ANALYSES

Europe de la défense : où va l’Union européenne ?

Interview
9 novembre 2018
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny


Quelles solutions pour renforcer la défense européenne ? S’il est parfois difficile de faire avancer les choses à vingt-huit dans le cadre de la coopération militaire européenne, la France a proposé l’an dernier, un outil présenté comme plus « flexible et pragmatique », baptisé Initiative européenne d’intervention (IEI). Où en est donc l’idée d’armée européenne ? N’est-elle pas antinomique à la présence de l’OTAN ? De quoi s’agit-il lorsque nous évoquons l’IEI ? Quelles sont les structures européennes propres à la mise en place et au développement d’une défense communautaire ? Le point de vue de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Emmanuel Macron a jeté le trouble, mardi 6 novembre, en évoquant à nouveau le principe d’« une armée européenne ». Cette idée fait-elle son chemin au sein des instances européennes ? N’est-elle pas concurrentielle au rôle de l’OTAN ?

Non, l’armée européenne n’est pas concurrentielle à l’OTAN. Si Emmanuel Macron parle d’armée européenne, c’est qu’il n’y a pas de terme explicite et approprié compréhensible par l’opinion publique pour mentionner la construction européenne en matière de défense. Il est évident que, pour le grand public, le terme d’armée européenne signifie quelque chose alors que ce ne peut être le cas pour « la coopération structurée permanente » ou « l’initiative européenne d’intervention ». Il faut un langage simple et compréhensible : l’Europe veut assurer sa défense elle-même.

Naturellement, nous n’allons pas créer une armée européenne avec des contingents intégrés. Toutes les armées des pays membres de l’Union européenne (UE) ne parlent pas la même langue d’une part, et ne fonctionnent pas de la même manière d’autre part. Ce n’est donc pas une armée européenne au sens technique du terme dont il est question ici.

En revanche, ce que la France et la plupart des pays européens veulent développer c’est une plus grande autonomie de l’UE en matière de défense, afin que celle-ci puisse déjà assurer les missions inhérentes à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ensuite, effectivement, l’UE a pour volonté d’être moins dépendante des États-Unis, qui sont dans l’OTAN, parce qu’elle ne pourra pas compter éternellement sur eux. Il faut que l’Europe soit capable d’assumer son propre destin et ne plus éternellement compter sur autrui.

Maintenant, plus les Européens agissent par eux-mêmes et accroissent leurs capacités militaires de manière collective, plus ils renforcent l’OTAN.  Il faut bien voir que, de toute façon, les armées et les contingents, que ce soit de l’UE ou de l’OTAN, sont nationaux. Ainsi, chaque action de développement ou de renforcement des capacités militaires d’un pays européen vient renforcer l’Alliance atlantique.

Une première réunion, sur l’Initiative européenne d’intervention (IEI) lancée le 25 juin 2018, a eu lieu mercredi à Paris entre la ministre des Armées française et neuf de ses homologues européens. De quoi s’agit-il ? Quels en sont les étapes et défis ? En quoi ce projet permettra notamment à la Grande-Bretagne de conserver un « ancrage » européen en dépit du Brexit ?

L’Initiative européenne d’intervention est née du discours à la Sorbonne du président de la République Emmanuel Macron, le 26 septembre 2017. L’idée est de créer, entre plusieurs pays européens, une culture stratégique européenne qui manque aujourd’hui cruellement. Cette culture stratégique représente la capacité des armées des pays qui font partie de l’Initiative européenne d’intervention à conduire des opérations militaires en commun quand cela s’avère nécessaire. Cela doit conduire à une meilleure cohésion entre les différentes armées nationales lors d’interventions de l’UE, et à permettre d’intervenir plus rapidement.

Ainsi, on envisage de faire de la planification « à froid » dans l’Initiative européenne d’intervention. Plus précisément, il s’agit de planifier des opérations militaires avant même que celles-ci aient lieu. Si nous prenons l’exemple du Mali, la France avait planifié l’opération 3 mois auparavant, dès octobre 2012. En effet, l’État français savait pertinemment qu’une intervention pourrait s’avérer nécessaire. Mais nos partenaires européens n’étaient pas associés. Il faut donc pouvoir dialoguer et informer plus en amont, ainsi que partager les pratiques de planification. La particularité de l’Initiative européenne d’intervention réside dans sa création en dehors de l’UE. Certains pays se sont demandés à ce moment-là s’il y avait concurrence avec la Coopération structurée permanente (CSP) qui a vu le jour à peu près au même moment. La France a désormais donné toute garantie que ce n’était pas le cas. L’avantage de l’Initiative européenne d’intervention est qu’elle permet d’intégrer des pays non membres de l’UE. Ce qui sera le cas du Royaume-Uni lorsque Londres aura quitté l’UE. C’est le cas aussi du Danemark qui est membre de l’UE, mais qui a fait un « opt out » par rapport à la politique de sécurité et de défense commune, et qui participe donc à l’Initiative européenne d’intervention.

L’Europe de la Défense a récemment enregistré des avancées, avec deux nouveaux mécanismes dans le cadre de l’UE : la Coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense. Où en est-on sur ces questions ? Quels sont les enjeux pour l’UE ?

La Coopération structurée permanente (CSP) et le Fonds européen de défense progressent. La CSP a été notifiée le 8 décembre 2017. Il s’agit d’un cadre normatif que les États européens doivent suivre, avec des engagements qu’auront pris les États et qu’ils seront tenus de respecter. Ces engagements feront l’objet d’un contrôle et un État peut même être exclu de la CSP s’il ne tient pas ses engagements.

Dans le cadre de la CSP, 17 premiers projets ont été entérinés au printemps 2017. Fin novembre, de nouveaux projets devraient être adoptés. En général, seuls quelques États membres y participent, et non les 25 pays qui font partie de la CSP. Celle-ci va obliger les États à imaginer leur défense dans un cadre collectif et non dans un cadre national comme c’était le cas auparavant. Nous sommes donc totalement en phase avec l’idée d’armée européenne, même si encore une fois ce n’est pas véritablement ce projet-là qui est en train de se bâtir. Le Fonds européen de défense, même s’il n’est pas lié strictement à la Coopération structurée permanente, répond aux mêmes objectifs.

Tout d’abord, c’est la Commission européenne qui a lancé le 7 juin 2017 le Fonds européen de défense. C’est la première fois depuis le traité de Rome en 1957 que l’Union européenne financera de la défense au niveau communautaire. C’est donc une révolution. La défense n’est plus uniquement constituée d’États, mais désormais de l’Europe. Concrètement l’UE financera de la recherche de défense, près du quart de ce que dépensent les États membres de l’Union européenne aujourd’hui dans ce domaine. L’UE viendra également compléter le financement de programmes en coopération lancés par les États, ce qui est un incitateur très fort pour multiplier les initiatives. Aujourd’hui, seuls 15% des matériels européens sont fabriqués en coopération. Avec le Fonds, nous pouvons espérer doubler ce pourcentage dans les 10 ans qui viennent.

Et tout ceci va très vite. Les premiers projets qui seront financés par le Fonds européen de défense le seront dès 2019, et les États membres, avec la Commission européenne, sont en train d’établir actuellement le programme de travail. Dans le projet de budget communautaire 2021-2027, le Fonds européen de défense atteindra sa vitesse de croisière avec 13 milliards d’euros consacrés à la défense sur 7 ans.
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