ANALYSES

L’Administration Obama : de nombreuses priorités mais une stratégie encore floue

Tribune
12 février 2009
Les émissaires spéciaux au Moyen-Orient sont déjà au travail. George Mitchell, en charge du Proche-Orient, vient de terminer une tournée qui l’a conduit en Israël, Cisjordanie, Egypte, Jordanie et en Arabie Saoudite. Il a également rencontré des leaders européens. Pour l’heure, la position américaine sur le dossier israélo-palestinien n’est pas arrêtée. George Mitchell souhaite privilégier la discussion avec les principaux acteurs avant de prendre position. Toutefois, Mitchell n’a pas rencontré de représentant du Hamas et il semble que la nouvelle administration américaine n’envisage pas, dans un futur proche, de dialoguer avec lui. Richard Holbrooke, en charge de l’Afghanistan et du Pakistan, a également entamé une tournée internationale, se rendant à Londres, Munich, puis en Afghanistan et au Pakistan.
Obama, lui-même, a démontré son intérêt particulier pour le monde musulman, en délivrant son premier discours important de politique étrangère à une chaîne de télévision saoudienne, al-Arabiya, et en soulignant sa volonté d’améliorer les relations des Etats-Unis avec cette région du monde.

L’Afghanistan, principal casse-tête militaire de l’administration, est considéré comme une priorité. Et les objectifs sont nombreux : s’attaquer au problème de production et de trafic de drogue, prendre ses distances vis-à-vis d’Hamid Karzai, moins se focaliser sur la démocratisation du pays que sur sa sécurité en luttant contre Al Qaïda, promouvoir une reconstruction économique, envoyer un renfort massif de troupes, etc.
Pour Obama, la solution n’est pas seulement militaire : cela serait pour lui une erreur d’envoyer plus d’hommes sur le terrain (on parle aujourd’hui de 17.000 à 30.000 hommes supplémentaires) sans redéfinir la stratégie dans son ensemble. Selon le Général Jones (1), Conseiller à la sécurité nationale, la faible coopération internationale, des ressources financières insuffisantes pour le développement du pays et l’incapacité à développer une approche régionale pour reconstruire l’Afghanistan sont à l’origine des échecs dans cette région. L’administration Obama semble ainsi vouloir à la fois développer une stratégie multilatérale, en appelant notamment leurs alliés à davantage s’impliquer, et favoriser une approche plus régionale pour résoudre le conflit afghan.
L’administration Obama semble vouloir également adopter une révision en profondeur de la stratégie à l’égard de l’Iran, avec l’ouverture au dialogue comme principal point de rupture avec la politique de Bush, même si le lancement d’une fusée dans l’espace a été jugé « inquiétant » par Washington. Gary Samore, un ancien du National Security Council (NSC) sous Bill Clinton, en charge des questions de non prolifération, devrait faire office de « coordinator on the prevention of Weapons of Mass Destruction, terrorism and proliferation » et à ce titre jouer un rôle important dans le dialogue avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire. Puneet Talwar devrait pour sa part être en charge de l’Iran, de l’Irak et des pays du Golfe au NSC. Ce dernier est un proche de Joe Biden et, depuis longtemps, un partisan du dialogue avec l’Iran.
Toutefois, personne n’a été officiellement nommé comme émissaire spécial à Téhéran, du fait principalement des prochaines élections dans ce pays, qui pourraient changer la donne.

L’administration Obama ne devrait pas non plus délaisser l’Asie, comme le montrent les récentes nominations pour cette région. Jeff Bader, en charge de l’Asie au Conseil de Sécurité National (NSC) est le principal conseiller d’Obama sur la Chine, dont il est réputé être un grand spécialiste et Kurt Campbell, nouveau secrétaire d’Etat adjoint pour l’Asie de l’Est, suit de près les affaires militaires chinoises. Ces deux experts sont également réputés être des partisans du renforcement des relations entre les Etats-Unis et Taiwan, sujet sensible pour Pékin. Plus généralement, les Chinois ont plutôt tendance à adopter une attitude prudente lorsque les Démocrates sont au pouvoir, car ceux-ci sont réputés être plus attachés aux questions des droits de l’homme ou être plus enclins à recourir au protectionnisme.
Si l’administration Obama va chercher à entretenir une bonne relation avec la Chine, il est probable que des différents économiques et commerciaux apparaissent rapidement. Washington se défend de vouloir ouvrir une « guerre monétaire » avec la Chine – qui est le premier détenteur de bons du Trésor américains et donc le « banquier » des Etats-Unis. Toutefois, les propos de Timothy Geithner ou Joe Biden montrent que l’administration Obama pourrait chercher à faire plus pression sur la Chine que la précédente administration. Rien n’est moins sûr pourtant que cela conduise Pékin à changer de stratégie.

En Amérique Latine, Obama souhaiterait renforcer sa relation avec le Brésil, aujourd’hui considéré comme un acteur international important. Lula devrait d’ailleurs se rendre à Washington rapidement. Obama souhaiterait également normaliser ses relations avec Cuba, au niveau diplomatique mais également économique, et préparer l’ère post-(Fidel) Castro. La question des trafics de drogue et de l’immigration clandestine restera en outre un sujet majeur dans les relations entre les Etats-Unis et le Mexique.

La position de l’administration Obama vis-à-vis de la Russie est moins évidente. Obama avait durant la campagne signifié qu’il resterait ferme avec la Russie, mais qu’il voulait renouer de bonnes relations avec ce pays.
Cela a semblé se confirmer lors de la Conférence sur la sécurité à Munich, les 6, 7 et 8 février dernier. Le Vice-Président Joe Biden américain a souligné lors de son discours à Munich la volonté de chercher un terrain d’entente entre la Russie et les Etats-Unis mais est resté ferme néanmoins sur la question de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie indiquant que les Etats-Unis ne reconnaîtront pas leur souveraineté. Par ailleurs, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils ne renonceraient pas au projet de défense anti-missile. Il semble toutefois que les Etats-Unis ne chercheront pas à irriter la Russie car ils ont besoin du soutien de ce pays sur certains dossiers (notamment le dossier iranien). Il est probable que l’administration Obama prendra son temps sur ce dossier, autant pour en discuter avec la Russie et les Européens que pour revoir le projet au niveau technique.

Concernant l’Europe, il est probable qu’Obama adopte une attitude pragmatique : les Etats-Unis ne devraient pas chercher à entretenir une relation particulière avec tel ou tel pays européen, mais plutôt à travailler avec les pays qui souhaitent coopérer et aider les Etats-Unis, ce qui serait finalement peu différent de l’attitude de l’administration Bush. Obama se rendra en Europe à deux reprises : en avril (à l’occasion du G20 à Londres puis du Sommet de l’Otan à Strasbourg-Kehl, où il devrait faire un discours important de politique étrangère) et en juillet (G8 en Italie). Obama souhaiterait que l’Europe ait un rôle plus important au Moyen-Orient, mais il ne se fait que peu d’illusions sur la capacité (ou la volonté) des Européens à déployer des troupes supplémentaires en Afghanistan, en raison notamment des problèmes de politique intérieure que cela pose dans plusieurs pays, comme en Allemagne et en France.

L’administration Obama veut également faire preuve de changement sur les grands dossiers internationaux.
L’annonce de la fermeture de Guantanamo et de l’interdiction de la torture au lendemain de l’investiture sont le signe d’un changement d’approche des droits de l’homme de la part des Etats-Unis. Obama veut renforcer l’engagement de son pays à l’égard du respect des Conventions de Genève.
Partisan d’un leadership affirmé des Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique, Obama souhaite développer une approche globale, en travaillant notamment avec l’Inde et la Chine, et développer de nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité énergétique des Etats-Unis.
Enfin, l’équipe d’Obama souhaite avancer sur le dossier du désarmement nucléaire, en coopération avec la Russie, comme l’a affirmé Joe Biden à Munich : « Les Etats-Unis et la Russie ont tout particulièrement le devoir de mener l’effort international pour réduire le nombre d’armes nucléaires dans le monde ». L’échéance du Traité START à la fin de l’année 2009 et la révision du Traité de non prolifération en 2010 incitent à agir rapidement. De nombreux experts au sein de l’équipe d’Obama (comme Ivo Daalder par exemple, probable futur Ambassadeur des Etats-Unis à l’Otan) semblent favorables à un désarmement total et un consensus autour de cette idée semble s’affermir aux Etats-Unis (2).

Cet « inventaire à la Prévert » des multiples priorités de l’administration Obama sur les dossiers internationaux peut laisser perplexe quant à la stratégie globale poursuivie.
Les principaux acteurs en charge des affaires internationales ont été choisis, mais l’équipe Obama semble manquer de fil conducteur, de « grand strategy », c’est-à-dire, comme le souligne Stephen Walt (3), d’une conceptualisation de la politique étrangère et de sécurité qui va être développée, d’un plan global sur les instruments de puissance à employer pour promouvoir les intérêts américains (puisque tel est le but, in fine , de la politique étrangère américaine). Certes, le pragmatisme prévaut. Certes, les mots « multilatéralisme » et « dialogue » sont utilisés à l’envi par les membres de l’administration Obama. Mais une « grand strategy » est nécessaire afin d’identifier les déterminants de la situation internationale actuelle, pour ensuite décider de la façon d’utiliser les instruments à disposition du gouvernement américain pour sécuriser et faire prospérer le pays. Il s’agit de définir des priorités, développer une « big picture » de la situation actuelle. On a également le sentiment que le multilatéralisme développé par Obama manque de véritable conceptualisation et qu’il n’y aura finalement pas de véritable rupture historique.
Ne risque-t-on pas finalement de voir les Etats-Unis continuer à imposer leur point de vue sur le règlement des conflits et des crises avec pour seule espérance du côté européen que le point de vue américain se rapproche miraculeusement du leur ?

Si l’objectif global affiché par la nouvelle administration est de réintroduire les Etats-Unis dans le jeu mondial en respectant le droit international (ou peut-être proposeront-ils de l’adapter pour mieux le respecter…) et les voix des autres pays, afin de gagner en crédibilité et en autorité morale, la méthode pour y parvenir n’est pas encore assurée.

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(1) Discours lors de la Conférence sur la sécurité à Munich, le 8 février 2009.
(2)Voir les aujourd’hui célèbres articles du « Gang of Four » (George Shultz, William Perry, Henry Kissinger et Sam Nunn : « A World Free of Nuclear Weapons » et « Toward a Nuclear-Free World », dans le Wall Street Journal, respectivement le 4 janvier 2007 et le 15 janvier 2008) ou l’initiative Global Zero.
(3) Stephen Walt, Who’s in charge of grand strategy?, 2 février 2009, http://walt.foreignpolicy.com/posts/2009/02/01/whos_in_charge_of_grand_strategy