ANALYSES

Chili : le nouveau paysage politique après le 7 mai 2023

Tribune
23 mai 2023
Par Julian Calfuquir, membre du groupe d’animation de l’Observatoire électoral de l’Amérique latine de l’IRIS et diplômé d'IRIS SUP'.


Le 7 mai 2023, les Chiliens étaient appelés à voter pour désigner de nouveaux élus constituants à la suite de l’échec du précédent processus de référendum du 4 septembre 2022. Ce nouveau processus, approuvé par le parlement chilien avec la loi n°21533 du 13 janvier 2023, prévoit un dispositif plus condensé dans le temps et avec des modalités d’élections et d’organisations bien différentes.

Dans un contexte difficile pour le président Gabriel Boric et après l’échec du dernier processus constituant qui a fait l’objet de nombreuses critiques, cette nouvelle séquence marque l’établissement d’un nouveau rapport de forces dans le champ politique chilien. Le nouveau processus prévoit la mise en place d’un Conseil constitutionnel de 51 membres (50 + 1 pour les peuples autochtones), accompagné d’un comité d’experts composé de 24 parlementaires, chargé entre autres de proposer les premiers éléments d’une réforme constitutionnelle, et d’un comité technique désigné par les parlementaires, composé de 12 juristes chargés de contrôler les propositions de normes qui contreviendraient aux objectifs initiaux fixés par la loi du 13 janvier 2023.

Ce processus est donc marqué par une défiance vis-à-vis des modalités de fonctionnement du précédent, dont le contrôle souverain revenait à la Convention constitutionnelle et surtout sans possibilités pour le Congrès ou l’exécutif d’y intervenir.

Les résultats du 7 mai dernier ont été marqués par une défaite importante du gouvernement Boric, avec une gauche divisée et une extrême droite qui arrive en tête. Le Parti républicain (d’extrême droite) arrive en tête avec 3,5 millions de voix, soit 35% des voix exprimées et obtient 23 sièges sur 51. La coalition gouvernementale, Unidad para Chile, obtient quant à elle 16 sièges avec 28% des voix. La droite traditionnelle, Chile Seguro, obtient 21% des voix et 11 sièges. Viennent ensuite le centre gauche de l’ex-Concertación, sans le Parti socialiste, Todo por Chile, qui n’obtient aucun siège malgré près de 9% des voix et enfin le Partido de la Gente de l’ancien candidat à la présidentielle Franco Parisi qui obtient 5% des voix et aucun siège à la convention constituante.



S’agissant des sièges pour les peuples autochtones, le nombre attribué dépend du nombre de votants dans les collèges des peuples autochtones répartis proportionnellement parmi les candidats. Plus de 300 000 personnes ont voté dans ce collège, n’octroyant ainsi qu’un seul siège pour les peuples autochtones. Ainsi, au sein de ce Conseil constitutionnel la présence des peuples autochtones n’est que très amoindrie. Alors qu’ils  représentaient près de 10% des sièges dans la précédente Convention constitutionnelle, ils n’en représentent aujourd’hui plus que 2%.

Comme annoncé dans de nombreux sondages ayant précédé l’élection, la droite chilienne gagne du terrain, surfant sur le rejet du président Boric et profitant des débats au sein dans la société chilienne sur l’immigration et  l’insécurité. La droite et l’extrême droite, qui s’étaient prononcées pour le « non » au référendum de 2022 sur l’approbation de la proposition constitutionnelle, ont mobilisé dans ce scrutin 5,5 millions de voix, un score historique et inégalé pour toutes les familles politiques. À titre de comparaison, Gabriel Boric, connu aussi pour avoir été le président le « mieux élu » de l’histoire du Chili, a obtenu 4,6 millions de voix au second tour de la présidentielle de 2021 tandis que pour ce scrutin, qui était obligatoire, sa coalition Unidad para Chile, n’obtient que 2,8 millions de voix, encore moins que le vote du « oui » au référendum de 2022 (4,8 millions de voix).

La gauche chilienne, dans son ensemble, est ainsi clairement en perte de dynamique, tandis que la droite, l’extrême droite, mais aussi le bloc abstention/nuls/blancs progressent nettement et constitue ainsi un autre fait important de cette élection.  De fait, 22% des voix exprimées sont des votes blancs ou nuls, représentant ainsi près de 2,6 millions de voix sur les 12 millions de votants. Le vote étant obligatoire, ce nombre très conséquent de votes blancs et nuls peut être interprété comme la continuité d’une méfiance profonde de la société chilienne envers le système politique, qui s’est jusque-là déjà exprimée aussi bien par la candidature Parisi lors de l’élection présidentielle ou l’irruption d’un bloc d’indépendants (non affiliés à un parti politique) lors de la dernière Convention constitutionnelle. À cela s’ajoute l’abstention, encore présente malgré le vote obligatoire, avec un peu plus 15% du corps électoral qui ne s’est pas déplacé pour ces élections. En tout et pour tout, sur les 15 millions d’inscrits pour ce scrutin obligatoire, seuls 9,8 millions de personnes se sont exprimés pour une des offres politiques de ce scrutin. Ainsi, près de 35 % du corps électoral n’a pas participé à l’élection des élus constituants, se rapprochant des scores d’abstention en période d’élection non obligatoire qui se situent autour des 50%. Malgré le vote obligatoire, le système électoral chilien peine à impliquer les électeurs.

Le référendum pour l’approbation du prochain texte constitutionnel est prévu le 17 décembre 2023, soit six mois après l’installation formelle du nouveau Conseil prévue le 7 juin prochain. Ce délai très court pour mener à bien les débats nécessaires, ses modalités d’organisation, mais aussi les rapports de force en son sein indiquent un fort décalage entre ce nouveau processus d’élaboration d’une nouvelle Constitution pour le Chili et les ambitions de la précédente Convention.  Reste à savoir si la proposition constitutionnelle sera adoptée in fine au référendum de décembre, ce qui n’est pas encore certain dans un contexte de défiance de plus en plus aiguë de la classe politique.

Le cycle politique ouvert par les mobilisations sociales de 2019, qui ont provoqué la mise en place d’une Convention constitutionnelle et une dynamique électorale favorable à la gauche, et plus précisément à la gauche de rupture de Gabriel Boric, semble être en train de se refermer.

La gauche est en position très délicate, prise entre ses divisions idéologiques, gouvernementales et ses fragmentations électorales. Le camp du président Boric mais aussi les autres formations de gauche apparaissent en difficultés pour les prochaines échéances. Les prochaines élections municipales et régionales sont prévues pour 2024 et la présidentielle pour 2025. Ces types de scrutins s’étaient révélés les dernières fois très favorables aux forces de gauche. Mais désormais, le rapport de forces semble très différent. Aujourd’hui, sur les 16 régions qui composent le Chili, seules 3 placent la gauche en tête.

Plus que jamais, le nouveau cycle sur lequel espérait prospérer la gauche chilienne est remis en question.

 

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Cette tribune est publiée dans le cadre de l’Observatoire électoral de l’Amérique latine de l’IRIS, animé par Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS.
Pour aller plus loin, (re)visionner la conférence « Chili : retour sur les résultats et les enseignements de l’élection du Conseil constitutionnel » de l’IRIS.

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