ANALYSES

Visite de Xi Jinping en Europe : la Chine cherche ses partenaires des nouvelles routes de la soie

Interview
22 mars 2019
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le président chinois a entamé une tournée européenne cette semaine, visitant l’Italie et la France pour tenter d’ancrer ses partenariats stratégiques dans la région. Alors que le projet de Pékin autour des nouvelles routes de la soie (en anglais BRI ou Belt and Road Initiative) cherche à se concrétiser davantage, la crise commerciale avec Washington complique les relations avec l’Europe. Quels sont les enjeux de ce voyage diplomatique ? Éclairage avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le président chinois Xi Jinping se rend en Italie et en France du 21 au 26 mars. Pourquoi ces deux pays et quels sont les enjeux de cette « visite de courtoisie » ?

Cette visite de Xi Jinping n’est dans les faits en rien une visite de courtoisie, sinon dans son volet monégasque, puisqu’il sera le premier président chinois à effectuer une visite officielle en principauté, entre son passage en Italie et en France. Le contexte est particulièrement important pour comprendre le déplacement de Xi Jinping. D’abord le Brexit, qui interroge la Chine sur l’avenir de l’UE et par voie de conséquence de ses propres intérêts dans la région. Ensuite, en raison des tensions très nettes entre Rome et Paris, qui n’ont fait que croître au cours des dernières semaines, et symbolisent les dissonances très visibles au sein de l’UE, y compris des membres fondateurs. L’Italie, en se greffant à la BRI chinoise, devient le premier État du G7, mais aussi le premier partenaire européen « significatif », au sens politique, démographique et économique, à accompagner officiellement les nouvelles routes de la soie initiées par… Xi Jinping. De son côté, la France a été identifiée comme le principal partenaire de Pékin avec l’élection d’Emmanuel Macron, et la visite d’État du président français en Chine en janvier 2018 a suscité chez les Chinois l’espoir que non seulement la France adhèrerait à la BRI, mais qu’elle emmènerait en plus dans son sillage l’UE. Un an plus tard, il n’en est rien, et après son passage à Rome, Xi Jinping met la pression sur Paris. En clair, le président chinois a compris que les querelles actuelles entre Paris et Rome symbolisent les divergences au sein de l’UE, et il cherche à capitaliser dessus pour faire avancer son projet, soit en poussant l’UE à se mettre d’accord, soit en multipliant les accords bilatéraux, avec des États membres de plus en plus « importants », pour forcer la main aux derniers récalcitrants.

Le projet des nouvelles routes de la soie semble inquiéter et diviser les Européens, la puissance de la Chine se projetant potentiellement au sein de l’UE. Pékin peut-elle réussir à mettre en œuvre le corridor de transport souhaité dans ces conditions ?

La BRI n’inquiète pas tous les Européens. Le problème de l’UE est précisément son incapacité à se mettre d’accord sur la stratégie chinoise et sur la réponse à y apporter. Tout semble opposer les 27 : la Suède a récemment annoncé accepter des réfugiés ouïghours qui en feraient la demande, l’Allemagne se montre méfiante à l’égard des acquisitions chinoises dans des secteurs clefs, la France tergiverse et envoie des signaux contradictoires, l’Italie s’apprête à s’ouvrir aux investissements chinois, le Portugal cède le contrôle de son électricité… Et parallèlement, les pays d’Europe centrale et orientale ont déjà acté la BRI, à la fois en acceptant des projets d’investissement importants pour leurs économies respectives, mais aussi en engageant un dialogue stratégique. Dans cette cacophonie, la Chine avance dans ses projets bilatéraux, à défaut de voir se concrétiser un accord Chine-UE. Entre ceux qui s’inquiètent d’une présence grandissante de la Chine et, à l’inverse, ceux qui l’accueillent à bras ouverts, qui a raison ? Les deux justement, et c’est là tout le problème. S’il est nécessaire d’accroître les échanges avec Pékin et sain d’accepter ses investissements, il convient de rester prudent quant à la finalité de cette stratégie chinoise. Car que veut exactement la Chine en Europe ? Pas simplement développer de nouveaux corridors de transport, car les investissements portent sur des secteurs qui n’y sont parfois pas du tout associés. Mais veut-elle contrôler les économies européennes, les relancer, créer des synergies nouvelles à l’heure des guerres commerciales ? C’est le manque de transparence du projet chinois et de ses objectifs qui alimente les fantasmes.

En plein conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, comment l’Europe peut-elle se positionner par rapport à Pékin ? 

Les dissensions sont, nous venons de le voir, au cœur même de l’incapacité des Européens à s’exprimer d’une seule voix. Et elles ne sont pas près de s’estomper, bien au contraire. Dès lors, la question est de savoir si la Chine ne cherche pas, en multipliant des accords bilatéraux, à atteindre une masse critique pour contraindre les derniers hésitants à se rallier à elle. C’est tout le défi posé par l’adhésion de l’Italie, troisième économie de l’UE une fois le Brexit concrétisé. Dans les guerres commerciales qui l’opposent aux États-Unis, la Chine ne se contente pas de répondre aux attaques par d’autres attaques, ni d’une négociation visant à apaiser les tensions : elle se tourne vers d’autres partenaires, dans les pays en développement bien sûr, mais aussi dans son voisinage et en direction de l’UE. Ne pas intégrer la question de la difficile relation avec Washington dans la stratégie que mène Pékin en Europe revient sans doute à passer à côté de l’essentiel.

 
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