• Christophe Ventura

    Directeur de recherche à l’IRIS, responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe

Non, cette armada américaine atteint une amplitude inédite dans l’histoire caribéenne, même si la région a déjà été le lieu de démonstrations de force américaines au début du XXe siècle, mais on n’a jamais vu ça.

Non. Il n’y a pas de doute là-dessus. La lutte contre le narcotrafic fait l’objet d’un droit international codifié qui prévoit un certain nombre de méthodes, de mesures de coopération entre les États pour lutter contre le crime organisé transnational. Or là, ce n’est pas du tout ce qui est en train de se passer. Là, on a une équipée sauvage ordonnée par Donald Trump avec une approche totalement surmilitarisée et unilatérale de cette lutte contre le narcotrafic, qui pour l’instant ne touche pas les cartels par ailleurs, mais touche des gens, dont on n’est pas sûr qu’ils soient liés aux cartels. Nombre de familles et le gouvernement colombien considèrent que ce sont des assassinats extrajudiciaires, qui ont notamment touché des pêcheurs.

On assiste à un déploiement militaire qui a commencé fin août après une première phase qui a consisté à mettre en place le dispositif juridique, sous forme de décrets, permettant à Donald Trump de désigner les cartels comme des organisations terroristes étrangères. Et ce, pour justifier, selon lui, le déploiement de la flotte américaine dans les eaux caribéennes. Depuis septembre, on assiste à une mobilisation de forces militaires qui s’accroît de semaine en semaine et à des opérations extrajudiciaires qui frappent des bateaux. Ce qui justifie tout cela, c’est que Trump noue la question du narcotrafic qui touche les États-Unis – premier marché mondial de consommation des drogues – à la question de l’immigration, puisque le président américain considère que les migrants vendent de la drogue aux États-Unis. Et puis le 3e nœud de cette boucle, c’est que Trump estime qu’il y a des États qui sont devenus des narco-États, avec des dirigeants qu’il assimile donc à des chefs de cartel. Et cette lecture lui permet tout simplement de faire ce qu’il a envie de faire au moment où il aura envie de le faire. Et maintenant, il réfléchit à la possibilité de faire tomber le président vénézuélien, qu’il considère comme un narco-dictateur.

Personne n’en sait rien. Mais en tout cas, il a déjà mis en place en deux mois tous les dispositifs qui lui permettraient de le faire s’il décidait de le faire. Donald Trump a déjà essayé de le renverser lors de son premier mandat quand il a mis à prix la tête de Maduro en 2020 le désignant comme chef de cartel. Et en 2025, il a fait monter la mise à prix à 50 millions de dollars, pour quiconque pourrait donner des informations conduisant à sa capture. Mais jusqu’à présent, il n’a pas réussi à le faire tomber.

Militairement, les Américains sont supérieurs, mais on a l’impression que le chemin choisi par Trump serait moins une invasion ou une occupation du Venezuela, mais plutôt des opérations, des frappes ciblées, ou des interventions ponctuelles avec du soutien à terre, qui permettraient d’obtenir l’élimination physique de Maduro.

Aujourd’hui, on n’a pas les éléments pour dire que Trump a un plan de changement de régime intégral. Trump semble surtout vouloir la peau de Maduro. Ce qui pourrait passer par des frappes ciblées ou des opérations commando. Les Américains sont coutumiers de cela, ils l’ont fait au mois d’août dernier en frappant les sites nucléaires iraniens. Donc Trump est tout à fait capable de faire cela, et c’est probablement ces scénarios qu’il est en train d’évaluer.

Madame Machado représente non pas toute l’opposition vénézuélienne, mais la fraction la plus dure et intransigeante de cette opposition. Elle bénéficie depuis très longtemps de l’appui de Washington. María Corina Machado réclame depuis longtemps l’intervention des États-Unis au Venezuela pour faire tomber le gouvernement chaviste. Elle appelle cela une « ingérence humanitaire ». Mais elle n’est pas suffisamment fédératrice et n’est pas en mesure d’être acceptée par l’armée. Donc ce serait un casse-tête pour les Américains d’installer María Corina Machado au pouvoir ou l’opposant Edmundo González Urrutia. Par contre, si les États-Unis arrivaient juste à faire tomber Maduro et obtenir qu’il parte, ils pourraient peut-être trouver un deal avec l’armée pour qu’il y ait une transition, avec les militaires qui conservent le pouvoir sans Maduro et qu’à un moment donné il y ait des élections.

La vindicte remonte à 1998, au moment où le pays a pris une bifurcation historique, politique, géopolitique et économique très importante. C’est le début de ce que, au Venezuela, ils ont appelé la « révolution bolivarienne » avec la première élection d’Hugo Chavez, mort en 2013, et dont Nicolás Maduro est le successeur. Dès ce moment-là, les Américains ont considéré que le Venezuela caressait l’ambition de sortir de l’orbite de Washington alors qu’il était un État allié, voire client des États-Unis. Car le Venezuela est le
pays qui dispose des réserves les plus importantes au monde de pétrole.

Jusqu’à l’arrivée de Chávez, l’essentiel du pétrole vénézuélien était exploité et
exporté vers les États-Unis. Avec la révolution bolivarienne de Chávez qui a voulu affirmer une souveraineté avec un discours anti-américain et anti-impérialiste, tout ça a changé. Pour l’instant, les États-Unis ne sont pas parvenus à renverser ce gouvernement, malgré la crise politique, sociale et économique énormissime qui existe au Venezuela.

Oui, bien sûr. Le Venezuela est devenu en Amérique du Sud le premier allié politique, militaire et commercial de Pékin et de Moscou. Aujourd’hui, les États-Unis ont été repoussés du Venezuela, même s’il y a encore quelques semaines, il y avait encore une compagnie pétrolière américaine, Chevron, qui exploitait le pétrole vénézuélien à destination du territoire états-unien. Les relations n’ont jamais été réellement coupées, mais cette fois-ci, on est vraiment dans l’affrontement le plus direct. Le fait que le Venezuela serve de tête de pont aux intérêts chinois et russes dans la région ne plaît pas du tout à Washington. Trump veut reconstituer la puissance américaine. C’est le retour de la politique des zones d’influence. Or l’Amérique latine, où la Chine possède désormais des positions très solides, a toujours été considérée par
les Américains comme faisant partie de leur zone d’influence.

Maduro veut démontrer que le pouvoir reste uni autour de lui, qu’il est le vrai chef de l’État vénézuélien et que l’armée est unie derrière lui, puisque les États-Unis ne reconnaissent pas sa légitimité, tout comme d’autres pays d’Amérique latine et d’Europe. Son intérêt est de montrer qu’il ne cédera pas à la pression américaine parce que Caracas a bien compris que Trump cherche à créer des divisions, des fractures au sein de l’appareil d’État et de l’armée vénézuélienne pour le faire tomber. Donc Maduro organise des parades militaires, montre que l’armée est en train de s’organiser sur tout le territoire. Et malgré la supériorité militaire des États-Unis, il promet un nouveau « Vietnam » aux Américains si ces derniers venaient à s’engager sur le sol vénézuélien, avec l’appui des milices vénézuéliennes. D’autant que
l’histoire a montré que les Américains, malgré leur puissance, ne gagnent pas toujours les guerres dans lesquelles ils s’engagent.

Propos recueillis par Lise Ouangari pour Ouest France.