La France est-elle aujourd’hui menacée par la progression des groupes djihadistes au Mali ?
À court et moyen terme, je ne crois pas que cette menace soit un scénario crédible. D’abord parce que la situation sur le terrain est bien plus complexe. Le groupe djihadiste, appelé le JNIM, est certes affilié à Al-Qaïda, mais il s’est constitué à partir de groupes locaux aux trajectoires diverses. On n’a donc pas affaire à un bloc homogène mais à des individus radicalisés à cause de la pauvreté et à l’absence de perspectives. Depuis le départ des forces françaises en 2022, l’évolution du contexte sécuritaire semble s’inscrire davantage dans une continuité de dégradation que dans une rupture.
Si le Mali venait à tomber entre les mains de ce groupe, un califat pourrait-il émerger et menacer l’Europe ?
C’est trop tôt pour le dire. Pour l’instant, le Mali n’est pas tombé, et un califat n’a pas été proclamé. Le JNIM contrôle des routes et étouffe Bamako, mais a-t-il la capacité de renverser Assimi Goïta, soutenu par les Russes ? Rien ne permet de l’affirmer. On est davantage face à une stratégie d’usure. Par ailleurs, même si une République islamique venait à être installée au Mali, ce n’est pas une menace directe pour l’Europe. Plusieurs États partenaires de la France sont des républiques islamiques, et cela ne crée pas de menace directe pour l’Europe.
Y a-t-il un sentiment anti-français présent dans la région ?
Avant tout, je préfère parler de « discours anti-français », pas de sentiment. Le terme « sentiment » renvoie à l’émotion, alors qu’il existe des arguments politiques et rationnels pour expliquer cette hostilité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce discours anti-français s’est imposé car il servait aussi une mise en scène du pouvoir malien, un récit de souveraineté et de « dernier stade » de la décolonisation. C’est cela qui a été le plus visible, davantage qu’une menace terroriste directe visant la France. Aujourd’hui, le véritable enjeu, à mes yeux, est une possible atomisation du Mali et la contagion régionale, dans un contexte où les jeunes générations n’ont connu que la violence depuis 2012.
Dans ce contexte, peut-on imaginer un retour possible de la France ou d’une coalition dans la zone ?
Non, je n’y crois pas. Les positions sont trop braquées, des deux côtés, et l’orgueil joue un rôle important. Le véritable phénomène observé n’est pas une menace terroriste directe contre la France, mais un discours politique anti-français très structuré. Un retour international serait de toute façon impossible au Conseil de sécurité, puisque les Russes sont présents au Mali. La question centrale concerne désormais la réaction des pays voisins : Maroc, Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal… L’enjeu est régional, pas européen. À court et moyen terme, je ne vois pas de menace d’attaque terroriste venue du Sahel contre la France ou l’Europe.
Propos recueillis par Vanessa Abadie pour La Dépêche.
