Vous qui vivez aux États-Unis, en quoi jugez-vous que le pays a changé depuis le retour de Donald Trump au pouvoir ?
Avant le retour de Donald Trump, je disais que les États-Unis allaient, en deux ans, ressembler davantage à la Hongrie de Victor Orban qu’à l’Amérique d’Obama ou de Kennedy. Mais je me suis trompé : il n’aura pas fallu deux ans, quelques mois ont suffi.
Le bilan est inquiétant, les attaques contre la démocratie sont multiples. L’administration Trump-Vance a grignoté des prérogatives du Congrès au profit de la Maison Blanche, avec l’appui de la majorité républicaine. Le pouvoir judiciaire a été partiellement capté par l’exécutif. Même le ministère de la Justice a perdu son indépendance. Par ailleurs, des agences fédérales ont été fermées, des universités publiques et privées mises au pas, les grands cabinets d’avocat intimidés. Nous n’avions pas vu cela depuis les années 1930. Même Victor Orban n’a pas osé aller aussi loin.
Prenez l’exemple de Columbia University, où est basé l’Observatoire des États-Unis que je dirige. Certains départements sont désormais sous tutelle. Il est interdit d’y enseigner la théorie critique de la race ou la théorie du genre. Les médias publics sont attaqués, des chaînes publiques sont fermées, le ministère de l’Éducation est en voie de suppression. Et puis la Cour suprême s’aligne de plus en plus sur Trump : elle vient de retirer aux juges fédéraux la capacité de bloquer les décisions présidentielles au niveau national. Alors oui, les États-Unis ressemblent de plus en plus à la Hongrie de Viktor Orban. Pire même, car Donald Trump n’a aucun contre-pouvoir international au-dessus de lui. Victoir Orban, lui, a l’Union européenne.
Donald Trump applique son programme à la lettre. De son point de vue, ces six premiers mois sont plutôt un succès, non ?
Oui, Trump peut revendiquer des succès — du point de vue de ses électeurs et de son administration. Il a démontré qu’avec une volonté politique, il était possible de réformer rapidement et brutalement. Il a fermé des agences, réduit drastiquement les budgets, licencié des milliers de fonctionnaires, comme promis. Il a lancé une guerre économique à ses partenaires historiques. Catastrophique à moyen terme, mais annoncé. Il a fait passer une réforme budgétaire conforme à ses engagements.
Concernant les grandes questions de société, il avait promis de bannir les personnes transgenres de l’armée : c’est en cours. Il a fait de l’anglais la langue officielle, une erreur à mes yeux, mais là encore promesse tenue. Trump avait aussi promis de soumettre la justice à son autorité : la Cour suprême vient de restreindre les pouvoirs des juges fédéraux. On peut donc dire qu’il a, dans les grandes lignes, appliqué son programme.
Pourtant, l’économie montre des signes de fragilité : l’inflation persiste, la pénurie de main-d’œuvre agricole due aux expulsions massives, les prix qui continuent à grimper… Le vent commence-t-il à tourner ?
En fait, la façade économique est trompeuse. Donald Trump se vante d’un marché de l’emploi dynamique avec 150 000 créations mensuelles et un taux de chômage à 4,1%. Mais 70% de ces emplois sont précaires, sans couverture santé, sans congés payés, avec des horaires intenables et des salaires de misère. Ce sont des emplois que ni un Européen ni un Canadien n’accepterait. À la moindre crise financière, ces travailleurs seront les premiers à être licenciés. La croissance, bien qu’encore présente, va ralentir. Le FMI lui-même alerte : l’inflation persistante, le protectionnisme, le déséquilibre budgétaire, tout cela fragilise l’économie américaine.
Justement, sa base électorale, la fameuse « MAGA », reste-t-elle fidèle malgré les tensions survenues notamment dans l’affaire Epstein ?
L’affaire Epstein ? Elle sera vite oubliée, elle ne laissera pas de traces. Aux yeux de la base MAGA, Donald Trump aligne les succès : réformes sociétales, lutte anti-immigration, politique étrangère offensive. Récemment encore, la guerre-éclair en Iran sans s’enliser, une posture triomphante au sommet de l’OTAN, un durcissement sur l’Ukraine qui semble préparer un cessez-le-feu avantageux à la Russie. Et la fameuse réforme budgétaire sous forme de la « One Big Beautiful Bill ». La seule menace pour lui serait un échec économique perceptible par son électorat.
Donc pour l’instant Donald Trump règne en maître absolu à Washington ?
Oui, il règne aujourd’hui en maître à Washington. Mais il ne faut pas oublier que Donald Trump 2025 n’a plus rien à voir avec celui de 2017. À l’époque, il était mal préparé, sans colonne vertébrale politique, entouré d’amateurs. Depuis, il s’est radicalisé. Il s’est rapproché de la droite ultra-conservatrice américaine, une extrême droite bien différente de celle que l’on connaît en Europe. Des figures comme Stephen Miller, secrétaire général de la Maison Blanche, ou J.D. Vance, son vice-président, portent un projet clair, faire des États-Unis une république semi-autoritaire, à la Orban ou à la Poutine. Et sur le plan international, l’objectif est de démanteler le système multilatéral hérité de 1945.
Donald Trump vise désormais les élections de mi-mandat, que les républicains estiment déjà perdues. Et cela inquiète de nombreux observateurs, car les attaques contre le droit de vote ont déjà commencé. La carte électorale a été redessinée au profit des républicains et le vote par correspondance, défavorable aux conservateurs, est attaqué. Alors oui, Donald Trump semble tout-puissant. Et n’oublions pas : c’est un homme qui a déjà tenté un coup d’État, en 2021.
Propos recueillis par Achim Lippold pour RFI.