Une grande victoire pour Donald Trump, une défaite du droit

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  • Romuald Sciora

    Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

Il faut bien l’admettre, sa stratégie aura été gagnante. De bout en bout. Donald Trump, que l’on disait acculé, brouillon, aura parfaitement su orchestrer cette séquence avec l’Iran — et cela pour le plus grand bonheur de son électorat MAGA. Il aura campé jusqu’au dernier moment le rôle du président anti-guerre, celui qui refuse l’engrenage, qui veut éviter l’erreur fatale. Il aura prétendu tout tenter pour éviter l’escalade. Il aura laissé les diplomates parler, les alliés tergiverser et les journalistes spéculer. Puis, au moment qu’il avait lui-même choisi, il aura frappé.

Trois frappes chirurgicales, coordonnées avec Israël, sur les installations nucléaires d’Ispahan, Natanz et Fordo. Une opération éclair, sans pertes humaines — ou du moins, officiellement. Et immédiatement après, une déclaration solennelle : « Les États-Unis ne sont pas en guerre avec l’Iran. » Tout était dit. L’Amérique avait agi, puni, neutralisé. Mais elle ne souhaitait pas aller plus loin. Pas cette fois. Pas sous Trump.

La suite aura été écrite d’avance. Téhéran, contraint de réagir, aura lancé quelques salves sur des bases américaines en Irak et dans le Golfe. Mais des frappes mesurées, annoncées à l’avance. Pas de morts. Pas d’escalade. Et Trump, triomphant, de remercier presque les Iraniens pour leur « modération », d’affirmer que « le pire avait été évité », et d’annoncer dans la foulée un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran « dans les 24 heures ». C’était le 23 juin. Moins de 48h heures après les premières frappes.

Victoire militaire, donc. Mais surtout victoire politique. Trump apparaît désormais comme celui qui a mis fin au programme nucléaire iranien sans entraîner les États-Unis dans une guerre interminable. Ce que ni Obama, ni Bush, ni même Biden n’ont réussi à faire. Une opération rapide, nette, sans répercussion, ni sur les troupes, ni sur l’économie. Pour une Amérique vaccinée par l’Irak, épuisée par l’Afghanistan, c’est une démonstration de force idéale : montrer les muscles sans envoyer les boys.

C’est aussi un tournant dans la perception internationale. Après des mois d’hésitations, d’échecs en Ukraine, de blocages à Gaza et de chaos dans les discussions avec l’Iran, Trump reprend la main. Il incarne, enfin, cette image d’un président « efficace » , capable d’agir seul, au bon moment, et avec résultat. Sur le plan intérieur, à un peu plus d’un an d’élections législatives qui s’annoncent difficiles, cette séquence pourrait bien consolider son socle et renforcer son emprise sur l’appareil républicain.

Car il ne faut pas s’y tromper : cette opération militaire, aussi courte fût-elle, n’est pas un simple épisode géopolitique. C’est aussi un instrument de légitimation politique. Elle renforce la figure du chef, de l’homme d’ordre, du « protecteur ». Et elle alimente, en creux, le récit autoritaire qu’il déroule depuis des mois sur le plan domestique. Moins de chaos, plus de fermeté. Moins de débats, plus de décisions. Moins de compromis, plus de verticalité.

Si le programme nucléaire iranien est réellement mis en sommeil — et il faudra le vérifier — c’est évidemment une bonne nouvelle. Mais à quel prix ? Ces frappes n’ont pas été autorisées par le Congrès. Elles n’ont pas été validées par l’ONU. Elles s’inscrivent dans une logique d’unilatéralisme assumé. Une fois encore, les États-Unis ont mené une attaque préventive, hors du droit international, contre un État souverain.

Et demain ? Que dira-t-on à Poutine s’il frappe à nouveau un voisin en affirmant qu’il y percevait une menace ? Que dira-t-on à d’autres puissances si elles décident, à leur tour, de définir elles-mêmes ce qui constitue un danger « intolérable » ? Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, le droit international, tout comme le système multilatéral, ne sont plus que des ruines qu’on visite par habitude. Les frappes du 21 juin en offrent une illustration limpide. Et il serait naïf de croire qu’elles n’auront pas de suites.

Mais pour Trump, si le cessez-le-feu annoncé entre Israël et l’Iran tient, c’est une séquence parfaite. Il a frappé fort, vite, sans pertes, sans riposte majeure. Il a contrôlé le récit, désamorcé la crise, proclamé la paix retrouvée. Il apparaît comme le seul capable de conjuguer force et prudence, brutalité et contrôle. Et il vient d’offrir à son électorat une image dont il rêvait : celle d’un président fort, mais pas fou. Stratège, mais pas va-t’en-guerre. Rassurant à l’intérieur, redouté à l’extérieur.

Ce n’est pas seulement une victoire tactique. C’est une victoire narrative. Et à l’heure où la politique se confond de plus en plus avec la dramaturgie, c’est peut-être la plus décisive.


Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.