ANALYSES

Aqmi : le soutien de Boko Haram ?

Tribune
24 octobre 2012
Par Laurent de Castelli, diplômé en Défense, sécurité et gestion de crise d’IRIS Sup’
La secte est également responsable de l’attentat-suicide contre le siège des Nations unies à Abuja faisant 23 morts et 81 blessés le 26 août 2011, ainsi que des attentats contre les locaux des journaux This Day et The Sun . Selon Human Rights Watch ces attaques que l’on peut qualifier de ‘tout azimuts’ ont causé la mort de plus de 1 400 personnes depuis 2009, et leur rythme s’accélère. Pour la seule année 2012, on dénombre 815 tués dans 275 attaques(1), auxquels il faut ajouter une trentaine de morts dans les attentats de ce week-end.

Si depuis ces dernières années, la secte a clairement intensifié ses attaques et radicalisé ses modes d’actions, il n’en fut pas toujours ainsi. A sa création, les actions de Boko Haram ciblaient essentiellement les forces de sécurités nigérianes, les bâtiments publics et dans une moindre mesure les banques. Mais en juillet 2009, la police et l’armée nigérianes lancent un raid contre Boko Haram, interpellant ou éliminant ses dirigeants, ses combattants ou ses soutiens financiers. S’en suivent des manifestations de sympathisants qui seront violemment réprimées par les forces de sécurité, causant la mort d’au moins 700 personnes. Mohammed Yusuf, le fondateur de Boko Haram, est arrêté et meurt quelques heures plus tard, certainement exécuté par la police. Il est aujourd’hui considéré par les membres de la secte comme un martyr.

Au lieu de détruire la secte, cette intervention risque au contraire de la radicaliser. Sous la direction de son nouveau chef Abubakar Shekau, Boko Haram va diversifier ses cibles, utiliser de plus en plus des méthodes terroristes comme des attentats-suicides et se rapprocher de la vision du Djihad prônée par Al-Qaïda. C’est le constat qu’ont fait les ministres des Affaires étrangères de la Mauritanie, du Mali, du Niger et de l’Algérie, ainsi que des délégués du Nigeria, réunis en janvier 2012. A l’issue de cette réunion, ils ont conclu à une ‘connexion avérée’ entre Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb Islamique(2) (AQMI).

De nombreux éléments viennent aujourd’hui appuyer la thèse des ‘connexions’ entre les deux mouvements même s’il faut rester prudent sur leurs interprétations.

D’abord, l’élément le plus troublant est l’enlèvement revendiqué par AQMI de l’ingénieur allemand Edgar Fritz Raupach, en janvier 2012 à Kano (Nigeria). L’otage était en réalité détenu par des membres de Boko Haram et sera exécuté par ces derniers lors de l’intervention de l’armée nigériane quelques mois plus tard(3).

Ensuite, des combattants de Boko Haram auraient participé à l’enlèvement, le 5 avril 2012, des 7 membres du consulat algérien à Gao au coté du Mujao (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest). Le Mujao, organisation liée à AQMI, dispose de camps d’entrainement au Mali, où les membres de la secte nigériane composeraient une grande partie des jeunes recrues(4). Cela confirmerait les propos du député malien Abdou Sidibé en avril 2012 sur la présence d’une ‘ bonne centaine de combattants de Boko Haram à Gao ‘ dans le nord du Mali(5). Un porte-parole de la secte a également déclaré que des combattants de Boko Haram avaient suivi un entrainement en Somalie et au Yémen(6), ce qui pourrait expliquer la sophistication croissante des attaques de la secte.

De plus, selon un rapport du conseil de sécurité des Nations Unies de janvier 2012 : « Si les activités terroristes de Boko Haram sont concentrées au Nigéria, sept membres de l’organisation ont néanmoins été arrêtés au Niger, alors qu’ils se rendaient au Mali, en possession de documents sur la fabrication d’explosifs, de tracts de propagande ainsi que de noms et de coordonnées de membres de l’AQMI qu’ils projetaient, semble-t-il, de rencontrer.(7)»

Cependant si ces nombreux éléments prouvent que Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb islamique sont en contact, ils ne permettent pas d’établir quel est le niveau de collaboration entre les deux organisations. AQMI fournit-il uniquement un soutien logistique aux membres de Boko Haram dans leur lutte pour imposer la Charia au Nigeria ou veut-il utiliser la secte nigériane pour s’implanter dans le pays le plus peuplé d’Afrique, composé pour moitié de musulmans? L’ensemble de la secte nigériane a-t-elle rejoint AQMI ou bien est-ce seulement un groupe plus radical que les autres? En effet, on peut supposer que la secte est composée de plusieurs groupes avec des méthodes et des objectifs différents. Le groupe le plus radical serait l’instigateur des attentats-suicides. Bien qu’il soit difficile de connaître le nombre exact de combattants de Boko Haram, les attaques coordonnées du 20 janvier 2012 à Kano sur des cibles multiples, impliquaient entre 50 et 100 assaillants(8). Cela montre que la secte est composée de plusieurs centaines de combattants, auxquels il faut ajouter un très grand nombre de partisans.

Les informations permettant de répondre aux interrogations concernant les liens entre AQMI et Boko Haram restent dissimulées dans l’intérêt des deux mouvements. En effet, il est aisé de comprendre que Boko Haram – dont une grande partie des partisans privilégie le combat au niveau local plutôt que le Djihad mondial – souhaite que leurs relations avec un groupe terroriste international d’origine algérienne restent secrètes, dans la crainte de perdre le soutien d’une partie de ses sympathisants. De son côté AQMI n’a aucun intérêt à ce que les pays de la région aient connaissance de leur implantation réelle en Afrique sub-saharienne et de leur influence au Nigeria.

A l’heure où les forces africaines de la Cedeao se préparent pour une éventuelle intervention au Mali contre les combattants islamiques notamment ceux d’AQMI, où l’on évalue quantitativement et qualitativement le rapport de force des deux parties, il serait judicieux de se pencher sur les relations entre AQMI et Boko Haram, pour peut-être ajouter des combattants nigérians à cette équation aux multiples inconnues.

(1) Human Rights Watch, ‘Spiraling Violence: Boko Haram Attacks and Security Force Abuses in Nigeria’, le 11 octobre 2012, P. 48.
(2) Jeune Afrique.com, ‘Sahel – Nigeria : ‘connexion avérée’ entre Aqmi et Boko Haram’, publié le 25 janvier 2012.
(3) AbdulSalam Muhammad, ‘Kidnapped German, six gunmen killed as JTF invades Boko Haram’s den’, le 1er juin 2012.
(4) HUSSEIN Solomon, ‘Counter-terrorism in Nigeria’, The RUSI Journal, Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI), 15 Août 2012.
(5) Jeune Afrique.com, ‘Mali : investiture de Dioncounda Traoré attendue, Boko Haram au Nord’, publié le 10 avril 2012.
(6) Katherine ZIMMERMAN, ‘From Somalia to Nigeria: Jihad’, the Weekly Standard. Com, 18 juin 2011
(7) Rapport de la mission d’évaluation des incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel, conseil de sécurité des Nations Unies, publié 18 Janvier 2012, P. 12
(8) Risk and Co.com, ‘Vague d’attentats de Boko Haram à Kano’, le 24 janvier 2012.

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