Vous avez sorti en février 2025 la 31édition du rapport Déméter. Alors que l’on assiste à un bouleversement des relations internationales et des rapports de force, quel en est l’impact général sur le secteur de l’agriculture et de l’alimentation ?

L’agriculture est une activité ancestrale et universelle indispensable pour nourrir plusieurs fois par jour les 8 milliards d’habitants sur la planète, et les 1,5 à 2 milliards de personnes supplémentaires attendues d’ici 2050 (1). Parallèlement, l’urbanisation croissante et la hausse des revenus modifient les habitudes de consommation, tandis que les relations internationales se tendent et que les effets du changement climatique s’accélèrent. Par leur caractère vital et stratégique, les ressources agricoles et alimentaires peuvent être instrumentalisées et utilisées comme outils d’influence et d’expression de la puissance des États.

Dans un monde de plus en plus mondialisé et interconnecté, les denrées agricoles parcourent la planète — sous forme brute ou transformée —, créant des jeux de dépendance entre nations. Les pays ne pouvant produire de tout, tout le temps, ils importent auprès d’États qui dégagent des surplus vendus sur les marchés mondiaux. Cette hyper-concentration des ressources entre les mains de certains acteurs et les interdépendances qui en découlent favorisent la déstabilisation des équilibres alimentaires et agricoles, qui peuvent être affectés par des désaccords politiques, des défaillances logistiques, des maladies, des aléas climatiques, etc. Les ressources nécessaires à la production peuvent également être des outils d’influence, comme l’énergie (engins agricoles, industrie agroalimentaire) ou les engrais (azote, potasse, phosphate, gaz). Par ailleurs, la maitrise des outils technologiques (IA, puces, matières premières, etc.) et des innovations (machinisme, semences, génétique, etc.) alimente les tensions et sera indispensable pour s’adapter face au changement climatique.

L’agriculture et l’alimentation peuvent donc être au cœur des conflits et des tensions, que ce soit à échelle locale, nationale ou mondiale (2), et les effets du changement climatique (événements météorologiques extrêmes plus fréquents et imprévisibles, montée du niveau de la mer, pluies, sécheresses, modification des zones de production, déplacements de populations, etc.) accentueront la pression sur les ressources et le risque de compétition pour garantir sa propre sécurité alimentaire.

Le Déméter 2025 propose des réflexions sur l’ensemble de ces variables — géoéconomiques, technologiques et scientifiques, climatiques, géopolitiques, sociodémographiques — avec un regard prospectif et des analyses à l’horizon 2050 pour préparer les futurs possibles et que les fictions alimentaires dialoguent avec les réalités agricoles.

Alors que l’on assiste à une multiplication des catastrophes climatiques, vous avez alerté sur les conséquences du changement climatique sur les rendements agricoles et la sécurité alimentaire mondiale. Quelles mesures urgentes doivent être prises pour adapter l’agriculture à ces nouvelles conditions climatiques ?

Le changement climatique affecte déjà le secteur agricole (inondations au Pakistan, incendies en Californie, sécheresses en Méditerranée, criquets ravageurs en Afrique, maladies, etc.) et ses conséquences sont amenées à s’amplifier, avec le risque d’accentuer les pressions sur les ressources et de renforcer les tensions à toutes les échelles. Pour limiter l’ampleur du phénomène, il est essentiel de poursuivre et d’intensifier les efforts d’atténuation et de décarbonation, à l’aide par exemple des énergies renouvelables, de la biomasse ou du marché carbone. Si de nombreux pays sont engagés avec l’objectif d’une neutralité carbone à moyen et long terme (2060 pour la Chine par exemple), d’autres États font marche arrière, comme les États-Unis que Donald Trump a sortis des accords de Paris dès son investiture en janvier 2025. Face à la montée des régimes autoritaires et le risque de dépriorisation des questions de durabilité, les démocraties semblent les mieux profilées pour lutter contre le changement climatique.