ANALYSES

La stratégie anti-déforestation et l’huile de palme en Afrique

Tribune
30 août 2018


En France, la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) a été soumise à la consultation publique du mardi 3 au mardi 24 juillet 2018. Cette stratégie sera la mise en forme de l’engagement gouvernemental formulé dans l’axe 15 du Plan climat dans lequel il est prévu de publier « une stratégie nationale pour mettre fin à l’importation de produits forestiers ou agricoles contribuant à la déforestation ».

Pour être efficace, cette SNDI devra couvrir à la fois la question de la déforestation, de la dégradation forestière importée (la situation de dégradation des forêts tropicales est si critique qu’elles ne peuvent plus jouer leur rôle de puits de carbone), mais aussi de la conversion d’écosystèmes naturels.

Au cœur du sujet, l’huile de palme, en particulier en provenance d’Afrique.

L’huile de palme est devenue la première huile végétale consommée dans le monde, avec 39 % d’un marché en pleine progression, loin devant le soja, le colza et le tournesol. Selon la Banque mondiale, 28 millions de tonnes d’huiles végétales supplémentaires devront être produites chaque année d’ici à 2020 en raison de la croissance démographique et de la demande alimentaire et ce, sans même tenir compte de l’utilisation des oléagineux pour produire des agrocarburants.

L’huile de palme entre dans l‘agro-alimentaire (biscuits, chocolats, huile de table), la cosmétologie et l’industrie énergétique. Elle est privilégiée par les industriels pour son faible coût de production. C’est aussi sa composition naturelle qui explique son succès industriel : sa richesse en acides gras saturés permet son incorporation sans hydrogénation artificielle, une opération industrielle qui peut produire des acides gras nocifs.

L’Afrique ne représente que quelques pourcentages de la production mondiale de l’huile alimentaire la plus utilisée au monde, alors que la monoculture occupe plus de cinq millions d’hectares en Malaisie et neuf en Indonésie, et que les deux pays fournissent ensemble près de 90 % du marché planétaire. Mais d’ici à quinze ans, trois millions d’hectares de terres africaines pourraient être dédiées à cette culture. Soit deux fois plus qu’aujourd’hui. La banque Standard Chartered, qui voit ce secteur « à l’aube d’un changement monumental » en Afrique, estime que les 9,8 milliards de dollars d’investissement escomptés dans l’industrie de l’huile de palme africaine au cours des vingt-cinq prochaines années pourraient générer 11 milliards de dollars supplémentaires de revenus pour les économies de la région.

Les opérations conduites au Liberia, en Sierra Leone, au Gabon, au Congo et au Cameroun par quelque vingt-cinq entreprises européennes (Siat, Scofin), américain (African Palm Corp), africains (Sifca, Palmafrique, Adam) et surtout asiatiques (Olam, Golden Agri-Resources, Sime Darby)  s’expliquent par au moins trois facteurs : la disponibilité de terres, l’augmentation de la demande locale et mondiale et les perspectives de juteux retours sur investissement.

Les avantages de la culture de l’huile de palme sont décisifs. Compte tenu de la productivité du palmier à huile, Il faudrait 3 à 8 fois plus de terres cultivables et jusqu’à 100 fois plus d’intrants chimiques pour produire une tonne d’huile végétale issue d’autres plantes oléagineuses, qui sont en outre majoritairement OGM. En outre, elle possède, contrairement aux cultures de rente majoritairement exportées comme le cacao ou l’hévéa, l’avantage d’être destinée  pour partie  au marché local. Elle est une denrée de base, à l’image du sucre ou de la farine, elle est plébiscitée par les ménages africains pour son coût abordable. Et cette demande n’est pas près de se tarir.

Les plantations sont souvent dénoncées pour leur impact négatif sur les écosystèmes. En transformant des dizaines de milliers d’hectares de forêts en plantations, les investisseurs mettent à mal des massifs forestiers qui constituent d’immenses puits de carbone et des réserves de biodiversité uniques au monde, à commencer par les forêts tropicales du bassin du Congo. En RDC, la plantation Brabanta, filiale de la Socfin, couvre 29 000 hectares dans la province du Kasaï.  Environ 20 000 hectares de forêts denses, y compris des zones de forêts, sont potentiellement menacés. Sur l’île de Sao Tomé, le Parc national d’Obo présente une faune et une flore au taux d’endémisme élevé… désormais menacées par Agripalma, la filiale de la Socfin dans le petit pays.

Devant ces risques, la Banque mondiale a été amenée en 2012 à ne plus financer les projets dans l’huile de palme susceptibles de provoquer une trop forte déforestation, préférant soutenir les initiatives qui encouragent la production sur des terres dégradées et  cherchent à améliorer la productivité des plantations existantes. La Banque mondiale a rappelé que le respect d’un certain nombre de critères sociaux et environnementaux était indispensable. En premier lieu, la consultation et l’accord des communautés concernées, le respect des zones forestières à haute valeur de conservation, l’intégration dans ces projets d’agriculture intensive des petits planteurs et producteurs ou encore la sécurisation des droits fonciers. De leur côté, les pays importateurs occidentaux ont été conduits à exiger la mise en place de la certification RSPO (table ronde sur l’huile de palme durable). Sous la pression des ONG (WWF, Greenpeace), la majorité des firmes concernées (distributeurs, industries agro-alimentaires, fabricants d’alimentation du bétail…) qui achètent de l’huile de palme sont incitées à s’engager en faveur de l’utilisation d’huile de palme respectant un minimum de garanties environnementales.

L’Initiative pour l’huile de palme en Afrique, coordonnée par Proforest au nom de l’Alliance pour les forêts tropicales 2020, bénéficie du soutien du Royaume-Uni et de WWF, autour de l’engagement de sept pays du continent à développer une production intelligente et durable de l’huile de palme. Le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique, la RD Congo, le Ghana, le Libéria, le Nigéria, le Congo et la Sierra–Leone veulent atteindre l’objectif zéro déforestation, en tenant compte des actions liées à la résolution des conflits fonciers, la sécurité foncière et les droits fonciers, l’augmentation durable des rendements des petits exploitants ainsi que l’amélioration de la qualité des données des chaînes d’approvisionnement de l’huile de palme.
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