par Ahmadinejad, adepte d’une politique de tension et à la recherche d’un ennemi depuis que le spectre de « grand Satan » américain à la recherche d’un changement du régime n’est plus un danger ? Si des sanctions supplémentaires ne plient pas le régime iranien, allons nous vers l’option déjà évoquée de « bombardement » ?

Ce sont des questions qui méritent une réponse.