« Original Sin » : le livre choc qui révèle la vérité sur Joe Biden

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  • Romuald Sciora

    Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

C’est une lecture qui dérange, mais qui ne surprend guère. Dans Original Sin, un ouvrage qui paraît ces jours-ci chez Penguin Press, signé par Jake Tapper et Alex Thompson, deux journalistes bien établis à Washington, on découvre ce que beaucoup savaient, ce que d’autres soupçonnaient, mais que presque personne n’osait formuler publiquement : le déclin physique et cognitif de Joe Biden n’a rien de soudain ni de marginal. Il a été systématiquement dissimulé par son entourage politique, au mépris de toute transparence démocratique — voire du bon fonctionnement de l’État.

Ce n’est pas un scoop. Les images parlaient d’elles-mêmes : hésitations, confusions, noms oubliés, visages non reconnus — jusqu’à ceux de ses propres collaborateurs. Et pourtant, pendant des mois, voire des années, un silence assourdissant a recouvert cette réalité. Une omerta soigneusement entretenue par ce que les auteurs décrivent comme un « Politburo » présidentiel, référence explicite à l’opacité du régime soviétique. Une poignée de fidèles contrôlait l’agenda, filtrait l’information, évitait les imprévus. Joe Biden, 82 ans aujourd’hui, était le plus souvent un président « absent », une coquille vide.

Mais le plus troublant, ce ne sont ni les oublis, ni la fragilité. Ce qui inquiète profondément, c’est l’absence de parole. Ce refus collectif de regarder la vérité en face. Dans une démocratie aussi ancienne — sinon solide — que celle des États-Unis, la santé d’un président, physique mais surtout mentale, ne peut être un sujet tabou. Elle dépasse largement sa vie privée : elle engage les décisions militaires, diplomatiques, économiques, environnementales. Elle engage le monde entier.

Ce silence n’est pas anodin. Il dit quelque chose de l’état des institutions américaines, et de leur rapport à la vérité. Il trahit, surtout, la peur panique qu’inspire encore aujourd’hui l’idée même d’un débat public sur les capacités cognitives d’un dirigeant. Ni la Maison-Blanche, ni le Congrès, ni les grands médias n’ont voulu assumer cette responsabilité. Tous savaient. Peu ont parlé. Et presque aucun n’a agi.

Le cas Biden n’est pas une exception. On se souvient que Nancy Pelosi, elle aussi octogénaire, avait suscité des interrogations similaires à la fin de son mandat à la tête de la Chambre des représentants. D’autres figures, démocrates ou républicaines — parfois bien plus jeunes — ont souffert de troubles mentaux notables, sans que cela ne déclenche la moindre alerte publique.

Comment expliquer cette inertie ? Sans doute par une culture politique où la loyauté prime sur la vérité, où le contrôle de l’image l’emporte sur le souci de l’intérêt général. Peut-être aussi par un calcul électoral : reconnaître la vulnérabilité de Joe Biden, c’était fragiliser les chances démocrates face à un Donald Trump toujours plus menaçant. Mais ce pari s’est retourné contre eux. Ce qui avait été tu a fini par éclater au grand jour, accentuant la défiance envers les élites, nourrissant les récits complotistes, et affaiblissant un peu plus encore la parole publique.

Ce qui frappe dans le livre de Jake Tapper et Alex Thompson, c’est le réflexe d’anonymat. Plus de 200 personnes ont accepté de parler — mais très peu ont accepté de le faire à visage découvert. Même après le retrait de Biden, même après la débâcle, même lorsque l’évidence ne faisait plus débat, le silence dominait encore. Comme si, aux yeux de beaucoup, reconnaître une faute était plus grave que de l’avoir commise.

Ce mutisme n’est pas propre aux États-Unis. Dans nos démocraties occidentales, la santé des chefs d’État reste un angle mort du débat public. En France, l’état réel de Georges Pompidou ou de François Mitterrand n’a été connu qu’a posteriori. En Allemagne, en Italie, en Espagne, la culture du secret perdure. Mais aux États-Unis, où le président concentre entre ses mains des pouvoirs considérables, et dont les décisions ont un impact global, le danger est d’autant plus aigu.

Il ne s’agit pas de tomber dans le voyeurisme médical. Il ne s’agit pas non plus de discréditer l’âge comme un facteur disqualifiant en soi. Mais de poser une question essentielle : un président peut-il continuer à exercer ses fonctions en pleine dégradation physique et cognitive, sans que le peuple, les élus, les journalistes n’en soient informés ? Et peut-on prétendre défendre la démocratie quand on escamote ainsi l’un de ses fondements : la transparence ?

Joe Biden aura été un président exécrable sur la scène internationale. Sa relation avec la Russie est restée prisonnière d’une grille de lecture obsolète, héritée de la guerre froide. Inconséquent dans la gestion de la crise ukrainienne, il a poussé Volodymyr Zelensky à exiger des conditions de paix que toute personne sensée savait inatteignables. Au Proche-Orient, il n’a pas su définir une ligne claire ni peser réellement dans les rapports de force, alors même qu’il en avait les moyens. Sa tentative de renouer le dialogue avec l’Iran s’est rapidement enlisée. Certes, sur le plan intérieur, il a obtenu des avancées sur certains dossiers, mais dans l’ensemble, cette présidence aura été marquée par une forme d’incohérence, une incapacité à incarner une vision, à fixer un cap. Il serait naïf de croire que cette instabilité n’a aucun lien avec la condition physique et mentale du 46e président des États-Unis. J’ai été l’un des premiers en France à alerter sur cette question — on me regardait alors, bien souvent, avec scepticisme. La lecture d’Original Sin devrait achever de convaincre les plus incrédules.


Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.