ANALYSES

Le rôle essentiel des garde-côtes américains en Arctique

Tribune
5 mars 2019
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La période du « shutdown » a rappelé la singularité de la situation organique et financière des garde-côtes américains (US Coast Guard ou USCG) comme corps militaire dépendant du département de la sécurité intérieure. Acteur de la sécurité maritime, l’USCG met également à disposition ses moyens au profit de la recherche scientifique en zone polaire. C’est dans cet exercice que l’unique brise-glace lourd américain a fait face à de graves problèmes techniques lors de son déploiement régulier en Antarctique en janvier dernier au moment des discussions sur le financement de nouveaux brise-glace[1]. Ces acquisitions sont soutenues par la stratégie arctique américaine qui prend acte des évolutions climatiques, physiques et géopolitiques en Arctique. L’USCG a un rôle déterminant en matière de surveillance et d’exercice de la souveraineté américaine, de sécurité humaine et d’appui aux activités de recherche scientifique dans la zone. Cependant, le contraste entre les besoins stratégiques et opérationnels et les moyens interpelle sur la soutenabilité de la stratégie arctique américaine et les conséquences possibles sur la posture de sécurité américaine en Arctique.

Institution militaire historique et singulière, les garde-côtes sont un des principaux porte-étendards américains en Arctique.

L’USCG est un acteur déterminant dans la zone.

Les missions des garde-côtes se décomposent en deux catégories, selon qu’elles participent à la sécurité intérieure ou non. Leurs activités en matière de sécurité côtière, portuaire et des voies navigables, de lutte contre les trafics de drogues et les migrations illégales, de posture de défense et de contrôle du respect de la loi participent à la sécurité intérieure[2]. En parallèle, les garde-côtes sont compétents en matière de sûreté maritime, de recherche et secours (Search&Rescue), d’aide à la navigation, de gestion des ressources biologiques marines, de protection de l’espace marin et des opérations en contexte polaire. L’USCG appuie de nombreuses expéditions scientifiques, notamment en Arctique et Antarctique. Pour la conduite de l’ensemble de ce spectre d’opérations en Arctique, l’USCG dispose notamment de deux navires brise-glace, non-armés[3], le Polar Star admis en service en 1977 et le Healy opérationnel depuis 1999[4]. Cette institution, qui comprend environ 41 000 personnels actifs, 8000 réservistes et 35 000 auxiliaires civils techniques, est présente dans les eaux entourant Seattle (13e district) et l’Alaska (17e district). Au-delà de ses activités domestiques, l’USCG est un acteur de coopération crucial dans la région arctique auprès de ses homologues circumpolaires[5].

L’USCG participe à l’évolution de la posture de sécurité américaine dans un contexte de réévaluation stratégique[6].

Si l’USCG est partie intégrante du dispositif de sécurité et de défense dans la région Arctique, les orientations stratégiques américaines devraient conduire à augmenter leur contribution opérationnelle dans les années à venir en raison de la diminution de la banquise polaire, l’accroissement des enjeux humains, infrastructurels et économiques. Ses navires brise-glace lui ont permis de développer le savoir-faire indispensable à la navigation polaire. Cependant, une sollicitation croissante de l’US Navy accompagnerait ces évolutions, notamment par le biais d’une première opération de liberté de navigation en 2019[7]. Le retour d’expérience opérationnelle de l’exercice otanien Trident Juncture lui a permis d’éprouver à nouveau ses procédures, matériels et difficultés à opérer en milieu polaire. Malgré l’ouverture croissante des eaux arctiques, le recours à des brise-glace, des navires à coque renforcée et à des systèmes et matériels résistants aux températures polaires demeure nécessaire. La coopération entre les deux institutions militaires est un levier majeur pour la mise en œuvre d’une défense multi-domaines ne délaissant pas la dimension maritime de surface. Les garde-côtes participent au développement de niveaux moyens de surveillance et de détection, notamment satellitaires, afin d’augmenter leur capacité d’action et de combler un important « gap » capacitaire.

La stratégie arctique américaine doit reposer sur des investissements correspondant aux ambitions affichées.

Les fonds mobilisés demeurent insuffisants pour répondre aux besoins opérationnels et stratégiques importants.

Le manque de prévisibilité financière illustre la précarité des capacités militaires arctiques américaines. Le Congrès américain a débloqué un total de 2,25 milliards de dollars dédiés à l’acquisition et la modernisation de matériels (aéronefs, navires, système de navigation) et infrastructures des garde-côtes pour 2019 dont 655 millions de dollars pour la construction du premier brise-glace et 20 millions pour le second. Cette enveloppe complète les financements alloués (près de 359 millions) pour l’année fiscale 2018. Cependant, « la Cour des comptes » américaine a relevé des incohérences dans le plan d’acquisition des six brise-glace supplémentaires s’agissant de la clarté du financement (entre les comptes « acquisitions » de l’US Navy et de l’USCG), de disponibilité des compétences et des infrastructures de production, de cahier des charges techniques et des échéances de commissionnement[8]. Au regard des intérêts économiques et géopolitiques américains, le besoin d’une base opérationnelle avancée se fait également prégnant. Ainsi s’entrechoquent deux impératifs, l’un stratégique requérant un dispositif de sécurité et de défense proactif fondé sur une présence accrue, notamment par le recours à l’US Navy, l’autre opérationnel s’appuyant sur les capacités limitées de l’USCG.

Des solutions innovantes pour assurer la continuité des activités

La continuité des capacités « multiservices » constitue la valeur ajoutée de l’USCG. Dans cette perspective, la mise en œuvre et l’augmentation du financement du programme d’acquisition de brise-glace devraient être des priorités stratégiques, notamment en vue d’entamer la construction du premier cette année. Il conviendrait également de clarifier le financement des brise-glace dont la provenance des comptes « acquisition » de l’US Navy et de l’USCG nuit à l’exécution budgétaire. Face au « gap capacitaire », plusieurs solutions semblent émerger. À court terme, le décommissionnement du Polar Star pourrait être repoussé d’un an afin d’assurer un tuilage avec le premier nouveau brise-glace horizon 2023. L’hypothèse d’un leasing serait également sur la table. Toutefois, le commandement de l’USCG privilégierait la première solution. En outre, l’ensemble des acteurs économiques et scientifiques pourrait être affecté par l’insuffisance des moyens des garde-côtes. La possibilité d’une réorientation du programme d’acquisition vers quatre brise-glace lourds adaptés aux opérations de recherche scientifique est notamment évoquée afin de réduire les coûts. Dès lors, cette période se montre propice à une réflexion sur les moyens américains dédiés à la sécurité maritime dans la perspective d’un soutien réaffirmé à une institution participant à la stabilité, au développement économique et à l’expérimentation d’innovations techniques et technologiques structurantes.

Dans un espace géographique singulier où le nivellement de la puissance rehausse l’importance d’une présence qui équivaut à une influence, les garde-côtes sont aujourd’hui des outils opérationnels et stratégiques déterminants dans les stratégies des pays riverains de l’océan Arctique. Les États-Unis peuvent s’inspirer de leurs partenaires régionaux notamment norvégiens qui plaident également pour un renforcement des moyens de leur garde-côtes[9].

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[1] https://thenewsrep.com/113374/coast-guard-sends-scuba-divers-under-ailing-icebreaker-in-antarctica-and-thats-not-all-that-went-wrong/ et https://www.businessinsider.fr/us/us-icebreaker-polar-star-damaged-on-trip-to-antarctica-2019-1

[2] https://www.uscga.edu/roles-and-missions/

[3] Les deux navires ne sont pas armés mais peuvent embarquer des hélicoptères de type HH-65 Dolphin.

[4] https://www.uscg.mil/Portals/0/documents/CG_Cutters-Boats-Aircraft_2015-2016_edition.pdf?ver=2018-06-14-092150-230

[5] https://www.arcticcoastguardforum.com/

[6] https://www.dvidshub.net/video/661922/combatant-commanders-testify-before-senate

[7] https://www.wsj.com/articles/cold-war-games-u-s-is-preparing-to-test-the-waters-in-icy-arctic-11547243592

[8] https://www.gao.gov/products/GAO-18-600. Si le projet prévoyait la possibilité d’un embarquement modulaire d’armements, il n’a pas été donné suite à un équipement en missiles de croisière. Plan pour trois brise-glace dits « lourds » et trois brise-glace de tonnage moyen.

[9] https://www.ffi.no/no/Rapporter/19-00328.pdf et   https://www.ffi.no/no/Rapporter/18-01722.pdf
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