Analyses / Europe, Stratégie, Sécurité
1 août 2025
Face à la vassalisation de l’Europe, sursaut ou postures ?

Le niveau de vassalité révélé par l’accord entre Ursula von der Leyen et Donald Trump a initié une prise de conscience de l’impasse économique, technologique et politique dans laquelle s’est positionnée l’Union européenne (UE) face aux États-Unis. Cette dérive supplémentaire ouvre une crise existentielle pour l’UE. Une tribune de Rémi Bourgeot, économiste et ingénieur, chercheur associé à l’IRIS.
L’imposition unilatérale de droits de douane américains à la production européenne marque les esprits. En réalité leur niveau général de 15 %, relativement modéré, résulte de concessions bien plus générales consenties par la Commission européenne. Pour sauver le fragile statu quo industriel de secteurs ultra-exportateurs, en Allemagne en particulier, l’UE s’engage à continuer de creuser ses dépendances sur un ensemble de dossiers et compromet son avenir technologique. L’Europe renonce à ses velléités d’autonomie en matière numérique, militaire, et énergétique, dans la continuité du dernier sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Derrière la menace de chaos, Donald Trump parvient ainsi à imposer, en plus d’un nouveau paradigme de protection douanière, unilatérale, une logique plus généralisée de domination économique – et géopolitique – sur les pays déjà les plus alignés. En retour, ceux-ci se voient confrontés au risque d’un déclassement accéléré.
De nombreux responsables nationaux expriment leur embarras face à la révélation de cette impasse à la vue du grand public par les médias. L’appel de certains d’entre eux à la mise en place de contre-mesures sur le secteur numérique américain minimise l’ampleur réelle du retrait européen et arrive à contretemps. En échange de droits de douane de moitié inférieurs à la menace théorique de 30 %, la Commission a justement donné la garantie à Donald Trump de renoncer à l’horizon d’une politique réelle de concurrence technologique.
Au vu de l’excédent commercial allemand sur les États-Unis, une véritable politique de rééquilibrage ciblée, par des droits de douane spécifiques et des investissements manufacturiers, aurait été justifiée. Les Européens auraient dû accepter le principe et les moyens d’un tel rééquilibrage commercial il y a déjà longtemps, tout en écartant la moindre compromission sur l’idée d’une vassalisation généralisée du continent, qui engage les générations futures. Une approche sereine aurait abouti à des droits de douane (bas), sans aucune concession en matière de politique d’autonomie technologique, militaire et énergétique. En se focalisant, dans la panique, sur les intérêts immédiats d’industries ultra-exportatrices comme l’automobile et sur les injonctions américaines les plus maximalistes, la perspective irréaliste de droits de douane à 30 % dans la durée à amener les Européens à saborder leur potentiel technologique.
Ainsi, l’impasse dans laquelle s’est enfermée l’Europe s’avère plus profonde que cet accord commercial embarrassant. Elle concerne le mode de gouvernance, la bureaucratisation extrême, le champ offert aux groupes d’intérêt et la régurgitation d’idéologies américaines génériques par tous les courants politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par l’extrême centre. Le dernier ouvrage de Michel Barnier illustre, avec une surprenante précision, le type et le degré de conditionnement qu’incarne la présidente de la Commission dans ses relations avec les États-Unis.
Pour leur part, les États-Unis commencent à se relever de leur débâcle industrielle, malgré leur crise éducative et culturelle, en mobilisant leurs forces historiques. Cette capacité de rebond repose notamment sur les moyens financiers qu’ils offrent aux forces créatives et scientifiques. À l’inverse, l’Europe prend le pli de copier les aspects les plus néfastes de la gouvernance et de la culture de masse américaine, sans les qualités d’un système qui se donnent encore les moyens scientifiques de sa puissance. Les États-Unis entament une amorce de réindustrialisation grâce en particulier à la faiblesse de leurs coûts énergétiques. À l’inverse, la Commission exporte le chaos de la politique énergétique allemande aux pays européens qui bénéficieraient encore d’une infrastructure énergétique rationnelle et écologique et, désormais, en promettant des importations massives de gaz naturel liquéfié américains à des prix prohibitifs.
Alors que l’affaissement de la position européenne était visible depuis plusieurs mois, les représentants d’organismes américains de Bruxelles, comme le site Politico Europe, défendaient avec âpreté la position de la Commission, lui prêtant même des vertus de force et d’unité. Ces négociations factices ont en fait permis d’entériner le retrait européen face aux intérêts économiques américains. Au-delà de la forme et du style particulier de Donald Trump, la politique internationale des États-Unis présente une dimension transpartisane. L’Inflation Reduction Act de l’administration Biden constituait déjà une politique protectionniste au bénéfice de la réindustrialisation américaine. Le faible ancrage dans les réalités européennes et mondiales parmi les gouvernements de l’UE a ouvert la voie au vide de la Commission von der Leyen, mêlant soumission sur la scène internationale et autoritarisme en interne.
Davantage qu’un simple outil de rééquilibrage commercial, Donald Trump conçoit les barrières douanières comme un mode de sanctions sur tous types de dossiers. C’est d’ailleurs au vu de l’escalade des derniers mois avec la Chine, qui lui a efficacement tenu tête, qu’il s’est focalisé sur les pays les plus inféodés aux États-Unis, dans un contexte géopolitique désastreux. Gaza en est un exemple frappant, sur lequel l’UE refuse de peser, prenant à la lettre les intimidations américaines, alors qu’elle dispose de leviers économiques évidents, pour mettre fin à une politique d’annihilation dans son voisinage. Bien plus qu’une simple question de stratégie de négociation, le retrait politique européen renvoie à une crise de civilisation.