Analyses / Énergie et matières premières
10 février 2025
IA : vers une domination énergétique des GAFAM ?

« L’intelligence artificielle (IA) est la nouvelle électricité ». Cette phrase prononcée par le chercheur Andrew Ng en 2017 illustre l’envergure qu’a prise l’intelligence artificielle dans nos sociétés. Non sans appréhension, elle a progressivement pris une place prépondérante dans nos processus de production et nos divertissements, jusqu’à devenir quasi vitale sur des questions de santé ou de défense. Cette citation est aussi éloquente quant au lien qu’entretient l’IA avec la transition énergétique, car face à la complexification de nos réseaux électriques, seuls les outils numériques les plus perfectionnés semblent en mesure de conjuguer l’intermittence des renouvelables avec nos besoins accrus en énergie.
Mais derrière ces transitions jumelles, numérique et énergétique, se trouve un paradoxe : la transition énergétique a besoin de l’IA, mais l’IA a besoin de beaucoup d’énergie. Si l’on pose notre regard uniquement aux États-Unis, les besoins électriques annuels des data centers pourraient dépasser les 580 Térawattheures (TWh) d’ici 2028 selon AIE, contre « seulement » 176 TWh en 2023, soit plus que ce que la France ne consomme sur une année ! Une hausse aussi considérable que rapide, qui questionne l’apport bénéfique du numérique pour une transition énergétique sereine.
Pour résoudre ce paradoxe, les acteurs du numérique, à commencer par les GAFAM, multiplient depuis plusieurs années les contrats d’achat d’énergie bas carbone et les investissements dans des infrastructures « vertes », au point de devenir eux-mêmes des acteurs du marché de l’énergie. Mais l’accélération portée par l’IA les pousse vers des solutions plus radicales. En mai 2023, Microsoft signait un accord contraignant avec Helion Energy pour alimenter ses installations à partir d’un réacteur à fusion nucléaire d’ici 2028. L’année suivante, Microsoft encore, déclarait vouloir redémarrer un des réacteurs de Three Mile Island, centrale emblématique du premier accident nucléaire de l’histoire. Dans le même temps, Oracle, Amazone et Meta investissait plusieurs centaines de millions de dollars cumulés dans des petits réacteurs nucléaires modulaires (Small Modular Reactor – SMR), tandis que Sam Altman, PDG d’Open AI, multipliait les prises de position dans des entreprises nucléaires, dont Helion. Un attrait pour l’énergie nucléaire qui s’explique par sa pilotabilité et son facteur de charge élevé, adapté aux taux de disponibilité requis des data centers proches de 100 %. Une aubaine pour les promoteurs de technologie nucléaire innovante, qui trouve dans les acteurs du numérique une nouvelle source d’investissement, massive et déterminée, malgré leurs rentabilités encore incertaines.
Si les modalités diffèrent d’un projet à l’autre, l’idée reste globalement la même : internaliser la production d’énergie pour répondre plus efficacement aux besoins de l’IA. Certains réacteurs pourraient même ne pas être reliés aux réseaux publics et ne reposer que sur des infrastructures privées, affranchis des contraintes d’accès à des infrastructures tiers, au sein d’ilots numériques autonomes. Mais à long terme, cette stratégie pourrait s’ancrer dans une perspective plus large, destinée à étendre l’influence des GAFAM au secteur de l’énergie. Car ces îlots pourraient devenir des fournisseurs d’énergie compétitifs, à partir des excès de production et à grand renfort d’optimisation dont les GAFAM ont déjà la maitrise. À terme, ces capacités énergétiques pilotables pourraient devenir des leviers d’influence envers des entreprises ou des États en recherche d’électricité abordable, notamment dans un contexte d’insécurité énergétique. Une fourniture d’énergie qui pourrait s’accompagner de condition contraignante. Une stratégie comparable à celle qu’exercent déjà les GAFAM dans l’espace numérique, où leurs services, désormais incontournables, intègrent leurs utilisateurs dans des écosystèmes souvent gratuits, mais intrusifs et conçus pour encrer leur monopole par des dépendances techniques
En l’état, Microsoft, Amazon et Google se sont déjà dotés des compétences nécessaires pour s’intégrer sur le marché de l’énergie et ne cachent pas leurs ambitions de devenir les promoteurs de projet innovant via la fourniture d’énergie. Si sur le papier, cette stratégie a le mérite de promouvoir la décarbonatation, elle n’en renforce pas moins un excès de position dominante. Même si ce scénario est hypothétique, il n’en est pas moins crédible et perceptible. L’Irlande par exemple, troisième pôle de data centers au monde, est déjà tiraillée entre la hausse massive de la demande d’électricité et une offre qui peine à s’adapter. Dans l’hypothèse où les GAFAM concentreraient une part significative des investissements dans des actifs énergétiques pilotables, comment gérer l’arbitrage ? Ce sujet est d’autant plus important au vu des débordements politiques d’entreprise comme Meta et bien sûr d’Elon Musk.
Si la sortie de DeepSeek-R1, supposé moins consommateur d’énergie à fait trembler les acteurs états-uniens de l’IA et de l’énergie, l’intégration des capacités énergétique au secteur numérique restera très certainement une tendance de fond. Car malgré les optimisations, l’IA continuera d’être un pôle de consommation d’énergie, notamment du fait de son une utilisation croissante. Enfin, n’oublions pas que face aux bouleversements, les leviers d’adaptations des marchés restent les sources d’énergie les plus disponibles, à savoir le gaz, le pétrole et surtout le charbon. Et malgré les engagements à la neutralité carbone, le numérique reste un émetteur constant de gaz à effet de serre, dans des proportions corrélées aux avancées de l’IA.