ANALYSES

Les illusions de l’ultra-libéralisme…

Tribune
23 septembre 2011
Détaillons, tout d’abord, l’illusion que fut l’ultra-libéralisme. Si l’on revient aux fondamentaux économiques, un pays libéral (ou ultra-libéral) serait un pays où l’Etat n’intervient que pour assurer la défense et la sécurité nationale, la justice et la mise en place des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de la société et de l’économie, au respect des règles. Ce type d’Etat n’existe, à ma connaissance, pas. Depuis la fin des années 1960, les Etats se sont pourtant employés à déréguler et à se désengager de la sphère économique, convaincus par certains que cela était mieux. Qu’en fut-il ? Incontestablement, l’activité économique fut dérégulée. Les banques se mirent à jouer les assureurs et les assureurs, les banquiers, sans que personne ne s’inquiète des conflits d’intérêts potentiels. Nombre d’entreprises publiques furent privatisées partout dans le monde et des secteurs traditionnellement considérés comme nécessairement financés par la collectivité furent ouverts à la concurrence, les prix et les salaires mais aussi les marchés financiers furent libéralisés et laissés à l’appréciation et à l’autorégulation du marché. Quels étaient les objectifs de telles mesures ? Dans un premier temps, le but louable de tout cela était d’éradiquer l’inflation avec l’idée que cette inflation systémique venait d’une concurrence insuffisante parce que limitée par l’intervention publique et qu’elle (cette inflation) pénalisait le pouvoir d’achat et donc in fine l’activité économique.

De facto et avec du recul, force est de constater que, dans les années qui suivirent la désinflation compétitive et la dérégulation, l’activité économique fut plus dynamisée par l’internationalisation de l’économie mondiale et la montée des endettements. En effet, la libéralisation permit aux plus grandes entreprises, en particulier dans les secteurs jusqu’alors publics, les concentrations nécessaires au financement de grands projets et investissements, favorisant l’innovation et la création de nouveaux produits donc de nouveaux marchés. Paradoxalement, dans un monde toujours plus concurrentiel, elle favorisa la multiplication de marchés oligopolistiques dominés par cette poignée de grande entreprise.

La concurrence s’organisa alors ailleurs, sur les salaires, le contrôle et la maîtrise des approvisionnements et entre les pays par le biais de nouvelles stratégies industrielles et commerciales d’entreprises devenues multinationales ! Tout semblait fonctionner puisque les entreprises produisaient toujours plus et toujours moins chers, les marchés financiers dérégulés et internationalisés finançaient tout cela et même plus. De l’autre côté de la machine économique, les consommateurs consommaient toujours plus, tentés par toujours plus de nouveautés (cf. les nouvelles technologies) et ce, tant grâce à la baisse des prix mais aussi en s’endettant puisque leurs salaires stagnaient depuis 20 ans ! Cet endettement privé croissant et inquiétant fut la première cause de la crise en 2007 via la crise des subprimes aux Etats-Unis. Il était toutefois encore un peu tôt pour réaliser le danger du surendettement des économies puisque la réponse préconisée aux Etats à ce moment-là fut (à juste titre dans l’urgence d’ailleurs) de soutenir massivement leurs économies.

Sauf que là-encore, ces décisions finiraient par se heurter à une autre illusion (ou un autre paradoxe) de l’ultra-libéralisme : l’augmentation exponentielle de l’endettement public.

Comment expliquer ou justifier en effet que, dans un monde où l’Etat est supposé se désengager, que son endettement ne cesse de croître ? L’explication est au regard des faits assez simple même si la justification est plus complexe. L’endettement public provient, c’est une évidence mais qu’il convient de rappeler tant elle fut si souvent oubliée, d’un double mouvement : l’augmentation des dépenses publiques d’une part et la baisse des recettes d’autre part. La baisse des recettes est assez logique du dogme libéral (ce qui ne signifie pas qu’elle soit cohérente d’ailleurs !). Se désengager signifie pour l’Etat réduire les taxes et les impôts c’est-à-dire la pression qu’il exerce sur l’activité économique. Néanmoins et c’est là que réside le paradoxe, les Etats furent tous confrontés depuis 40 ans à une augmentation difficilement maîtrisables de leurs dépenses publiques. Les explications à cela sont nombreuses. On peut penser qu’au même titre que l’endettement des ménages, les dépenses redistributives permirent dans une certaine mesure de soutenir la consommation lorsque le pouvoir d’achat stagnait. La montée des inégalités peut être une autre explication, il fallait pour les Etats limiter la montée des inégalités (ou peut-être seulement les masquer) grâce à l’augmentation des dépenses sociales afin de maintenir une certaine cohésion sociale (ou peut-être seulement à des fins électoralistes…)

Enfin, et ceci reste à démontrer mais on peut penser que l’instabilité d’un système libéral (instabilités des prix, des taux de changes, de l’activité économique…) et les incertitudes qu’il génère (chômage, crises économiques…) ont entraîné un besoin croissant d’assurances et de garanties. Cela s’est traduit par une expansion sans précédent des sociétés d’assurance dans le monde mais aussi par l’augmentation des dépenses des systèmes de sécurité sociale. Le vieillissement des populations enfin et les besoins de financement des retraites mais aussi des soins aux personnes âgées sont un autre facteur explicatif enfin.

L’illusion majeure de cette situation fut aussi de croire que l’économie fonctionnerait mieux sans les Etats alors même que, dans un paradoxe qui n’a semble-t-il étonné personne, on attendait des Etats qu’ils trouvent les solutions aux problèmes générés par cette situation cqfd ! Les Etats se sont donc désengagés d’un côté, laissant libre cours à tous les abus d’ailleurs pour panser les plaies et pallier aux lacunes de ces évolutions d’un autre côté. C’est plus cette double contradiction qui fut fatale : si l’économie se veut libérale alors l’Etat doit accepter de réduire ses dépenses dans des proportions au moins aussi importante que baissent les recettes publiques. Si les décideurs politiques avaient été avertis et fermes sur ce point, nul doute que l’ultra-libéralisme n’aurait pas perduré bien longtemps !
Ce ne fut pas le cas et la situation économique mondiale est aujourd’hui dans une impasse. Il faudra beaucoup d’imagination et une incontestable volonté politique pour trouver une issue à cette crise. Les Etats n’ont en effet plus les moyens financiers de mener des politiques budgétaires ambitieuses, dans le même temps, ils doivent soutenir l’activité économique pour relancer une croissance indispensable à la réduction de l’endettement public et privé. Les recettes publiques donc les impôts devront augmenter, tout le monde commence à le comprendre, en témoignent les déclarations en Europe et aux Etats-Unis des « très riches » comme on les appelle aujourd’hui. A nos décideurs politiques maintenant d’avoir le courage de faire les bons choix. Les décisions des agences de notations ces dernières semaines illustrent d’ailleurs plus certainement leurs craintes face au manque de volonté politique des Etats que face à la montée de l’endettement public. La dégradation de la note américaine quelques jours à peine après l’accord décevant pour remonter le plafond de la dette aux Etats-Unis en est un exemple.

Pour ce qui est de l’imagination politique pour sortir de cette impasse, il faut définir les objectifs et les instruments de ces politiques économiques. L’objectif central est la croissance sans pour autant amplifier la dette publique. Mission impossible diront certains ! Pas forcément : une bonne gestion de la dépense et une rationalisation des choix peuvent permettre d’atteindre l’objectif fixé. Toutefois rationnaliser les choix publics supposent aussi de fixer des objectifs plus précis que la seule croissance. Une croissance durable comme l’ont souhaité les dirigeants du G20 en son temps réclame la réduction des déséquilibres mondiaux, cela a déjà été dit moult fois. Réduire les déséquilibres ne signifie pas seulement réguler la finance internationale ou réformer le système monétaire international (concept d’ailleurs un peu flou pour en comprendre les enjeux !). Réduire les déséquilibres de manière durable supposera aussi de penser des convergences entre les économies, de remettre l’homme au cœur du système et l’économie ou le développement économique au service de l’homme, de la collectivité et de la société. Le fil conducteur de tout cela, est probablement la réduction des inégalités tant internes aux pays qu’internationales. En son temps, ces inégalités furent réduites ou interdites par des révolutions, souvent sanglantes et dramatiques qui furent autant le symptôme du mal que son remède. Dans les années 1930 et après la seconde guerre mondiale, des leaders politiques plus avertis et plus courageux réussirent à relever ce défi par une méthode plus douce mais aussi plus porteuse de prospérité. Espérons que cette deuxième voie l’emporte à l’avenir pour sortir de la crise !
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