Entretiens / Observatoire de l’Allemagne
21 février 2025
Élections fédérales en Allemagne : quelles perspectives pour le pays ?

Ce dimanche 23 février, les citoyens allemands doivent renouveler les 630 sièges du Bundestag, assemblée parlementaire du pays. Cette élection, anticipée en raison d’une crise politique ayant mis fin à la coalition au pouvoir en novembre, est décisive et pourrait aboutir à un départ du chancelier social-démocrate Olaf Scholz. Le contexte dans laquelle elle se déroule, marqué par des attentats terroristes et la crise économique, pourrait par ailleurs amener un score historique pour le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Quelles sont les dynamiques politiques à l’œuvre dans le pays ? Quel impact pourrait avoir la chute du gouvernement actuel sur le soutien du pays à l’Ukraine ? Comment la relation bilatérale avec la France pourrait-elle évoluer ? Le point avec Jacques-Pierre Gougeon, professeur des universités, directeur de recherche à l’IRIS, directeur de l’Observatoire de l’Allemagne et auteur de « L’Allemagne, un enjeu pour l’Europe » (Eyrolles, 2024).
Quelles dynamiques politiques marquent l’approche des élections fédérales allemandes du 23 février ?
Plusieurs dynamiques politiques marquent cette campagne et modifient le paysage politique allemand. Le parti conservateur CDU (Union chrétienne-démocrate), avec son allié de la CSU (Union chrétienne sociale), dispose d’un réel ascendant sur la campagne. Cela est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’impopularité du chancelier sortant, Olaf Scholz est très élevée, avec seulement 23 % de personnes satisfaites de son action. La crise économique que traverse l’Allemagne est également un élément central après deux années marquées par un recul de la croissance (donc une récession) et des difficultés structurelles de l’industrie. L’annonce de plusieurs plans de licenciements a ébranlé l’opinion publique. La suppression de 35 500 emplois chez Volkswagen n’est à ce titre que la partie visible de l’iceberg, car il faudrait y ajouter Thyssen (- 11 000 emplois), Bosch (- 5500 emplois) et bien d’autres, notamment de grandes PME, fierté de l’Allemagne. La transition vers une « économie verte » est jugée trop rapide et trop brutale, avec un accompagnement insuffisant des secteurs concernés et l’arrêt de mesures de soutien pour des raisons budgétaires. La succession d’attentats mortels en Allemagne pèse également, avec deux reproches à l’adresse du gouvernement : la prise en compte insuffisante des problématiques de sécurité et l’absence de véritable politique migratoire visant un contrôle des flux d’immigration. 60 % des Allemands estiment qu’il y a trop d’immigration en Allemagne. C’est justement sur ces failles que s’appuient non seulement la CDU, mais aussi l’extrême droite d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui arrive en deuxième position derrière la CDU/CSU dans les sondages, dépassant très largement les sociaux-démocrates, avec pourtant un discours très radicalisé sur l’immigration et l’identité allemande. L’Allemagne qui choisit son chancelier est une Allemagne qui doute puisque dans ce pays où la notion même de stabilité est une caractéristique de la culture politique depuis 1949, 69 % des habitants s’inquiètent pour la stabilité du futur gouvernement et 46 % constatent une absence de cohésion dans la société allemande. Non seulement le « modèle » économique allemand est en difficulté, mais la société doute d’elle-même et de sa solidité.
Donald Trump et Vladimir Poutine ont récemment amorcé la négociation d’une fin de la guerre en Ukraine, sans y associer pour l’instant les pays européens ni même l’Ukraine. Quelle position pourrait adopter l’Allemagne, grandement affaiblie économiquement par le conflit ?
Cela peut sembler paradoxal, mais cette Allemagne affaiblie économiquement entend peser davantage en Europe. Cette idée apparaît dans les différents programmes des partis, notamment celui de la CDU. Ce dernier reproche d’ailleurs au chancelier sortant de s’être désintéressé des questions européennes et d’avoir ainsi déclassé l’Allemagne qui s’est engagée en faveur de son réarmement et demeure la première économie d’Europe et la troisième puissance économique dans le monde. D’ailleurs lors du dernier débat télévisé entre les différents candidats à la chancellerie, le candidat CDU, Friedrich Merz, a reproché à Olaf Scholz d’être « un simple invité » à la réunion sur l’Ukraine organisée lundi dernier par Emmanuel Macron à Paris, ajoutant : « Ce n’est pas le rôle que j’envisage pour l’Allemagne. Nous devons devenir forts ». Pour les opposants à Olaf Scholz, l’Allemagne ne peut pas se contenter d’être le deuxième fournisseur d’aides à l’Ukraine sans peser davantage sur le cours des choses. Cela signifie clairement être moins hésitant sur les catégories d’armes livrées à l’Ukraine. Friedrich Merz a par exemple laissé entendre qu’il serait plus flexible sur la livraison de missiles de croisière Taurus de fabrication allemande d’une portée de 500 km, pouvant donc toucher le sol russe à partir de l’Ukraine. La décision ne sera pas facile à prendre, car 60 % des Allemands sont opposés à la livraison de cette arme à l’Ukraine. Cette inflexion de l’Allemagne, si elle a lieu, passera par un renouveau du lien transatlantique vu de Berlin. Friedrich Merz pense pouvoir peser davantage qu’Olaf Scholz auprès de Donald Trump et de son administration. Il ne faut pas oublier que les États-Unis sont redevenus depuis l’année dernière le premier partenaire commercial de l’Allemagne avec un excédent commercial de 71 milliards d’euros en faveur de cette dernière…
Alors que le « moteur » franco-allemand peine à fonctionner, quelles répercussions les élections fédérales allemandes pourraient-elles avoir sur la relation entre Paris et Berlin ainsi que sur l’équilibre et la cohésion de l’Union européenne ?
La relation franco-allemande a incontestablement souffert ces dernières années, en dépit des célébrations officielles nombreuses qui finalement ne sont pas toujours d’une grande aide, si ce n’est à maintenir des marqueurs historiques. Les oppositions entre les deux pays ont été nombreuses sur l’énergie, le traité de libre-échange Mercosur, le rôle et l’évolution de l’OTAN, la relation à la Chine… Aucun des deux pays, tous les deux affaiblis, n’est en mesure d’exercer un leadership en Europe, ce qui finit par poser problème en termes de cohésion et d’équilibre. À cela s’ajoute le fait que l’Allemagne considère de plus en plus la France comme un partenaire important, mais parmi d’autres. Il est très intéressant d’observer que du côté allemand, tant dans les programmes que dans les discours, la France et la Pologne sont mises à parité. Par conséquent, le rapport à la France est banalisé. Ces nouvelles élections fédérales allemandes pourraient sans doute être l’opportunité d’un nouveau souffle dans la relation franco-allemande, notamment face à la nouvelle donne aux États-Unis et à l’évolution de la relation transatlantique sur laquelle l’Allemagne s’interroge, tout en y restant historiquement attachée. Mais il est évident que cette relation doit évoluer et sans doute modifier ses règles de fonctionnement et de régulation, devenues très lourdes dans beaucoup de domaines.