ANALYSES

L’allégeance de Boko Haram à l’organisation de l’Etat islamique (Daech) : une transnationalisation du djihad ?

Tribune
9 mars 2015
Samedi 7 mars, Boko Haram, via une vidéo postée sur le compte twitter de son chef Abubakar Shekau en arabe (avec sous-titre en anglais et en français) a fait acte d’allégeance au calife Abou Bakr al-Baghdadi de l’Etat islamique. Daech a ainsi étendu ses zones d’influence (en Irak/Syrie, au Sinaï avec l’allégeance en 2014 du groupe Wilayat Sinaï – anciennement Ansar Bait al-Maqdis – en Libye, et dans les pays voisins du lac Tchad). Le même jour, quatre attentats-suicides faisaient une soixantaine de morts à Maiduguri dans l’État de Borno au Nord Nigeria et s’ajoutaient aux actions ayant provoqué plus de 13 000 morts depuis 2002. La secte Boko Haram, qui accentue ses actions au Nigeria, a connu une extension régionale de son terrain d’opération au Nord Cameroun, au Niger et au Tchad. Agissant prioritairement au sein de l’État fédéral du Nigeria, elle a régionalisé ses actions et vient de les transnationaliser, du moins sur les plans symbolique et médiatique.

Boko (livre) Haram (interdit) a longtemps été un problème interne au Nigeria. Cette secte a vu le jour en 2002 et est principalement installée dans l’État de Borno, de Yobe et de l’Adamawa. Peu prise en compte au départ par les autorités nigérianes originaires du Sud, elle a été réprimée avec violence par une armée nigériane largement corrompue et créant des dégâts collatéraux auprès des populations. En août 2009, son chef Mohamed Yusuf a été tué et remplacé par Abubakar Shekau. 90% des attaques de Boko Haram sont des représailles face à la violence de la répression. La revendication politique s’est transformée en demande d’un califat dans la tradition de celui de Sokoto.
L’enchaînement de la violence au Nigeria est à la fois politique (exactions et corruption des forces armées), économique (inégalités territoriales du tissu économique, répartition inégale de la rente pétrolière), social (exclusion des droits, inégalités, vulnérabilité des populations, illettrisme), et religieux (opposition entre le Nord et le Sud, islamisme radical de Boko Haram « l’éducation occidentale est un pêché »). Douze Etats sur trente-six ont instauré la charia ; les mouvements islamistes radicaux notamment salafistes et wahhabites se sont opposés au soufisme des confréries. Cette secte pèse fortement dans le jeu politique du Nigeria et a empêché la tenue des élections du 14 février 2015. La situation actuelle d’insécurité de l’État de Borno continue de rendre problématique les élections présidentielles qui devraient pour l’heure se dérouler le 28 mars.

Ayant au départ pour agenda le seul Nigeria, les exactions de Boko Haram touchent depuis deux ans les zones de l’Adamawa au Cameroun, du Kanem-Borno au Niger et le Tchad. Certains liens régionaux datent de la création de Boko Haram. Ainsi, Diffa au Niger a été sous influence économique et religieuse du Nord Nigeria où des liens ont été noués entre les rebelles de Boko Haram et les coupeurs de route au Nord Cameroun. L’extension territoriale récente résulte à la fois de la faiblesse des Etats du Cameroun, du Niger voire du Tchad pour contrôler leurs territoires, du poids de l’histoire et des liens transnationaux au sein du groupe Kanouri, de la porosité des frontières et des membres de Boko Haram cherchant un refuge face à la répression de l’armée nigériane. Les actions armées ont été permises par les attaques de casernes permettant l’approvisionnement en armes, par des appuis de politiques et de militaires nigérians, par les contrôles des différents trafics (prostitution liée au rapt de jeunes filles, rançons après les prises d’otages, trafics de drogue, braquage de banques, taxes locales prélevées sur les populations, etc.). Boko Haram a transformé le petit banditisme des coupeurs de route en groupes djihadistes agissant via des attentats suicides ou des combats armés. Ont été mis en place dès mai 2014 une coopération régionale entre Etats africains voisins, un soutien de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), et un appui logistique et d’encadrement de la part des Etats-Unis et de la France pour lutter contre Boko Haram.

Voulant instaurer un califat, Boko Haram s’est rapproché idéologiquement d’un « djihadisme transnational », et a ainsi noué des contacts avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et les Shebabs de Somalie mais ne s’est pas coordonné avec les autres groupes djihadistes. Son allégeance à Daech annoncée ce samedi 7 mars change peut-être la donne.
On peut l’interpréter comme un simple effet d’annonce pour un groupe qui serait en perte de vitesse sur le plan militaire ou, au contraire, comme un renforcement de ses capacités opérationnelles par des appuis financiers, d’armes et des coordinations entre divers groupes djihadistes. Le combat de Boko Haram, comme celui de Daech, en pratiquant la terreur, l’horreur et en visant à créer la peur, se situe dans des guerres médiatiques et de communication. L’allégeance à l’Etat islamique révèle également la convergence idéologique d’un islamisme radical anti-occidental, voulant instaurer un califat et remettre en questions les frontières héritées de l’Occident. Il traduit, au-delà de la régionalisation, une transnationalisation des groupes insurrectionnels.

Face à Boko Haram, l’armée nigériane continue de se montrer relativement impuissante par une sur et une mal militarisation de la lutte contre des actions terroristes (1). La coopération régionale est difficile entre États qui se sont faits la guerre et ont des contentieux territoriaux. La volonté du Nigeria anglophone d’être le gendarme de la région n’est pas acceptée par les autres pays. Les forces de sécurité sont soit de faible efficacité (Niger et Nigeria), soit relativement démunies pour intervenir dans des zones étrangères avec faible connaissance du terrain, des populations ou de la langue (Cameroun, Tchad). La bataille ne peut se gagner que par le renseignement, l’infiltration auprès des populations, des signes de réduction des vulnérabilités des populations et des perspectives pour les jeunes.

Au-delà de la coopération régionale difficile entre les cinq États que sont le Nigeria, le Niger, le Cameroun, le Tchad et le Bénin (7500 hommes décidés par l’UA et la CEEAC), une internationalisation de la lutte contre Boko Haram est-elle envisageable ? La France ne donne qu’un soutien indirect à la lutte contre Boko Haram (renseignements, logistique, appui à la coordination régionale) mais elle est de fait impliquée par le dispositif Barkhane présent au Tchad et au Niger. Elle n’a ni les moyens humains ni les capacités financières de se battre sur un nouveau front avec déjà plus de 10.000 hommes présents en Afrique. L’Union européenne est en retrait comme elle l’a été en Centrafrique ou au Mali. Les Etats-Unis sont restés jusqu’à présent discrets face à la demande d’appui de la part de Goodluck Jonathan, chef d’État du Nigeria, même s’ils apportent un appui dans le domaine du renseignement et de la logistique. Face à une menace potentielle d’inter ou de transnationalisation du djihad, y aura-t-il un engagement des Nations unies ?

(1) Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Boko Haram : Les enjeux régionaux de l’insurrection », Note N°246, Fondation Jean-Jaurès, 12 février 2015.
Sur la même thématique