ANALYSES

Quand la souveraineté alimentaire repose sur la mer…



Les échanges assurent depuis toujours le développement, le dynamisme et la stabilité des nations. En matière de sécurité alimentaire, la problématique étant à la fois multisectorielle et vitale eu égard à la nécessité des êtres humains de se nourrir, ces échanges s’avèrent d’une importance capitale. Dans l’histoire longue comme de nos jours, cette dialectique s’impose dans les faits et les différents espaces, qu’ils soient terrestres, maritimes ou aériens. Cela vaut pour les produits de la terre comme ceux de la mer. Leur consommation et leur commerce se globalisent. Autant de raisons de s’interroger sur les atouts de la France, l’une des grandes puissances agricoles et maritimes de la planète, au moment où elle doit miser au mieux sur ses forces dans la vaste recomposition géoéconomique et géopolitique qui caractérise le début de ce siècle.

Interdépendance entre commerce et sécurité alimentaire

Le commerce permet de rapprocher l’offre de la demande, sachant que les inégalités climatiques, hydriques, foncières ou démographiques ne placent pas tous les pays du monde dans la même situation vis à vis de l’agriculture et de la capacité à construire sur leur propre territoire une autosuffisance alimentaire. Les flux de marchandises répondent à cette réalité tenace, d’une planète profondément fracturée, ce que les instabilités géopolitiques des uns ne font que renforcer en miroir de la paix qui règne dans d’autres contrées. Il faut souligner ici que l’absence des guerres et des violences constitue l’un des piliers premiers de la sécurité alimentaire. Les échanges entre les territoires, entre les pays ou entre les continents ont donc depuis des millénaires été à la base de l’alimentation des populations. Ils ont aussi stimulé l’économie, favorisé l’innovation, imposé l’aménagement d’infrastructures, brassé les cultures mais aussi les patrimoines génétiques des plantes ou des animaux. Les voies maritimes ont joué un rôle prépondérant dans cette équation. À l’inverse, l’autarcie, la fermeture ou l’entre-soi ont plutôt eu tendance à figer les civilisations, à stériliser les sociétés et à renforcer les conflictualités. Au fil du temps, par-delà les seules considérations quantitatives, ont émergé des préoccupations de diversification et de qualité.

Les sociétés ont sans cesse réclamé plus de produits, recherchant l’inédit, l’authentique ou l’exotisme. Les grandes découvertes et les explorations du globe, à grands coups d’expéditions maritimes, ont ouvert les perspectives et les appétits…Que serait notre gastronomie française aujourd’hui sans poivrons, pommes de terre, tomates, soja, dindes, pintades, sans compter le…chocolat ! Toutes ces plantes et animaux inconnues en Europe il y a encore 500 ans ? Les sociétés modernes ont ensuite exigé que ces produits puissent être sains, sûrs et tracés. À ces revendications s’est aussi superposée l’accélération des rythmes de vie et la quête frénétique d’une plus grande rapidité pour tout dans la vie, y compris le contenu de son assiette. L’être humain est désormais en quête de cette palette alimentaire élargie. La mondialisation des goûts, c’est d’abord et avant tout l’incroyable poussée d’une demande en produits multiples : avoir si possible de tout, tout le temps, à des prix les plus bas possibles, et sans aucun risque pour sa santé (et depuis peu celle de la planète). C’est dans ce contexte contemporain qu’il peut apparaître comme étonnant de voir fleurir les discours ou les initiatives à propos des circuits courts alimentaires. S’il est tout à fait légitime de promouvoir la consommation de produits locaux et d’intégrer les paramètres environnementaux dans les pratiques agricoles, faut-il pour autant prôner une déglobalisation radicale de l’économie et du commerce ? Une telle hypothèse, outre le fait qu’elle irait à rebours du cours de l’histoire, serait assez périlleuse du point de vue de la sécurité alimentaire. Au cours des cinq dernières décennies, le volume des produits agricoles et alimentaires échangés dans le monde a été multiplié par quatre. Les flux s’intensifient, notamment sur mer, principale voie utilisée pour le commerce international de matières premières et de produits alimentaires. Simultanément, la multipolarisation stratégique du globe s’est imprégnée dans les évolutions de ce commerce, puisque les États exportent et importent avec un nombre croissant de partenaires. Les flux sont devenus multidirectionnels (avec l’essor des échanges Sud-Sud par exemple, très significatif dans le domaine alimentaire) et multiscalaires (local, national, régional, intercontinental).

Ces dynamiques traduisent les tendances décrites précédemment : sur le plan des potentiels agricoles, le monde est terriblement fragmenté (et cette réalité s’accentuera à l’avenir) tandis que le comportement des consommateurs tend à converger vers la recherche d’une hyper-diversification alimentaire (dopée par l’urbanisation des sociétés et l’omniprésence de la communication). D’ici à 2050, la FAO prévoit une augmentation de la demande alimentaire mondiale de 50%. Or la progression des terres cultivées ne devrait être que de 4%, étant donné les effets du changement climatique, de l’érosion des sols, de la préservation forestière et des blocages qui resteront la panacée de territoires agronomiquement exploitables mais géopolitiquement instables. Tout porte à croire donc que la globalisation des échanges se poursuivra, ce qu’ont bien compris les GAFAM et les géants du e-commerce chinois dont les investissements explosent dans le domaine alimentaire et agricole …Il faut dire que le négoce annuel de produits agricoles représente plus de 1000 milliards de dollars (USD) en moyenne et que le marché de l’alimentaire s’élève à environ 600 milliards USD. Pour autant, des inflexions auront sans doute lieu au niveau de l’étirement continu des chaînes de valeur et des capacités demain à relocaliser certaines productions agro-industrielles, notamment grâce aux progrès technologiques.




Quand la logistique et la mer font la différence dans l’Histoire (alimentaire)

Parmi les facteurs clefs d’une plus grande souveraineté alimentaire figure la compétitivité logistique, et si possible reposant sur des systèmes intermodaux capables d’agir avec efficience sur le plan temporel, économique et sanitaire. Il n’est pas anodin que l’alimentation soit l’un des déterminants de l’initiative des nouvelles routes de la soie lancée par la Chine, qui a bien intégré la maîtrise logistique dans son logiciel de puissance. Ne considérons que les aspects portuaires. Ils font la différence pour un commerce fluide et sûr, fiable et performant. Dans l’Antiquité, Athènes et Rome avaient respectivement besoin du Pirée et d’Ostie pour apporter les céréales que les deux cités n’avaient pas à proximité pour nourrir leur population. Ces ports étaient aussi précieux que les espaces maritimes méditerranéens, permettant aux deux empires de dominer leur époque grâce à des approvisionnements depuis le Pont-Euxin (ancienne Crimée) pour Athènes ou l’Afrique du Nord pour Rome. La thalassocratie de la première et le service de l’annone[1] mise en place par la seconde ne sauraient être comprises sans inclure la problématique alimentaire de ces deux puissances anciennes. Plus tard, c’est bien les villes portuaires de la Méditerranée qui nourrissaient l’Europe par les produits venant d’Orient ou d’Asie. Les puissances espagnoles ou portugaises ensuite, ou celles plus tardives de la Hollande et de l’Angleterre, avaient un rapport étroit avec la mer sans laquelle leur sécurité alimentaire n’était pas garantie. Au XXème siècle, la conteneurisation des échanges économiques est venue progressivement couvrir le domaine des produits alimentaires. Le gigantisme des navires, transportant en vrac les commodités, ne cesse de s’amplifier. L’automatisation des processus pour charger ou décharger des bateaux s’accélère, afin de rendre efficient l’interface portuaire entre terres et mers. Dans ce contexte, chaque puissance agricole muscle son dispositif logistique et portuaire. L’Europe le fait mais sans doute trop timidement et sans toujours dimensionner l’enjeu de souveraineté que cela comporte. L’Asie elle, pullule de nouveaux ports, miroirs de la globalisation alimentaire qui caractérise ces économies. Au Moyen-Orient et dans le Golfe, c’est la course à celui qui aura le plus grand « hub », arguant de la position géographique de la région entre les continents européens, africains et asiatiques. Autour de la mer Noire, les potentiels agricoles exprimés ces dernières années par la Russie ou l’Ukraine ont trouvé un écho commercial grâce à des investissements massifs dans la logistique portuaire. Vancouver, Oakland et la Nouvelle-Orléans sont depuis longtemps des fers de lance pour l’exportation agro-alimentaire des puissances canadienne et étatsunienne. En Amérique latine, le Brésil ou l’Argentine cherchent à combler leur déficit logistique pour accroître leur expansion agro-commerciale vers le reste du monde, tout en modernisant leurs ports à l’image de celui de Rosario. Pendant ce temps, la Chine finance la construction de corridors interocéaniques terrestres sur ce continent, afin de relier plus rapidement les rives de l’Atlantique et du Pacifique, et sécuriser ses importations de protéine et de soja notamment. À plus long-terme, il conviendra aussi de voir dans quelle mesure les routes polaires du Nord constitueront des voies maritimes favorables aux échanges alimentaires.

[1] Service de collecte et de redistribution des céréales mis en place par Rome.




Des céréales sur les marchés et les mers

Les céréales (blé, maïs, riz, orge) illustrent parfaitement les considérations émises jusqu’ici. Produits clefs de la sécurité alimentaire des populations, consommées aux quatre coins du globe, elles sont depuis longtemps récoltées sur peu d’espaces cultivables pour ensuite circuler sur de longues distances afin de répondre à la demande. Prenons le blé, cette plante qui permet de faire du pain ou des pâtes, et qui est à l’origine du développement de l’agriculture dans le croissant fertile il y a plus de dix millénaires. Cette céréale se situe au cœur des pratiques alimentaires quotidiennes (et la plupart du temps plusieurs fois par jour) de trois milliards d’individus (d’autres milliards en consomment plus occasionnellement). Mais la superficie emblavée de la planète n’est que de 225 millions d’hectares, soit l’équivalent de quatre fois la France hexagonale. Si l’on cultive du blé dans près de 100 pays dans le monde, 16 en produisent réellement (dont la France) et assurent à eux seuls 90% de la récolte totale en moyenne chaque année. Pour les pays dont la consommation dépasse largement la production nationale (et leur nombre est en croissance), c’est le commerce qui vient en renfort. Le blé est d’ailleurs l’un des aliments les plus internationalisés, avec environ 20 à 25% de la production mondiale mis sur les marchés (c’est en moyenne 4% pour les fruits et légumes, 6 à 7% pour les viandes). Dix pays font 85% de l’exportation mondiale, formant ainsi un oligopole puissant compte tenu de la sensibilité de cette commodité. Et la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient, déjà aux premières loges de la sismicité sociopolitique, compte pour un tiers des importations mondiales, alors que son poids démographique n’est que de 4%…

Entre 2010 et 2016, en fonction du cours sur les marchés, le commerce mondial de céréales s’est élevé en moyenne entre 120 et 150 milliards USD, dans lequel le blé pèse pour 30 à 35%. Pour les exportateurs comme pour les importateurs, le grand large et les couloirs commerciaux occupent toute l’attention. Les échanges de céréales s’effectuent encore par voie maritime pour 70 à 80% des volumes et par le biais de 8 passages géostratégiques. Les détroits turcs (Bosphore et Dardanelles), de Bab el Mandeb et de Malacca, ainsi que le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, polarisent à eux seuls la moitié des grains circulant sur la planète. Dans ces zones étroites et situées dans des régions incertaines, passent chaque année environ 300 millions de tonnes de céréales, soit quatre fois le volume observé au début du siècle. Malgré les risques, les acteurs (publics ou privés) doivent garantir la sécurité alimentaire, tant les périls seraient plus grands en cas de pénuries dans les approvisionnements et de faim dans les estomacs de chacun. Un simple regard sur une carte nous montre que ces routes traversent plusieurs zones de conflits, larvés ou actifs, symétriques ou asymétriques, et que leur protection est vitale.

Nous avons pris l’exemple des céréales, mais si l’on se penche sur le soja, le sucre, les huiles, les produits laitiers, le café, le thé, le chocolat, le vin ou la bière…les constats sont peu ou prou les mêmes : demande mondialisée, production localisée, commerce nécessaire. N’oublions pas non plus les « intrants », ces ressources qui conditionnent en partie (ou pour beaucoup) les activités agricoles : hydrocarbures, électricité, azote, phosphate…sans les échanges internationaux de ces produits, la cartographie agricole de la planète en serait significativement transformée, et la sécurité alimentaire fortement dégradée. Les produits de la mer sont aspirés par les mêmes phénomènes que ceux de la terre. Plongeons donc sur ce segment parfois marginalisé dans le débat alimentaire mondial.

Quand les produits de la mer débarquent sur terre

Les produits de la pêche et de l’aquaculture assurent en moyenne, à l’échelle mondiale, 20% de l’apport moyen en protéines animales de trois milliards de personnes environ. La part de ces protéines dans la ration des individus tend à progresser et la population mondiale consommant des produits de la mer est de plus en plus nombreuse (effets de la croissance démographique et de l’évolution des comportements alimentaires). Pour nourrir le monde demain, la pêche de capture et les productions aquacoles seront donc encore plus stratégiques. La consommation de produits de la mer par habitant et par an est passée de 9 à 20 kg au cours des cinq dernières décennies mais des disparités existent : un Japonais en consomme 50 kg chaque année, un Chinois 35, un Européen 22,5, un Africain et un Brésilien 10, un Indien 5. Il est intéressant de noter qu’un Français se situe autour de 33,5 kg par an, mais qu’en Polynésie la moyenne grimpe à 47 kg. Pour répondre à ces besoins, il faut donc que la production suive le rythme. Et elle le suit ! Nous sommes passés de 40 Mt au début des années 1960 à environ 190 MT de production (pêche et aquaculture) de nos jours, dont 85% destinée à la consommation humaine. Si la part de la pêche représentait presque l’intégralité de la production dans les années 1960, elle reste stable depuis les années 1990 dans l’offre de produits de la mer, autour de 90 Mt. Elle est de deux types : artisanale et côtière ou industrielle et sur les grands larges. En revanche, depuis plus d’un demi-siècle, la part de l’aquaculture explose. Elle atteignait à peine 20 Mt au début de la décennie 1990, franchit les 40 Mt au début du Millénaire et dépasse désormais la barre des 100 Mt.

Comme les produits de la terre, ceux de la mer se concentrent finalement dans peu de pays en termes de production. La Chine domine de très loin les débats. Elle est le seul pays dans le monde à capturer plus de 10 Mt en pêche, avec près de 18Mt. Loin derrière se trouvent l’Indonésie (6,5 Mt), les États-Unis, la Russie, l’Inde et le Pérou (5 Mt). En Europe, l’Espagne est leader (1 Mt), la France suivant avec 0,5 Mt. L’ensemble de l’UE représente 4 à 5 Mt en moyenne désormais, contre 7,5 à 9,5 Mt entre 1970 et 2000. Si l’on examine l’aquaculture, sur les 106 Mt au total, la Chine (62 Mt) et l’Indonésie (16 Mt) réalisent à elles seules les trois quarts de la production mondiale. L’Inde (5 Mt) et le Vietnam (3,5) viennent ensuite dans ce tableau global hyper-polarisé sur l’Asie. L’explosion de la demande mondiale accentue donc la nécessité de produire et simultanément de commercer.





Comme pour les céréales, les échanges de produits de la mer se font essentiellement par voie maritime. Ce commerce représente en moyenne 140 à 150 milliards de dollars (MUSD) par an. La Chine est le premier exportateur avec 21 MUSD, suivie par la Norvège (11), le Vietnam (8), la Thaïlande (6,5), les États-Unis, le Chili et l’Inde (6). Sur le plan des importations, les Etats-Unis sont premiers (20 MUSD), la France étant située cinquième rang mondial. Des grandes sociétés internationales comme Cargill ou Mitsubishi s’insinuent dans le domaine de l’aquaculture, ce qui n’est pas étonnant eu égard au futur stratégique décrit précédemment.

L’aquaculture est l’un des secteurs qui aura été les plus dynamiques et innovants au cours des dernières décennies. Il permet assurément de nourrir plus de personnes sur la planète (essentiellement en Asie !), tandis que l’offre venant de la pêche de capture stagne et devrait ne plus augmenter significativement. Quand bien même le prix de ces produits reste élevé dans des régions où les productions sont moins importantes et les modes alimentaires plus tournés vers les denrées de la terre, il conviendra de suivre la dynamique en Europe ou dans les Amériques où la recherche de protéines non-carnées progresse. En outre, les débats environnementaux sur ces questions s’intensifient. D’un côté la surexploitation des stocks de poissons, pour de nombreuses espèces, est venue fortement contrarier l’activité halieutique (thon, baleine). De l’autre, les controverses restent nombreuses sur l’empreinte des fermes aquacoles sur la biodiversité. Il n’est donc pas étonnant que l’Objectif de développement durable n°14, défini dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations-Unies, porte précisément sur les mers et les océans, avec en son sein la pêche et l’aquaculture. Avec une toile de fond, par-delà les considérations écologiques, qui met l’accent sur certains enjeux géopolitiques comme la pêche illicite ou les batailles normatives et réglementaires. Tout cela nous ramène in fine à des aspects de sécurité et de défense, car la puissance maritime sert évidemment à protéger ou à renforcer des positions sur des segments comme celui de la pêche. Il suffit d’observer ce qui se joue actuellement en mer de Chine entre les États riverains. Sur un autre registre, dans les processus de négociations commerciales sur le globe, les produits de la mer pourraient de plus en plus être utilisés. Nous l’avons vu récemment dans les accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, ou plus marginalement dans la bataille sur la Saint-Jacques entre Français et Britanniques dans le contexte incertain du Brexit. Il faut dire que l’Europe dispose d’une politique commune de la pêche depuis 1983 et qu’elle a permis de lisser, voire d’éteindre, de nombreux foyers de crise. Sortir de ces cadres très réglementés, c’est s’exposer à des difficultés et des frictions récurrentes.

Réflexions stratégiques pour la France

La France fait partie du club très fermé des leaders agricoles mondiaux. La liste est longue, et pourrait paraître fastidieuse, mais il est important d’en prendre conscience : blé et céréales, malt, semences certifiées, viande bovine et volailles, vin et spiritueux, sucre, produits laitiers, pommes de terre…et eaux minérales ! Dans toutes ces productions, et exportations, la France est souvent première, ou fait partie des 3 leaders mondiaux ou européens. En terme économique, cela représente une balance commerciale positive oscillant autour de 10 milliards d’euros, ce qui fait de l’agro-alimentaire le deuxième poste exportateur de notre pays, juste après l’aéronautique. D’ailleurs, les responsables de la profession céréalière ne se privent pas avec une pointe d’humour de comparer le blé et le …Rafale, en disant que chaque année, c’est l’équivalent en valeur récurrente de 70 à 75 Rafale qui sont apportés par les exports de céréales ! Et pour les vins et spiritueux, le nombre d’avions monte à 120 si l’on poursuit l’exercice. Nos principaux clients sont bien sûr intra-communautaires, mais nos produits s’exportent dans le monde entier (Asie, Amérique du Nord et Maghreb). Néanmoins, l’économie française est aussi sensible à certaines importations, indispensables à la production agricole, l’alimentation et surtout à la production industrielle, le cacao en étant un exemple parmi d’autres.

Sécuriser ces flux alimentaires est par conséquent tout aussi stratégique, tout aussi vital, que de garantir notre approvisionnement en hydrocarbures. Assurer la liberté de circulation sur les océans, mission à laquelle se consacre la Marine nationale, est ici essentiel et à double titre. En contribuant à la fluidité de nos importations, elle participe à la sécurité alimentaire de notre Nation tandis que les exportations concourent à la stabilité politique et sociale de certains pays. La dépendance des États du Maghreb vis-à-vis de notre blé est à cet égard éclairante : 15 à 20% de la récolte française y est aujourd’hui consommée.

La Marine apporte aussi sa part dans la protection de nos ressources halieutiques. Lutter contre la pêche illégale ne revêt en effet pas seulement un aspect de lutte contre la criminalité : trop pêcher, surexploiter la ressource est susceptible de la faire disparaître. Il n’est que de voir les effets du moratoire canadien sur la morue : vingt-six ans plus tard, seul 1/3 du stock s’est reconstitué, l’interdiction de pêcher est toujours en place. Or cet enjeu est majeur. Avec un pic démographique mondial attendu pour la fin du XXIe siècle, il s’agira alors de nourrir plus de 11 milliards d’êtres humains quand nous sommes aujourd’hui 7.5 milliards. Les terres cultivables ne sont pas extensibles à l’infini, nous l’avons vu, et c’est en mer que l’on trouvera aussi des ingrédients pour nourrir l’Humanité. Poissons, algues y contribueront, sous forme de capture comme d’élevage. Protéger les stocks aujourd’hui, c’est par conséquent assurer notre survie demain. Si les marins et les terriens ont trop longtemps vécu côte à côte, désormais leurs destins sont liés : l’alternative n’est plus la terre ou la mer mais la terre et la mer.

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Article à paraître dans Etudes marines n°15 « Nourrir »

 
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