ANALYSES

Russie : visite symbolique du président Macron ?

Interview
24 mai 2018
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Emmanuel Macron effectue un déplacement en Russie ces 24 et 25 mai afin de rencontrer son homologue Vladimir Poutine. Au programme de cette rencontre, les dossiers syrien, ukrainien et l’accord nucléaire iranien, avant de se rendre au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Malgré les divergences sur plusieurs sujets qui opposent ces deux nations, elles semblent faire face à une coopération inévitable, tant sur le domaine économique que géopolitique. Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et ancien ambassadeur de France en Russie.

Dans quel contexte géopolitique et stratégique cette visite se tient-elle ?

La visite d’Emmanuel Macron s’effectue dans un contexte international particulièrement agité, qui est en phase de recomposition. De nombreux événements permettent d’illustrer cette phase inédite au sein de la géopolitique mondiale : l’accord signé entre la Chine et les États-Unis qui prélude à un début de règlement de leur « guerre économique », les sanctions américaines contre les entreprises européennes qui continueraient de commercer avec l’Iran, sanctions contre lesquelles le Conseil européen, en fin de semaine dernière à Sofia, n’a pas pu trouver une solution viable. Dans le même temps, la situation en Syrie est toujours dans l’impasse sur le plan diplomatique, pendant que Bachar al-Assad s’impose progressivement face à l’opposition. Tandis qu’en Ukraine, le climat se tend de nouveau dans la région de la Crimée.

Ces différents éléments illustrent un cadre diplomatique incertain, marqué par une remise en cause de tous les acquis multinationaux et multilatéraux construits depuis 1945. Une redistribution des cartes s’opère dès lors à l’initiative des États-Unis, marquée par une réduction du système multilatéral, phénomène appuyé à la lecture de ces prémisses. Cette période trouble est propice à des initiatives diplomatiques, notamment de la part de la France, seule note positive de ce contexte particulier. C’est dans cette période que le président Macron a décidé de maintenir sa visite au Forum économique de Saint-Pétersbourg malgré les tensions issues de l’affaire Skripal (ancien espion russe empoisonné au Royaume-Uni) et du conflit syrien, afin d’entretenir le dialogue avec Moscou.

Alors que l’Élysée assure que le dialogue avec la Russie « a été maintenu », que doit-on attendre de cette rencontre ?

Le contexte évoqué précédemment n’a pas encore donné lieu à des changements majeurs, malgré la résurgence des initiatives bilatérales, spécialement de la part des États-Unis. Du côté des Européens, le Conseil européen de Sofia n’a pas clairement déterminé le positionnement de l’Union européenne face aux initiatives américaines et russes, hormis la réactivation du processus d’une « loi de blocage » datant de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines pour les entreprises européennes.

Du côté russe, 80% des membres présents dans l’ancien gouvernement ont été renouvelés après la réélection de Vladimir Poutine ; Dmitri Medvedev a été à nouveau nommé au poste de directeur de « Russie unie ». Ainsi, le président russe semble garder toutes les cartes en main pour son 4e mandat, même s’il se peut que des changements au sein du gouvernement s’opèrent si la situation internationale ou intérieure tendait à se modifier.

Compte tenu des relations entre Paris et Moscou, les deux parties semblent être dans une période d’attente, entre tensions et volonté de dialogue, illustrée par un manque de positionnement affiché pour chacun d’entre eux. Ainsi, la visite d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte particulier, qui ne semble pas être propice à des décisions et percées majeures sur le plan diplomatique.

La visite d’Emmanuel Macron s’inscrit dans le cadre du Forum économique de Saint-Pétersbourg. Comment se porte l’économie russe, avec quelles perspectives ? 

La récente remontée du baril du pétrole au seuil de 80 dollars est une aubaine pour la Russie. En effet, le budget russe triennal a été calculé sur un baril à 40 dollars. Ce nouveau prix donne dès lors une marge de manœuvre considérable au pouvoir économique russe.

D’un point de vue intérieur, sur instruction du président, les disponibilités budgétaires et les nouvelles mesures concerneront davantage le domaine social – santé et éducation – que le domaine militaire. Le budget de la Défense de 2017, représentant 5% du PIB russe, a connu une diminution par rapport à 2016 et cet affaiblissement semble devoir durer ces prochaines années. Les disponibilités financières supplémentaires seront donc affectées pour l’essentiel aux affaires sociales et à la modernisation de l’appareil économique de la Russie. Ces objectifs de mandat permettront, dans une certaine mesure, de consolider le pouvoir de Poutine, dont les récents sondages de popularité lui donnent 80% en sa faveur. Cela étant, si les perspectives de croissance se situent ainsi autour de 1,5 – 2% par an, la question de la distribution de la croissance est problématique, le pouvoir d’achat ayant diminué de près de 9% depuis 3-4 ans. L’amélioration de la situation économique est dès lors le défi de Moscou pour ces prochaines années.

Par ailleurs, une priorité a été mise sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Leur développement, ainsi que celui de l’intelligence artificielle, nécessitent un climat de liberté entrepreneuriale qui semble se dégrader en Russie. Or, les mesures qui ont été prises notamment contre le réseau social Telegram, accusé d’encourager le terrorisme et la surveillance des réseaux, semblent s’insérer dans une volonté de contrôle de l’internet russe.

Enfin, les dernières décisions américaines concernant la Russie posent un dilemme important à Moscou : elles donnent en effet au département d’État américain la possibilité de juger si n’importe quelle transaction peut porter préjudice aux États-Unis, quel que soit l’auteur ou la firme concernée par celle-ci. Ainsi, pour la première fois, les sanctions américaines risquent de porter un coup dur à l’économie russe. Moscou va devoir traiter cette question rapidement, car des conséquences se profilent dès maintenant : Oleg Deripaska, le président de la société Rusal, premier producteur d’aluminium au monde, semble se mettre en retrait de son entreprise depuis l’annonce de ces sanctions …
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