ANALYSES

De la question des migrants dans la région balkanique

Tribune
24 juin 2015
par Loïc Trégourès, doctorant à l'Université Lille 2, spécialiste des Balkans
Alors que le HCR a annoncé le 20 juin, journée mondiale des réfugiés, qu’il n’y avait jamais eu autant de personnes déplacées dans le monde, la question des migrants est devenue un enjeu politique majeur pour l’Union européenne, qui dépense 1 milliard d’euros par an pour les empêcher de pénétrer sur son sol, tandis qu’eux-mêmes dépensent environ la même somme pour y parvenir.

Dans ce contexte, la région balkanique joue à la fois le rôle de porte d’entrée mais aussi de zone tampon vers l’espace Schengen. Or, force est de constater que les flux de migrants, surtout syriens, irakiens et afghans, ont fortement augmenté depuis le début de l’année. Ainsi le gouvernement serbe a annoncé que plus de 22.000 personnes avaient formulé une demande d’asile. De son côté, la Macédoine a chiffré à 50.000 le nombre de personnes qui ont traversé son territoire depuis le début de l’année.

Du point de vue sécuritaire, politique et humanitaire, ces événements peuvent être analysés d’abord à l’échelle régionale, puis européenne. Au niveau régional, on retrouve à la fois des pays dépassés par un phénomène auquel ils ne sont pas préparés, et des migrants en proie à des mafieux qui les rançonnent.

Le mur financé par l’UE à la frontière bulgaro-turque a démontré son efficacité en ce qu’il a sensiblement réduit le nombre de migrants passant par la Bulgarie, autant que son inanité générale puisque les flux se sont juste déplacés et n’ont pas décru.
De fait, la Grèce ne fait plus rien pour empêcher les migrants de passer en Macédoine, qui elle-même ferme les yeux sur ces colonnes qui remontent le pays à vélo jusqu’en Serbie.

Dernière étape avant l’espace Schengen, la Serbie, candidate à l’intégration européenne, a à cœur de démontrer qu’elle peut traiter cette question et joue donc les bons élèves malgré des moyens très limités. D’où l’inquiétude du Premier ministre, Aleksandar Vucic, à l’annonce des autorités hongroises de l’érection d’un mur le long de la frontière serbo-hongroise. Il est vrai que la Hongrie, excédée, est devenue le second pays européen en termes de demande d’asile (plus de 50.000 en 2015), ce que le gouvernement Orban exploite au mieux à des fins de politique interne. Si les migrants ne peuvent plus emprunter cette voie, les Serbes craignent de devoir gérer des flux plus importants de gens qui vont rester plus longtemps. Il y a déjà des centaines de migrants dans un total dénuement à Presevo au sud du pays.

La réponse de Belgrade n’a donc pas tardé puisque la frontière macédo-serbe a été placée sous contrôle renforcé de patrouilles austro-serbo-hongroises, ce qui aura pour effet de gonfler la présence des migrants dans une Macédoine prise en étau et déjà asphyxiée, qui n’aura d’autre choix, si elle veut éviter elle-même un désastre humanitaire déjà en marche, que de fermer sa frontière avec la Grèce. Rien ne garantit pourtant que cette tactique du reflux soit plus efficace que la tentative bulgaro-turque.

L’annonce hongroise inquiète aussi la Croatie, pour l’instant pays de transit secondaire. L’objectif croate d’intégrer l’espace Schengen implique de démontrer que l’on est capable de faire face. Cependant, pour les migrants déjà en Serbie, le mur serbo-hongrois risque de déplacer la route vers l’Est croate pour ensuite remonter en Hongrie et contourner le mur, ce qui confronterait la Croatie à de vraies vagues de migrants. Pourra-t-elle faire face ? Si non, alors le test sera raté, les portes de Schengen se fermeront et il y aura des tensions entre Serbie et Croatie. Si oui, alors les migrants passeront par l’Albanie puis l’Italie, ou bien la Roumanie puis la Hongrie.

On voit donc que cette question ne peut être résolue de façon locale et doit être traitée à l’échelle européenne. Cette urgence est d’autant plus évidente depuis l’annonce hongroise, ce 23 juin, de la suspension unilatérale du règlement Dublin III qui prévoit que les demandes d’asiles soient traitées par le premier pays de l’espace Schengen traversé. C’est ainsi tout l’équilibre et l’esprit même de Schengen qui est en jeu ici face à des flux qui n’ont aucune raison de cesser.

Enfin, il faut rappeler que les principaux demandeurs d’asile dans l’UE ne sont pas syriens mais albanais du Kosovo avec 49.000 demandes d’asile sur les 185.000 enregistrées au premier trimestre 2015, ce qui embarrasse d’ailleurs Pristina dans la négociation sur la levée des visas Schengen. Si ces demandes n’ont aucune chance d’aboutir, elles traduisent l’impasse économique dans laquelle se trouve le Kosovo, sept ans après son indépendance, et alors que l’Union européenne continue d’y investir des sommes et des moyens humains considérables afin d’y construire un Etat moderne.

Or, le départ des jeunes du Kosovo et de tous les pays des Balkans devrait susciter une réflexion globale de la part de Bruxelles car non seulement cela alimente des sentiments xénophobes au sein de l’Union, mais cela ôte de surcroît aux pays d’origine leurs forces vives qui sont le plus à même de mener leur pays vers le développement économique et l’intégration européenne.
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