ANALYSES

Présidentielle russe : l’économie éclipsée par la politique étrangère ?

Interview
21 décembre 2017
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Alors que les élections présidentielles russes auront lieu le 16 mars 2018, Vladimir Poutine a récemment confirmé son intention de se porter candidat à sa propre succession. En cas de victoire, l’homme fort du Kremlin pourrait se maintenir au pouvoir jusqu’en 2024. Si la stagnation économique touche le pays depuis peu et la faible croissance est structurelle à la Russie, les questions internationales tendent à minorer l’impact électoral de la question économique. L’analyse de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie.

Vladimir Poutine bénéficie d’une popularité et d’un taux d’intention de vote exceptionnels. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une élection sans enjeux ?

Effectivement, le taux de popularité de Vladimir Poutine est resté très élevé. On impute cela à « l’effet Crimée » ou au « consensus de Crimée ». De fait, l’écrasante majorité de la population considère que le président a géré habilement le dossier. D’une manière générale, les dossiers de politique étrangère sont au bénéfice du régime. Il y a une conjonction particulière à laquelle s’ajoute le contexte économique qui, jusqu’à ces deux derniers mois, laissait prévoir une croissance de 2% avec nombre d’indicateurs positifs en matière de salaires, d’investissements et d’exportations.

Le président a bénéficié jusqu’à ces dernières semaines d’un ensemble de facteurs qui fait qu’effectivement il sera réélu sans problème. La seule véritable interrogation est le taux de participation et, sur ce point, on voit émerger au sein de l’Etat-major politique une préoccupation. A partir du moment où les jeux sont faits, même les personnes décidées à voter pour Vladimir Poutine ne seront finalement pas très incitées à se déplacer. Or, si le taux de participation passe sous la barre des 50%, cela serait considéré comme un élément négatif voir une critique de l’actuelle présidence et donc Vladimir Poutine verrait sa légitimité érodée pour son prochain mandat.

Comment se porte le pays sur le plan socio-économique ? La période de stagnation économique qui touche actuellement le pays peut-elle avoir un impact dans les urnes ?

2017 a été l’année de la reprise pour l’économie russe. Cela s’est traduit par un retour à la hausse des investissements, des salaires réels, une diminution de l’inflation jusqu’aux alentours de 3% permettant une progression du pouvoir d’achat. C’est un ensemble d’éléments qui, appuyé sur la remonté du prix du baril de Brent, a conduit à penser que l’économie nationale aller croître de plus de 2% en 2017.

En fait cette embellie s’est arrêtée assez vite et ces deux derniers mois ont été plutôt négatifs. Les revenus réels ont continué à décroître, l’investissement a stagné ainsi que la consommation et les ventes de détail ont même eu tendance à diminuer. Actuellement nous sommes dans une phase qui infirme les espérances que les économistes plaçaient dans le développement du pays.

Mais cela ne jouera pas lors des élections car, comme l’a rappelé Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse, les performances économiques depuis son accession au pouvoir en 2000 sont telles que cela lui donne matière à faire face à ses contradicteurs. Le PIB a augmenté de 75%, la production industrielle de 70%, les salaires ont été multipliés par 3,5, les retraites par 3,6, la mortalité infantile a été divisée par 3,6, l’espérance de vie est passée de 65 à 73 ans.

Tous ces indicateurs lui donnent un crédit suffisant pour passer cette période décevante. Le problème c’est qu’elle s’annonce ainsi mais personne ne sait exactement pourquoi. Les prix du pétrole ont augmenté, le budget russe a été calculé avec un baril de Brent à 40$ alors qu’il est actuellement proche des 65$ ce qui devait constituer une marge de manœuvre appréciable.
Mais le rouble reste très bas, l’économie ne redémarre pas et pour des économistes comme Alexeï Koudrine, ministre des Finances, la cause de cette atonie est l’absence de réformes structurelles. Il s’agira donc d’en mettre en place pour sortir de cette période de croissance faible qui, comme le ministre se plaît à le faire remarquer, avait une existence antérieure à la baisse du prix du baril et la crise ukrainienne.

Toute la question sera donc de savoir si pour son dernier mandat, Vladimir Poutine lancera des réformes structurelles ou non. S’il ne le fait pas, beaucoup de spécialistes considèrent que la Russie restera sur des taux de croissance très modestes.

Quel peut être l’impact des questions internationales sur la campagne électorale ?

Vladimir Poutine a déclaré, peu avant l’annonce de sa candidature, que les troupes russes se retireraient de Syrie hormis une couverture non chiffrée qui restera sur place. Cela correspond à une demande de l’opinion publique car les opérations en Syrie sont perçues différemment de celles en Ukraine.

Pour les Russes, l’Ukraine c’est affectif et émotionnel, la Crimée ayant toujours été russe depuis le début du 18ème siècle. Pour la plupart de l’opinion russe, c’était une erreur commise par Khrouchtchev que de céder la Crimée à l’Ukraine en 1954, puis par ses successeurs de ne pas être revenus sur ce décret ; le président ne sera donc pas critiqué. En revanche, que des citoyens russes aillent mourir en Syrie, c’est moins évident pour l’opinion russe. En annonçant le rappel des troupes, Vladimir Poutine donne un signal très clair : la guerre a été gagnée et le processus diplomatique de sortie de crise est en marche.

Ainsi, les dossiers internationaux jouent incontestablement un rôle important dans la popularité de Poutine. Pour les Russes le président a rendu à la Russie son statut de grande puissance. Pour l’heure, il s’agit d’un élément important et positif de la popularité de Vladimir Poutine.
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