Depuis le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, la région caribéenne semble être revenue plus d’un siècle en arrière, du temps où le grand voisin américain agissait à sa guise dans ce qu’il considérait comme son « pré carré ». Dès son discours d’investiture, le président Trump a ressorti le big stick afin de remettre au pas des voisins suspectés de s’être trop rapprochés de la Chine ou de ne pas lutter avec assez de détermination contre le narcotrafic.
Le Panama a été le premier pays à subir les menaces de Washington et s’est rapidement trouvé contraint, si ce n’est d’accorder des droits de passage préférentiels aux navires américains traversant le canal, du moins d’accepter l’implantation de trois bases militaires sur son sol, une première depuis la rétrocession du canal en 1999.
Par la suite, l’ensemble des pays d’Amérique centrale ont, à leur tour, été frappés de droits de douane exorbitants et sommés d’accepter le retour sur leur sol de milliers de migrants illégaux. C’est désormais le Venezuela de Nicolás Maduro qui subit les foudres de Washington.
Une campagne inédite
Accusant, sans apporter de preuves avérées, le gouvernement vénézuélien d’être à la tête d’une vaste organisation de trafic de drogue, Donald Trump a ordonné en août dernier au commandement militaire US Southcom (chargé du continent sud-américain) le déploiement dans la mer des Caraïbes d’un groupe naval.
Composé de huit navires, dont certains amphibies, capables de débarquer les 4 500 marines se trouvant à leur bord, il est accompagné d’un sous-marin nucléaire d’attaque (qui a procédé au tir d’essai d’un missile Trident) et a été rejoint par le porte-avions Gerald R. Ford, fleuron de l’US Navy. Cette démonstration de force est complétée par la présence de 10 000 soldats américains à Porto Rico où sont aussi arrivés de très nombreux avions de combat (dont des avions F-35B), de ravitaillement et des drones MQ-9 Reaper.
Depuis lors, pas moins de treize frappes ont visé des navires rapides et un sous-marin artisanal en provenance du Venezuela soupçonnés de transporter de la cocaïne, faisant 57 victimes en dehors de tout cadre légal. Parallèlement, des négociations ont été menées avec certaines îles caribéennes pour les convaincre de participer à cette campagne inédite : si Antigua-et-Barbuda a refusé le stationnement de troupes américaines sur son territoire, Trinité-et-Tobago a accepté l’installation de radars de surveillance sur son sol et a accueilli le destroyer USS Gravely dans le port de sa capitale Port-d’Espagne.
Le Venezuela, seul face aux États-Unis
Enfin, pour accentuer encore la pression sur le président Maduro, Donald Trump a déclaré avoir autorisé la CIA à mener des actions clandestines directement sur le sol vénézuélien, rappelant les grandes heures de l’interventionnisme américain en Amérique latine. Malgré les exercices militaires annoncés – mais pas toujours réalisés – et la promesse d’armer plus de 4,5 millions de miliciens, le régime vénézuélien apparaît singulièrement isolé et démuni face à la pression américaine.
Se défendant de tout lien avec les narcotrafiquants, Caracas accuse Washington de loucher sur ses énormes réserves pétrolières, mais ne peut pas compter sur l’appui direct de ses alliés traditionnels (Chine, Iran, Russie) qui se sont contentés du service diplomatique minimum en appelant au respect de la souveraineté vénézuélienne.
Quelle action armée ?
Cet impressionnant déploiement de force paraît singulièrement démesuré pour faire la chasse à quelques navires de narcotrafiquants. Les dernières déclarations de Donald Trump (« la prochaine étape c’est l’opération terrestre » a-t-il menacé le 27 octobre) pourraient laisser imaginer la préparation d’une invasion armée du Venezuela mais ce serait là s’engager dans une opération militaire de longue haleine au résultat incertain.
Des frappes ciblées comme les États-Unis en ont déjà mené en Iran et au Yémen sont davantage probables. Tout comme des opérations de déstabilisation voire d’éliminations ciblées menées par les services secrets. N’oublions pas que la tête de Nicolás Maduro a été mise à prix à 50 millions de dollars US par l’administration américaine ; à ce sujet, Caracas vient d’annoncer avoir démantelé une « cellule criminelle » liée à la CIA. Ainsi, plus qu’une action militaire frontale de grande ampleur, l’option la plus réaliste reste celle d’actions hybrides destinées à renverser le régime.
Derrière cette mobilisation militaire spectaculaire, il faut garder à l’esprit qu’une large partie de la politique étrangère de Donald Trump répond avant tout à des préoccupations intérieures : si la lutte contre l’immigration clandestine et le narcotrafic peuvent aisément trouver un écho favorable au sein de son électorat, il n’est pas certain qu’un engagement massif des boys sur un théâtre étranger soit soutenu par sa base et encore moins par la population américaine.
Cette tension, finalement assez classique, entre interventionnisme et isolationnisme s’exprime au sein même du Sénat où les Républicains sont pourtant majoritaires : une résolution bipartisane visant à empêcher toute action militaire contre le Venezuela sans l’autorisation du Congrès – qui seul est habilité à autoriser une guerre – devrait bientôt y être déposée.
Fragilité et instabilité durables
Au sein même de l’US Army, les choix de la Maison-Blanche ne semblent pas faire l’unanimité : la très étonnante annonce de la retraite anticipée de l’amiral Alvin Holsey, moins d’un an après son arrivée à la tête de l’US Southcom, laisse présager de fortes dissensions entre le ministre « de la guerre » Pete Hegseth et une partie de l’état-major américain, visé depuis quelques mois par une purge d’une ampleur inédite.
Entre intimidation et frappes militaires, entre déstabilisation larvée et déploiement de troupes, le tout sous le sceau de la coercition et de l’imprévisibilité, la politique de Donald Trump redessine en profondeur les équilibres sécuritaires d’une région déjà fragile, sans qu’il soit certain qu’elle réponde à une stratégie d’ensemble à l’égard du continent latino-américain.
Ses dernières déclarations à l’égard du président colombien Gustavo Petro, qu’il a publiquement qualifié de « baron de la drogue », et l’annonce de la fin de la coopération bilatérale entre les deux pays en matière de lutte contre le narcotrafic n’ont rien de rassurant et laissent augurer d’une instabilité durable dans la région.

