ANALYSES

Afghanistan : les forces étrangères accusées de « crimes de guerre »

Tribune
12 juin 2009
Deuxièmement, il affirmait l’importance du volet civil de la présence étrangère dans un pays où peu d’efforts et de moyens ont été consacrés à l’amélioration de la situation de la population. Alors que plusieurs milliards de dollars sont consacrés mensuellement aux efforts militaires (près de 2 milliards rien que par les Etats-Unis), l’aide civile au développement atteint à peine 200 millions de dollars.

Le mois de mai 2009 pourrait marquer une date importante dans les relations entre l’Afghanistan et la coalition internationale, les Etats-Unis en tête. C’est l’évolution de la situation sur le terrain qui détermine ce changement. On connaissait les raisons qui ont abouti à l’échec de l’Occident en Afghanistan : l’absence, dès le début, d’une stratégie militaire adaptée et cohérente contre les Talibans, le manque de coordination entre les différentes forces militaires présentes en Afghanistan, l’absence d’un commandement unique, la faiblesse et l’incapacité des forces militaires et de sécurité afghanes … Mais, on a souvent sous-estimé l’une des raisons essentielles qui a contribué à l’échec de l’Occident en Afghanistan, a savoir, la façon dont les opérations militaires, notamment aériennes, sont menées par les forces étrangères en Afghanistan et qui font beaucoup de victimes civiles..

Le risque que la présence militaire des Etats-Unis et de l’OTAN soit considérée, non seulement par les Talibans et une importante frange de la population pachtoune qui les soutient, mais aussi par ceux qui sont hostiles aux Talibans, comme une occupation étrangère, a été souligné dans le passé. Or, depuis deux ans, au fur et à mesure que le nombre de civils morts sous les bombardements aériens augmente, l’hostilité de la population et des autorités de Kaboul contre ces opérations se multiplie. Une première alerte significative a été enregistrée l’an dernier après la mort de 90 civils tués lors d’un raid aérien de la coalition, le 22 août 2008, sur le village d’Azizabad dans l’ouest de l’Afghanistan. Réagissant à l’époque contre ce raid, Hamed Karzaï avait déclaré que « s’il avait seulement des lances pierres à sa disposition, il n’hésiterait pas à les utiliser pour abattre les avions américains ». Depuis, malgré la promesse d’éviter qu’il y ait des victimes civiles, rien n’a modifié ni la stratégie militaire ni le comportement des soldats étrangers envers les civils et les bavures se sont multipliées. Le 4 mai 2009, de nouveau, les raids américains ont fait, selon les autorités afghanes, 140 morts parmi les civils, dont des enfants, dans le village de Bala Bluk, toujours à l’ouest dans la province de Farah.

Les réactions contre ces opérations prennent de l’ampleur. Des manifestations ont eu lieu un peu partout, notamment à l’Université de Kaboul. Hamed Karzaï a promis une nouvelle fois aux villageois, qu’il insistera auprès des Américains pour qu’ils arrêtent de bombarder les villages, avouant implicitement son impuissance face à ses protecteurs. Pourtant, le ministre des Affaires étrangères, Ranggin Dadfar Spanta, a franchi cette fois le pas en reprenant à son compte une déclaration du Parlement afghan, pour dire, le 16 mai, que l’Afghanistan veut changer les accords définissant la présence des soldats étrangers sur le sol afghan. Plus surprenants sont les propos du ministre qui justifiait ainsi la révision de ces accords : l’Afghanistan aurait signé ces accords alors qu’il n’avait pas de gouvernement.

Un pas supplémentaire a été franchi le 3 juin par le Parlement afghan. Ce jour, dans une déclaration signée par 70 députés de l’Assemblée nationale, les forces étrangères ont été accusées de « crimes de guerre » en Afghanistan. Ces députés ont demandé la constitution de tribunaux afghan et international pour juger ces crimes. Ils ne reprochent pas seulement aux forces étrangères les bavures commises contre les civils, ils les accusent également de violations des droits de l’homme, d’emprisonner des enfants et d’utiliser des chiens au moment des fouilles des maisons. Il faut souligner que cet acte, anodin ailleurs, est extrêmement opposé aux coutumes afghanes.

L’administration américaine est bien consciente du risque que représentent les ressentiments qui se développent de plus de plus contre les actions militaires de la coalition en Afghanistan. Le prochain commandant des forces américaines et alliées en Afghanistan, le général Stanley McChrystal, a assuré, le 2 juin, que sa priorité serait de limiter les victimes parmi la population : « si l’on attise la colère des gens en combattants les rebelles, la victoire sera creuse et ne durera pas ». Mais, comment combattre un ennemi que rien ne distingue réellement du reste de la population ? C’est le dilemme des forces étrangères en Afghanistan.