ANALYSES

Brésil, assassinat d’un conseiller municipal, femme, noire, de gauche

Tribune
16 mars 2018


Marielle Franco, l’une des deux élues noires du Conseil municipal de Rio de Janeiro a été assassinée ce 14 mars 2018. Ce crime vient après bien d’autres. Un mois pratiquement après la décision du président de fait, Michel Temer, de déployer l’armée fédérale dans les rues des quartiers pauvres de la « ville merveilleuse ». Neuf mois après la condamnation de Lula, candidat de gauche, candidat en tête des sondages pour les prochaines présidentielles, à neuf ans et demi de prison. Deux ans après la destitution inconstitutionnelle de la présidente élue en 2014, Dilma Rousseff.

Le Brésil n’a pas fini de solder les conséquences du coup d’État parlementaire ayant écarté la présidente élue Dilma Rousseff. La mort programmée de Marielle Franco est inscrite dans un déroulé de décisions criminalisant les idées et les personnalités progressistes, et déclassant la nécessité de réduire les inégalités.

Marielle Franco a été abattue dans son véhicule de neuf balles tirées d’une autre voiture par des professionnels. Elle sortait d’une réunion avec des jeunes femmes noires dans le quartier de Lapa, centre historique de Rio. Étudiante, elle avait pour son rapport de fin d’études choisi de traiter « l’insécurité sociale préconisée par un État pénal ». Élue en 2016 conseillère municipale sous les couleurs du PSOL, elle avait pris à bras le corps le problème de l’insécurité créée par les forces de police. Elle venait d’être désignée rapporteur en charge du suivi de l’intervention de l’armée décidée par le président de fait, Michel Temer.

Rio, comme le Brésil, est à majorité noire et métisse. Marielle Franco était l’une des deux seules noires dans un Conseil municipal de 51 membres. Sur 811 conseillères municipales élues en 2016 dans les villes capitales brésiliennes, seules 32 sont des femmes noires. Ou « foncées » pour reprendre la terminologie euphémistique du système statistique brésilien, l’IBGE. Soit 3,9%. Née en 1979 dans la favela de Mare, la défense des pauvres, de la communauté noire, était son souci principal. Compte tenu des initiatives les concernant, à caractère policier et militaire, elle avait ciblé ce problème en priorité, sans négliger d’autres sujets, relatifs aux droits des femmes ou de la minorité LGBT. Mais le comportement de la police de Rio et de l’armée, depuis le 16 février 2018, était tel qu’il imposait selon elle sa priorité. Les « forces de l’ordre » ont en effet abattu 1124 personnes en 2017, majoritairement noires, jeunes, et résidants dans les favelas. Le déploiement de l’armée fédérale, le 16 février 2018, n’a rien arrangé. Marielle avait ciblé ces derniers temps le 41e bataillon de la police militaire qui venait d’assassiner cinq jeunes du quartier pauvre d’Acari. Depuis 2011, ce bataillon a abattu 567 personnes.

Le 10 mars 2018 sur son compte Twitter, elle dénonçait « l’absurde ». Un bataillon de police militaire, le 41e, qui au lieu de protéger, tue. « Arrêtez », écrivait-elle, « de tuer nos jeunes ! Le 41e bataillon de PM est réputé être le bataillon de la mort ». Cet activisme incommodait beaucoup de policiers en uniforme, ou complétant leurs revenus comme « miliciens » dans des activités parallèles. De façon révélatrice, Jair Bolsonaro, candidat présidentiel, ancien militaire prônant l’usage de la force policière et militaire pour remettre de l’ordre dans la maison Brésil n’a fait aucun commentaire après cet assassinat.

Les auteurs du coup d’État institutionnel de 2016 avaient de vraies raisons idéologiques et égoïstes pour écarter la présidente élue. Ils avaient décidé que le poids du redressement économique, la sortie de la crise devait s’effectuer au moindre coût pour les catégories les plus aisées de la population. Ce choix porteur de régression sociale a été assumé jusqu’au bout, avec le déploiement de l’armée dans les rues des quartiers pauvres de Rio. « Classes pauvres, classes dangereuses », en effet, quand la solidarité nationale disparaît. L’État a bloqué ses dépenses sociales et d’infrastructures pour une période de 20 ans. Les aides sociales, comme on dit en ces circonstances, ont été « consolidées ». 1 151 505 familles ont perdu en 2017 les bénéfices de la « bourse famille ». L’État transfère au capital privé, local et étranger, ses actifs les plus prestigieux, porteurs de revenus pour le futur, les réserves pétrolières, et la fabrication d’avions. Selon la Banque mondiale, entre 2,5 millions et 3 millions de personnes sont repassées, depuis 2016, au Brésil, sous la barre de pauvreté.

Résultat, on meurt au Brésil aujourd’hui, tout autant sinon plus qu’en Syrie, dans le silence assourdissant des médias internationaux. 60 000 homicides en 2017, tout compris, assassinats crapuleux, règlements de compte, comme exécutions policières. Les taux enregistrés varient de 40/100 000 habitants pour Rio à 102/100 000 à Natal. Ces taux en Europe sont de 1 à 2/100 000. La politique sécuritaire a pris la place de la politique sociale. Avec les effets et les conséquences que l’on sait. Marielle Franco en est morte. Ce qui n’empêche pas le président brésilien, applaudi par Donald Trump et ses pairs argentin, chilien et péruvien, de jouer à contre rôle les vestales démocratiques, en exigeant le respect des libertés constitutionnelles au Venezuela.
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