ANALYSES

Syrie : comment gagner la paix ?

Interview
24 octobre 2018
Le point de vue de Didier Billion


Après de multiples victoires ces derniers mois des troupes de Bachar al-Assad et de ses alliés sur le terrain syrien, tout se joue désormais dans la région d’Idlib au sein de laquelle sont concentrées ce qu’il reste des forces rebelles. Aussi, si tout semble indiquer que le régime de Bachar al-Assad et ses alliés ont gagné la guerre, il s’agit désormais de gagner la paix. Quels sont aujourd’hui les jeux d’alliance qui se jouent dans la région pour ce faire ? Que peut-on attendre du sommet quadripartite qui se déroulerait le 27 octobre à Istanbul, où les dirigeants français, allemand, turc et russe sont attendus ? L’analyse de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelle est l’actuelle situation en Syrie et en particulier dans la province d’Idlib, encore considérée comme un « nid à terroristes », plus d’un an après les accords d’Astana ? Où en est-on des forces en présence ?

Suite à la succession de victoires de ces derniers mois des troupes restées loyales à Bachar al-Assad, efficacement soutenues par l’armée russe et des milices chiites, la situation militaire s’est incontestablement stabilisée en faveur du régime syrien. Actuellement, tout se joue dans la région d’Idlib au sein de laquelle sont concentrées ce qu’il reste des forces rebelles, en réalité principalement celles liées aux djihadistes. Cette zone est la dernière des quatre zones dites de désescalade actées par l’accord d’Astana du 4 mai 2017 par la Russie, l’Iran et la Turquie et se trouve sous la responsabilité de cette dernière.
La première des forces rebelles est Hayat Tahrir Al-Cham, anciennement dénommée Jabat Al-Nosra, filiale d’A-Qaïda en Syrie. La seconde composante principale est le Front pour la libération nationale, nébuleuse d’unités et débris de l’Armée syrienne libre qui bénéficie d’un contact direct avec l’armée turque et d’un dialogue permanent avec elle. Ce front peut être considéré comme un regroupement pro-turc. D’autres petits groupes existent, de moindre importance politique, mais qui ont encore une capacité de nuisances, comme le Parti islamique du Turkestan. Daech, enfin, ne bénéficie plus guère d’implantation, sauf éventuellement de cellules dormantes qu’il est par définition impossible à déterminer. Au total, l’ensemble de ces combattants serait constitué d’environ 60 000 individus.
L’enjeu est de parvenir à ce que les groupes de rebelles livrent leur armement lourd, qu’ils acceptent de se dissoudre et qu’enfin une bande de sécurité d’une vingtaine de kilomètres de large puisse s’établir pour séparer les troupes de Bachar al-Assad des groupes rebelles. La mission de la Turquie est infiniment complexe et a d’ores et déjà pris du retard sur le calendrier planifié.

Un rapprochement entre la Russie et la Turquie semble être à l’œuvre, malgré des divergences, notamment à propos de la province d’Idlib. Quels sont les intérêts des deux parties dans la région ? Qu’attendent-ils de ce rapprochement ?

En raison de son intervention massive aux côtés de Bachar al-Assad, la Russie est la puissance qui détient les meilleures cartes dans le jeu complexe de la fin de la guerre. Son propos n’est pas le soutien inconditionnel à l’autocrate syrien, mais le maintien d’un État syrien capable de faire front aux forces djihadistes. En ce sens, la politique promue et appliquée par les responsables russes en Syrie illustre parfaitement leur constante préoccupation quant au danger potentiel des forces se réclamant de l’islam politique au sein du Caucase.
La Turquie, pour sa part, a recadré sa gestion de la guerre syrienne au cours de l’été 2016 en se rapprochant de la Russie, puis en étant partie aux pourparlers d’Astana avec cette dernière et l’Iran. Plus récemment, le compromis acté entre les présidents turc et russe à Sotchi, le 17 septembre 2018, pour éviter des bombardements russes massifs sur la région d’Idlib va exactement dans le même sens. Ankara a parfaitement conscience que, de sa capacité à influencer une partie des groupes rebelles qu’elle soutient, dépend le rôle qu’elle peut escompter maintenir auprès de Moscou et de Téhéran et par extension, dans le règlement du conflit syrien. Sans cette possibilité, elle perd tout pouvoir de négociation, une prérogative qui lui a permis de lancer plusieurs opérations militaires en territoire syrien depuis 2016. Ces incursions, réalisées sans aucun mandat des Nations unies, lui ont permis d’établir des zones sous son contrôle, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de protectorats, visant à empêcher la constitution d’un Kurdistan autonome. L’intérêt de la Turquie, perçu comme existentiel par ses responsables, est de parvenir à se débarrasser du Parti de l’Union démocratique (PYD), affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le long de la frontière syro-turque.

Un sommet quadripartite au format inédit se déroulerait le 27 octobre à Istanbul, où les dirigeants français, allemand, turc et russe pourraient se réunir, présence conditionnée pour certains à l’absence d’offensive sur Idlib. Quels sont les enjeux de ce sommet ? S’il se tient, peut-il être considéré comme une victoire diplomatique pour la Turquie qui est à l’initiative ?

Si ce sommet se réunit, ce serait non seulement une importante réussite diplomatique pour la Turquie, mais aussi pour la France et l’Allemagne, largement démonétisées sur le dossier syrien, qui pourraient se replacer dans le jeu. Quant aux Russes, cela leur permettrait de se prémunir d’un tête-à-tête par trop exclusif avec les Iraniens.
La Turquie montrerait aussi que non seulement elle n’est pas isolée, qu’elle garde intactes ses capacités d’initiatives politiques, mais aussi qu’elle attache toujours une forte importance aux relations entretenues avec les pays de l’Union européenne, tout du moins ceux qui continuent à chercher à peser sur le champ des relations internationales, tout particulièrement au Moyen-Orient.
Si ce sommet se réunit effectivement, cela ne signifie pas pour autant que de véritables solutions vont y émerger comme par enchantement. Nous indiquions que le régime de Bachar al-Assad et ses alliés avaient gagné la guerre, il s’agit désormais de gagner la paix.
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