ANALYSES

Covid-19 : bonne ou mauvaise nouvelle pour le climat ?

Interview
30 avril 2020
Le point de vue de Bastien Alex


Alors que la pandémie de Covid-19 continue de sévir, de nombreuses voix s’accordent à dire qu’il s’agit d’une opportunité pour réfléchir à nos modes de consommation, avec l’espoir qu’un tournant soit pris en termes d’environnement et de lutte contre le changement climatique. S’il est difficile d’imaginer quel sera le comportement des différents secteurs d’activité au sortir de la crise, qu’en est-il des processus de négociations internationales en la matière face à ce bouleversement mondial ? Le point de vue de Bastien Alex, chercheur, en charge du Programme Climat, énergie et sécurité à l’IRIS.

Les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre sont touchés par l’arrêt ou la décélération de leurs activités dus au Covid-19, entraînant une baisse des émissions. Est-ce une bonne nouvelle pour le climat ou doit-on au contraire redouter une résurgence de celles-ci, voire leur amplification, avec un redémarrage de l’économie ?

Il s’agit d’une bonne nouvelle conjoncturelle, mais tant que les changements ne seront pas d’ordre structurel, il n’y aura pas d’avancées majeures en matière de lutte contre les émissions. Certes, elles sont en baisse en France et ailleurs, car l’économie est en grande partie à l’arrêt, mais on observe déjà en Chine, par exemple, des signes de reprise forts en termes de consommation de charbon après une forte chute en janvier. Les déclarations pour sauver l’économie se multiplient, voire les dérapages comme celui d’Elon Musk qui veut qu’on « libère l’Amérique », qui s’est pourtant enfermée elle-même, en faisant l’erreur de prendre à la légère une épidémie qui causait des ravages en Asie et en Europe. Certains font le pari optimiste, comme Christian de Perthuis en France, que 2019 marquera le pic des émissions et 2020 le début du déclin.

Pour cela, il faudrait que des orientations nouvelles soient prises dans le rapport à la croissance et à sa place dans nos sociétés. Si tout le monde est d’accord pour dire que la pandémie fournit l’opportunité idéale pour y réfléchir sérieusement, on sait que les grandes crises ne produisent pas toujours de profonds changements, celle de 2008 en est la preuve. Néanmoins, le contexte a changé, et les gens sont plus sensibles à cette thématique aujourd’hui.

L’État français a conditionné ses aides à certaines entreprises, notamment à Air France, en exigeant une contrepartie environnementale, sans toutefois avoir mis en place de garde-fous. La mesure vous semble-t-elle positive pour lutter contre le changement climatique ? Ces entreprises sont-elles en mesure de respecter ce type d’engagement ?

L’avionneur français pourra en profiter pour supprimer des liaisons intérieures qui ne sont pas rentables, mais le moment où la chute des émissions deviendra l’alpha et l’oméga de la politique des compagnies aériennes n’est pas encore venu. Surtout en période de crise aussi aiguë avec un arrêt de l’activité pour les compagnies, difficile d’imaginer qu’elles vont se précipiter pour revenir sur ce qui est à la source de leurs revenus. L’introduction, d’une part de biocarburant, proposée par le gouvernement, est déjà fortement critiquée par les associations écologiques qui craignent à juste titre que cela accentue la déforestation en raison des nécessaires cultures de palmiers à huile et de soja qui seraient utilisées pour leur fabrication.

Plus généralement, le cas Air France soulève le dilemme indépassable de nos sociétés que nos dirigeants doivent arbitrer, celui du chantage à l’emploi, un argument très souvent avancé. Mais pour qu’une activité polluante, mais productive disparaisse, il faudra bien un jour abandonner certains emplois. C’est, de manière ironique, un choix que nous sommes prêts à faire dans certains secteurs, pas dans d’autres. Les délocalisations ont par exemple massivement frappé le textile à partir des années 1980, secteur aujourd’hui très peu développé en France, sans que personne ne s’en émeuve. Ce sont des choix dits stratégiques, produits de la mondialisation et de la division internationale du travail, mais qui peuvent aboutir à d’importantes contradictions. La pandémie permettra-t-elle que nous revenions là-dessus ? Elle a au moins lancé une forme de débat.

La crise sanitaire peut-elle compromettre les engagements des États dans la lutte contre le réchauffement climatique, sous prétexte d’un rattrapage d’activité ? Cela peut-il impacter les feuilles de routes nationales des pays décidées dans le cadre de l’Accord de Paris ? Quid de la COP26 ?

Cette crise est en effet préoccupante pour le processus international de négociations sur le changement climatique. La COP25 avait déjà été secouée par des problèmes d’hôte, prévue au Brésil puis délocalisée deux fois au Chili et en Espagne. La COP26 est pour sa part reportée à l’été 2021 alors qu’elle devait être le rendez-vous politique le plus important depuis l’adoption de l’accord de Paris lors de la COP21 (il en est de même pour la COP15 sur la biodiversité, sommet crucial prévu en octobre 2020 et décalé en juin 2021 dont la presse fait peu écho). Les États devaient en effet y revoir à la hausse leurs ambitions en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.

Le problème est que certains vont sans doute plutôt les revoir à la baisse pour privilégier la relance de leur activité économique. C’est le cas en Europe, où l’Union européenne avait lancé en grande pompe son Green Deal, projet phare de la nouvelle Commission présidée par Ursula Von der Leyen. Dès la fin mars, il a été mis sous pression par les gouvernements et lobbies, et il est bien difficile de se prononcer sur ce qu’il restera de sa substance d’ici quelques semaines. L’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, même s’il y aurait beaucoup à en dire, est sans doute sur la sellette. Les feuilles de route nationale, pour réduire les émissions de 40 % d’ici 2030, n’ont par exemple pas non plus toutes été transmises. Si les pays développés changent leur priorité, cet argument sera repris contre eux lors des négociations climat par les pays en développement, non soumis à des objectifs de réduction contraignants, et cela pourrait de nouveau gripper la machine qui, franchement, entre la perspective de la réélection de Donald Trump, le climat délétère sino-américain, les atermoiements européens et les errances du Brésil, n’en avait pas besoin.
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