ANALYSES

Attaque d’un pétrolier saoudien par des miliciens houthis au large du Yémen : prémices d’un nouveau front sécuritaire ?

Tribune
12 avril 2018


Dans l’article « Crise au Yémen : les enjeux du détroit de Bab el-Mandeb » publié le 31 mars 2015, nous avions analysé les risques de perturbation du trafic naval dans le détroit de Bab el-Mandeb suite à la crise politique et militaire qui venait de démarrer au Yémen.

Le détroit de Bab el-Mandeb (qui sépare le Yémen de Djibouti et relie la mer Rouge au golfe d’Aden, dans l’océan Indien) est le quatrième passage maritime le plus important au niveau mondial en termes d’approvisionnement énergétique. Selon les données de l’Energy Information Administration américaine [1], en 2016, ce détroit a vu passer chaque jour 4,8 millions de barils de pétrole brut et raffiné, notamment en provenance d’Arabie saoudite.

Dans l’article cité, nous avions indiqué que si « le risque d’un blocage prolongé et complet du détroit demeure toutefois faible, le risque de perturbations ponctuelles dans le détroit semble cependant plus élevé, par exemple dans le cadre d’attaques de pétroliers saoudiens par des miliciens houthis ».

Un événement de ce type s’est produit le 3 avril 2018 : le pétrolier MT Abqaiq appartenant à la compagnie saoudienne National Shipping Company of Saudi Arabia’s (Bahri) a été victime d’une attaque au sud de la mer Rouge à hauteur de la ville de Al Hudaydah (Yémen) qui est le principal port actuellement contrôlé par les milices houthies. La cause et l’origine de l’attaque restent encore à préciser, mais selon les informations convergentes de source saoudienne et yéménite, le navire aurait été touché par un missile (probablement lancé par les Houthis en représailles du bombardement saoudien qui – selon les médias yéménites – a frappé la ville de Al Hudaydah le 1er avril). Selon les autorités de Riyad, l’attaque n’a pas eu de conséquences pour l’équipage, et le navire a été endommagé de façon légère lui permettant de continuer sa route.

Il ne s’agirait donc pas d’un cas de piraterie (évènement assez commun dans la région, notamment au large de la Somalie), mais bien d’un acte belliqueux lié au conflit en cours depuis 3 ans au Yémen – intervention militaire de l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition d’États sunnites, contre les Houthis qui, selon les autorités de Riyad, bénéficient du soutien de l’Iran. Dans le cadre de ce conflit, le territoire de l’Arabie saoudite a déjà été frappé à plusieurs reprises par des missiles lancés depuis le Yémen et au moins à deux reprises des navires militaires ont été visés par des tirs de missiles au cours de l’année 2017.

Il est impossible de prévoir si cette attaque restera un événement isolé ou s’il s’agit des prémices d’un nouveau front sécuritaire,

Pour mieux comprendre l’enjeu stratégique que représentent le transport pétrolier et la libre circulation dans le détroit de Bab el-Mandeb pour l’Arabie saoudite, il est utile de faire une mise en perspective géographique et historique.

La plupart des champs de production d’hydrocarbures en Arabie saoudite se situent dans les régions de l’Est du pays (où se concentre aussi la minorité chiite), et dans le passé les principales infrastructures et ports d’exportation ont été construits le long du Golfe arabo-persique. Ce qui signifie que pour avoir accès aux marchés internationaux, le pétrole saoudien devait transiter par le détroit d’Ormuz. En cas de tension avec l’Iran – qui contrôle la rive nord du détroit et qui pendant la guerre avec l’Irak a montré sa capacité à perturber le trafic –, ce passage représente donc une faiblesse stratégique majeure pour le régime de Riyad qui tire une partie prépondérante de ses revenus de la vente du pétrole.

Pour pallier cette situation, l’Arabie saoudite a progressivement développé des infrastructures permettant d’exporter sa production pétrolière depuis la mer Rouge, notamment avec la construction du East-West Pipeline, oléoduc de 1200 km de longueur qui relie le gisement d’Abqaïq avec la mer Rouge, ayant actuellement une capacité de transport de 5 millions de barils/jours (des travaux pour augmenter la capacité à 7 millions de barils/jours sont en cours). D’autres installations comme les complexes portuaires et de raffinages de Yanbu, de Rabigh et de Jazan (construction en cours de finalisation) permettront à la région de la mer Rouge de prendre le dessus sur la région du golfe arabo-persique comme principale zone de raffinage et d’exportation pour le royaume.

Trois ans après son début, l’intervention militaire de l’Arabie saoudite et de ses alliés n’est pas un succès, avec une constante instabilité au Yémen, le contrôle territorial des Houthis sur des larges parties du pays et la possible présence de forces iranienne. L’éventuel développement de risques sécuritaires sur le transport pétrolier (avec son corollaire d’augmentation des primes d’assurances et de perturbations sur le flux d’exportation) représente une perspective inquiétante pour le pouvoir de Riyad.

Il est donc probable que nous assistions à une augmentation de la présence militaire dans la région et notamment des forces navales saoudiennes et de celles de ses alliés des Émirats arabes unis et de l’Égypte (pour lequel la sécurité en mer Rouge est nécessaire afin d’assurer l’activité du canal de Suez).

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 [1] U.S. Energy Information Administration, 2017 World Oil Transit Chokepoints.

 
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