• Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

C’est une vaste question. D’abord, il faut garder à l’esprit que l’ONU n’est pas une entité autonome et décisionnelle. L’ONU, ce sont ses États membres, et surtout les cinq permanents du Conseil de sécurité (France, États-Unis, Royaume-Uni, Russie et Chine). Les opérations de maintien de la paix sont donc otages de ce « directoire des cinq ».

On accuse souvent ces missions d’échec, mais elles ont aussi permis, depuis la guerre de Corée et surtout depuis la crise du canal de Suez à la fin des années 1950, d’apporter des stabilisations notables. Prenons l’exemple de la FINUL au Liban-Sud : décriée par beaucoup, elle a néanmoins permis de protéger les civils, de réguler la situation, de favoriser l’ouverture d’écoles et de camps de réfugiés. On pourrait citer bien d’autres cas, notamment en Afrique.

En résumé, les opérations de maintien de la paix ont apporté un minimum – et parfois seulement un minimum – de stabilité à des millions de civils. Mais dans l’ensemble, faute de réformes, on peut aussi parler d’un échec structurel lié à l’impuissance du système onusien.

Des réformes seraient indispensables. Il faudrait d’abord que les grandes puissances, pas seulement les « cinq », acceptent d’engager leurs troupes dans des opérations à haut risque. Or, depuis les guerres yougoslaves et le Rwanda, elles hésitent. Résultat : les Casques bleus sont souvent fournis par des pays pauvres, avec des soldats parfois peu formés.

Il faudrait élargir les prérogatives de ces forces, qui aujourd’hui n’ont qu’un rôle défensif. Mais surtout, il serait nécessaire de revenir au projet de Boutros Boutros-Ghali dans les années 1990 : créer une force de réaction rapide, permanente, mise à disposition du secrétaire général, avec l’aval du Conseil de sécurité. Cela permettrait de déployer sans perdre des mois à chercher l’argent et les troupes.

Peut-on dire que les années 1990 sont un tournant pour le rôle de l’ONU avec le précédent créé par l’intervention de l’OTAN en 1999 contre la Serbie, sans aval du Conseil de sécurité ?

Oui, absolument. Dans les années 1990, après la guerre froide, il y avait eu une fenêtre d’alignement international. Mais avec les bombardements de l’OTAN sur la Serbie – illégaux au regard du droit international – un précédent a été créé. Ensuite, George W. Bush, avec la guerre d’Irak, a définitivement contourné l’ONU. Depuis, on assiste à une succession d’interventions hors cadre onusien, marquant la marginalisation croissante de l’organisation.

Aujourd’hui, l’ONU politique est marginalisée. Elle est absente de l’Ukraine, absente de Gaza, et décriée par beaucoup d’États. Le Conseil de sécurité reste figé dans la configuration de 1945. Les États-Unis se sont détournés du système onusien depuis les années 1990, laissant un espace dont la Chine profite. Pékin a renforcé sa présence dans les arcanes de l’ONU, mais dans une logique stratégique : peser sur un système multilatéral moribond, non le réformer.

Ni la Chine ni l’Inde n’ont les moyens – ni sans doute la volonté – de porter une réforme majeure du Conseil de sécurité. Donc, non, il ne faut pas attendre d’elles une transformation profonde.

Soyons réalistes : le système multilatéral est en fin de cycle. Sauf réforme majeure du Conseil de sécurité – que je crois impossible – l’ONU politique poursuivra sa lente disparition. Elle restera visible symboliquement (comme avec son 80e anniversaire), mais elle ne pèsera plus dans les grandes décisions internationales.

En revanche, les agences onusiennes (UNICEF, PNUD, PAM, ONUSIDA, etc.) continueront de jouer un rôle essentiel et efficace sur le terrain. L’avenir du système ONU passe donc par elles. Mais l’ONU politique, sans réforme, deviendra une coquille vide.

Propos recueillis par Nenad Tomic pour RFI.